A Mayotte, les fonctionnaires en colère crient à la trahison

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Nous sommes donc, au hasard chronologique de notre venue à Mayotte et selon notre métier, arrivés à des dates variables sous des statuts var...

Nous sommes donc, au hasard chronologique de notre venue à Mayotte et selon notre métier, arrivés à des dates variables sous des statuts variables.
Par exemple, pour les enseignants, corps auquel j’appartiens, nous sommes mutés sur l’île selon un contrat spécifique de deux ans avec possibilité de renouvellement de deux ans, soit quatre années maximum de présence sur l’île sous un même contrat. Passé ce temps, nous sommes tenus jusqu’à ce jour de muter vers notre académie d’origine ou de demander à changer d’académie si cela s’avère possible. Ce qui constitue un turn-over assez important de personnel.

Indemnité compensatoire




Lors de notre arrivée en fonction sur l’île, pour pallier les frais qu’occasionne une telle installation et exercer une certaine attractivité en compensation de ce qui nous éloigne de nos familles ou autres attaches, il nous est alloué, comme dans la plupart des DOM-TOM, une indemnité appelée à Mayotte indemnité d’éloignement (IE), et qui correspond à 11,5 mois de salaire par an. Le salaire est donc quasiment doublé.


Cette indemnité compensatoire nous est versée au rythme des années écoulées et nous permet donc d’assurer notre installation et de bénéficier d’un pouvoir d’achat qui compense la cherté des produits le plus souvent importés de métropole ou des pays avoisinants.

Le centre des impôts (Y.i)

Un contrat est un contrat


Mayotte est une des quatre îles appartenant géographiquement à l’archipel des Comores (océan Indien) qui a choisi de se séparer de ses voisines pour devenir le 101e département français en date du 31 mars 2011. Le processus de mise en place des réformes administratives et légales est donc en cours et ce n’est qu’en 2014 que devrait pleinement s’appliquer la réforme foncière et le paiement d’impôts qui en découle.
Nous sommes venus sur cette île (jusqu’à cette année 2013) sous un type de contrat où l’IE n’était jusqu’à ce jour aucunement imposable (conditions prévues au 3° de l’article 3 du décret n° 2013-965 du 27 novembre 1996 susvisé, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur du décret n° 2013-965 du 28 octobre 2013).
La plupart d’entre nous ont donc sciemment choisi de venir sur Mayotte sous cette condition sans penser que le gouvernement se permettrait un jour de modifier subrepticement cette clause de contrat. C’est vrai, pourquoi penser qu’une telle chose serait envisageable ? A-t-on déjà vu ou entendu pareille incongruité ? Un contrat est un contrat, comment est-il venu à nos dirigeants l’idée de casser un engagement sans coup férir, sans prévenir à l’avance ?
Nous sommes venus en confiance et cette indemnité nous est un dû que nous utilisons selon nos modes respectifs de vie. Cela a permis à certains de voyager, de participer et de développer le commerce de l’île, voire de vivre tout simplement au mieux dans un contexte social déjà assez fortement perturbé par tous ces changements qu’induit la départementalisation en cours. Mayotte est une poudrière. Le mythe des cocotiers et les doigts de pied en éventail est bel et bien un mythe qu’il est temps d’éradiquer !
Fort de son droit, nous apprenons quelque peu brutalement que le gouvernement fécondé par on ne sait trop quel agent pondit et couva l’œuf de la trahison.

Une mesure injuste et punitive

Depuis avril 2013, en catimini, le gouvernement institue bien arbitrairement que toutes les indemnités touchées par les fonctionnaires à compter de 2013 seraient imposées. Nos collègues qui sont depuis retournés sur leurs académies d’origine, comme nous-mêmes qui sommes encore en place depuis plusieurs années ou venons juste d’arriver, devrions rembourser en termes d’imposition ce que nous avons peut-être déjà dépensé ou engagé ?
Réaction immédiate de stupeur devant une telle mesure aussi injuste et punitive pour on ne sait trop quel péché que nous aurions bien pu commettre.
Bien sûr, comme nous le dit monsieur le ministre des Outre-mers M. Victorin Lurel lors de sa dernière visite en octobre dernier à Mayotte, « vous êtes des citoyens et comme tels devez payer vos impôts » ! Ce en quoi nous sommes bien d’accord et ne refusons aucunement.
D’ailleurs, à Mayotte, nous devons être pratiquement les seuls à le faire ou à pouvoir le faire. Mais de grâce, pas n’importe quel impôt, surtout quand celui-ci n’a pas été annoncé à temps et à terme. Accouchement prématuré, dirions-nous, l’œuf de la trahison a accouché de son esprit malin, celui de la discorde.

