World . Le Marseillais Ahamada Smis présente à Africolor un spectacle inspiré des traditions de son île natale . On affirme d...
World . Le Marseillais Ahamada Smis présente à Africolor un spectacle inspiré des traditions de son île natale.
On affirme d'habitude que 100 000 Marseillais sont d'origine comorienne. «80 000 serait plus proche de la réalité», corrige Ahamada Smis, qui se compte parmi eux. Né sur l'île de la Grande Comore, il a été élevé par ses grands-parents jusqu'à ce qu'il rejoigne, à 10 ans, ses parents dans les Bouches-du-Rhône. Ancien rappeur (collaborateur du collectif le 3e Œil), slameur, il pilote aujourd'hui plusieurs projets qui poursuivent un même but : partager la culture de son pays d'origine, méconnue.«Nous sommes 10 % de la population marseillaise mais nous restons invisibles», déplore-t-il.
Le Vaisseau voyageur, spectacle qu'il présente dans le cadre du festival Africolor, est né de sa volonté de faire connaître deux traditions de son archipel : le nyandu, joute orale, et la qasida, chant religieux des communautés soufies. Les associer n'a jamais été tenté, explique l'artiste : «La qasida sert à apaiser les âmes, le nyandu à galvaniser les guerriers. L'idée de les réunir vient de ma culture hip-hop, où on saisit des éléments épars pour élaborer son propre langage.»
Amateurs. Ahamada Smis se charge de la partie nyandu, un art quasiment disparu et qui présente une ressemblance évidente avec le slam. Les qasidas sont interprétées par deux chœurs amateurs, l'un masculin, l'autre féminin, d'une quinzaine de voix chacun. «Le groupe de femmes, je l'ai trouvé à Kallisté, dans les quartiers Nord. Le chœur d'hommes vient de Plan d'Aou, pas très loin de là.»
Dans le deba, les femmes chantent, immobiles, à l'exception des mouvements de bras qui ondulent en évoquant les vagues. Le spectacle, qu'on a pu découvrir en France ces dernières années avec un groupe de Mayotte, est un enchantement.
Pour trouver son groupe masculin de qasidas, Ahamada Smis a fréquenté les madjilisi, ces fêtes où les Comoriens recueillent des fonds pour leur village. Il détaille le système : «L'Etat comorien n'installe pas l'électricité dans les campagnes et construit peu d'écoles. Pour cela, il mise sur la diaspora. Pour récolter de l'argent, on organise des fêtes, des twarab, à caractère profane, ou desmadjilisi, au répertoire religieux. Il y en a au moins un par week-end à Marseille. Un twarab peut rapporter 20 000 euros, qui seront investis dans l'océan Indien.»
Pour gagner la confiance du deba,Ahamada Smis a dû rencontrer plusieurs fois le groupe. «J'ai dit à ces femmes : nous avons de l'or entre les mains, mais nous ne le partageons pas, nos voisins ignorent ce que nous avons. Elles me répondaient : "Mais qui ça va intéresser ?" J'ai travaillé séparément avec les hommes et les femmes, avant d'évoquer l'idée de collaboration. Il fallait y aller progressivement. La première prestation commune des deux chœurs a eu lieu sur le parvis de l'Opéra de Marseille. Les chanteurs ont constaté que le public était venu nombreux et que des non-Comoriens se passionnaient pour ce qu'ils faisaient. C'était une révélation.»
Alors que beaucoup de Comoriens travaillent dans le secteur hôtelier, il n'existe qu'un seul restaurant comorien à Marseille, ouvert récemment, aux horaires aléatoires. Le rappeur explique : «On croit que parce qu'on fait la plonge et qu'on vient d'un pays dépourvu de pétrole, on est pauvres. C'est vrai dans le sens économique, mais des points de vue spirituel et culturel, nous sommes riches, et peu de Comoriens en sont conscients. Nous avons préservé nos traditions, la singularité de notre culture d'origine bantoue.»
Grand mariage. Le chanteur souligne la responsabilité des Comoriens eux-mêmes dans leur isolement. «Nos parents avaient le corps en France mais la tête au pays, avec l'obsession de gagner assez d'argent pour rentrer et faire construire une maison. Dans ces conditions, difficile de s'ouvrir aux autres. Les choses évoluent avec ma génération, à travers des enfants d'immigrés qui ont étudié.»
Il pointe aussi un obstacle majeur au développement : la pratique du anda, ou grand mariage. «Il dure neuf jours et comporte un aspect très positif : il a permis à de nombreuses manifestations musicales et culturelles de perdurer. Le revers de la médaille, c'est la paralysie qu'il entraîne, puisqu'on s'endette lourdement pour le financer, pour toute une vie parfois. Mais si tu ne le fais pas, tu n'es rien dans la société. Tu ne peux pas devenir notable, ni t'exprimer en public, ni avoir droit de cité parmi les dirigeants de la communauté.» Ahamada Smis note que les Comoriens de Zanzibar ou de Dar es Salaam, en Tanzanie, ont réussi dans les affaires car ils se sont affranchis du grand mariage. En France, poursuit-il, «l'anda reste ancré dans les mentalités, car la pression sociale est forte. Et la surenchère, permanente : si un homme a dépensé 30 000 euros pour son grand mariage, son voisin investira 40 000 euros, voire davantage.»
Ahamada Smis est en outre parti à la recherche des sources de la musique populaire des Comores. Il s'est rendu dans les différentes îles de l'archipel, à Zanzibar et à la Réunion. Au fil des étapes, il a rencontré des musiciens et enregistré avec eux. Le tout est réuni sur le superbe CDOrigines. Dont il existe une version pour la scène, appelée à tourner l'an prochain.
Ahamada Smis Le Vaisseau voyageur samedi à 20 h 30 au centre Jean-Houdremont, La Courneuve (93). Rens. : www. africolor.com CD : Origines(Colombe Records/L'Autre Distribution).
HabarizaComores.com | أخبار من جزر القمر.
Le journal de la diaspora comorienne en France et dans le monde : Information et actualité en temps réel 24h/24 et 7j/7.