Manifestation devant le vice-rectorat (Y.i)
Pressentant que la pilule serait un peu dure à avaler et devant la grogne en retour des fonctionnaires touchés par cette mesure aussi discriminatoire, le ministère fit un pas en arrière. Il témoigna dès lors dans ce retrait le peu fondé de cet acte en annonçant verbalement que seule l’IE de 2013 ne serait pas imposable. Mais, à compter de 2014, elle le serait et ce, sans barguigner.

Des milliers d’euros à rembourser


Les fonctionnaires qui sont donc en fin de contrat de deuxième et de quatrième année comme ceux qui viennent d’arriver en 2013 devraient donc rembourser approximativement un cinquième de cette indemnité, ce qui se calcule et se comptabilise en milliers d’euros selon l’échelon auquel nous appartenons respectivement.
C’est là la principale raison fondamentale et déterminante de l’engagement dans une grève qui a débuté le mardi 29 octobre puis qui a repris le 4 novembre 2013.
Tous les fonctionnaires de l’île, tous syndicats confondus, toutes professions confondues, ont donc quotidiennement battu le macadam particulièrement chaud de Mamoudzou, la capitale de l’île, réclamant le retrait de cette imposition tout aussi extraordinaire que saugrenue et injuste.
Chaque jour, les fonctionnaires en colère se sont regroupés et épaulés de solidarité notamment pour soutenir leurs pairs de la justice et de la santé sur leurs lieux d’exercice. Les lycées et collèges ont été barricadés ou fermés. Le taux de grévistes est majoritaire et varie selon les chiffres de 60 à 95% selon les fonctions publiques.

Les manifestants à Mayotte, le 7 novembre (Y.i)

Mayotte est éruptive

Les raisons ne sont pas que financières. Depuis la départementalisation, Mayotte est éruptive. Les grèves contre la vie chère d’octobre et novembre 2011 ont été révélatrices des changements brusques imposés par la départementalisation. Nous en portons encore la mémoire amère tant dans le vécu individuel et/ou collectif que dans les effets catastrophiques sur l’économie de l’île. Rue89 fut alors un des premiers médias à transmettre et révéler l’information en métropole.
La misère, l’immigration clandestine, la pauvreté, les modes et conditions de vie précaires, les modifications législatives ont montré combien, sur cette petite île de l’archipel géographique des Comores, tout peut basculer très vite. Cette mesure qui touche les fonctionnaires ne va guère inciter de nouveaux postulants à s’y installer. Les compensations matérielles et financières sont dès lors un atout majeur incontournable d’attractivité et de qualité de service comme de mission qui ne peut guère être négligé.
Les conditions matérielles de travail dans lesquelles nous œuvrons sont bien trop souvent désuètes, voire obsolètes et ridicules au regard de ce qu’il y a à faire. Si le gouvernement persiste dans cette voie, il est clair que l’enseignement à Mayotte, qui est déjà en situation de fragilité, va se déliter encore plus. Ce qui est valable dans l’éducation l’est de même dans les autres fonctions d’Etat en place. Il apparaît donc que c’est un choix gouvernemental réfléchi et conscient d’acter ainsi aussi ouvertement et de semer la zizanie.

Loin des préoccupations du gouvernement

Les Mahorais commencent à percevoir que Mayotte est bien loin des préoccupations gouvernementales immédiates, qu’il y a nécessité urgente de redressement et non de pression ou de punition sur tous les fronts institutionnels. Les élèves sentent bien que l’enseignement sera bientôt et définitivement un enseignement au rabais. Ils souffriront encore plus de cet écart d’avec leurs camarades de métropole. Tout comme la sécurité, la justice, les soins, déjà très incertains au quotidien, ne pourront être assurés convenablement. Ils ne le sont d’ailleurs déjà pas.
Si le gouvernement institue une modification des textes concernant l’IE à compter de 2014, cela est concevable puisque annoncée. Chacun sera alors à même d’accepter le contrat ou pas. En revanche, pour tous ceux qui sont mis devant le fait accompli sans concertation aucune, il ne pourra être accepté de subir cette imposition sans y voir sans équivoque une injustice morale et une trahison.
Lu sur rue89.com
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