A Madagascar, plus de 90% de la population vivent sous le seuil de la pauvreté. La crise politique a fragilisé un peu plus la société. Une l...
A Madagascar, plus de 90% de la population vivent sous le seuil de la pauvreté. La crise politique a fragilisé un peu plus la société. Une large population de laissés-pour-compte qui n'attendent plus rien des politiques. Reportage de la correspondante de RFI dans le «Mada d'en bas», à la veille de l'élection présidentielle.
Dans un bas quartier d’Antananarivo, la population veut le changement sans y croire.
Njaka ira quand-même voter
Njaka les connaît, les politiciens. Il raconte que certains roulaient en «405» et après quelques mois au pouvoir, ils pavanent en 4x4. «Pourtant leurs salaires ne suffisent pas à acheter des 4x4 Cayenne », dit-il. Njaka les voit. Sur un parking dans le centre de la capitale, il surveille les voitures. Chaque soir il fouille les employés du restaurant huppé. C’est son métier, il est agent de sécurité.
« Les politiciens, ce sont tous les mêmes. Ils ne changent rien. Ils dépensent de l’argent. » Pourtant Njaka ira voter – peut-être parce qu’il lui reste un fond d’optimisme. « Ma femme elle, n’ira pas ». Lucille, sa femme, sourit quand on parle des élections. « Ca ne m’intéresse pas… Qui fait vraiment ce qu’il dit ? Et puis il y a trop de candidats », dit-elle en donnant le sein au petit dernier de quatre mois.
Dans la cour de la maison familiale, la discussion s’engage entre la tante, la sœur, l’épouse… Toute la famille de Njaka vit ici à Andavamamba Ambilanibe, quartier que l’on dit « bas » car construit sur d’anciens marécages, au pied des collines de la ville. L’étroit terrain familial qui appartenait aux grands-parents accueille trois générations, quatre enfants en bas âge.
Basilis, 54 ans, est la tante de Njaka. Sur son t-shirt, la photo et le slogan du candidat Camille Vital : « Hiaraka isika » (Tous ensemble). Basilis sourit: « il y a eu une distribution, donc je l’ai pris ! » Elle ne sait pas encore pour qui elle va voter, elle réfléchit. Mère de deux enfants, elle gagne 150 000 ariary (55€) par mois pour un poste de professeur de broderie dans une école privée. Elle espère que l’élection va changer la vie des gens. « Que mon salaire augmente, que je puisse aller à l’hôpital gratuitement…». Njaka l’interrompt : « Si vous n’avez pas les moyens de payer à l’hôpital, vous mourrez ! » Il veut témoigner : il y a quelques mois, son épouse a été hospitalisée. Il a fallu acheter les médicaments et le matériel pour l’opération : coton, alcool, kit de chirurgie… « Ensuite seulement, ils te soignent ». Avec l’aide de ses amis et une avance spéciale de son patron, il a pu réunir la somme. Lucille, sa femme, l’écoute distraitement puis entre dans la maison pour s’occuper de l’enfant.
Un t-shirt aux couleurs des candidats
Dans ce quartier parsemé de petites ruelles au pavé inégal, la campagne électorale a investi les lieux et les esprits. Des affiches tapissent les murs, les t-shirts portés avec indifférence - parce que c’est d’abord un t-shirt - rendent les visages de quelques candidats familiers. Un petit vendeur attire l’œil avec sa casquette et son t-shirt aux couleurs de deux candidats rivaux.
L’élection, c’est aussi du travail pour des gens du quartier. Mais le travail n’est pas cher payé : pour 4 heures de présence sur une caravane de campagne qui fait le tour de la ville, les candidats donnent environ un euro. Pour Tovo, le salaire est plus intéressant : il a été embauché la semaine précédente par l’équipe de Camille Vital pour être relais dans le quartier. Cet agent communautaire qui travaille sur la prévention de la violence, passe ses après-midi à coller des affiches, faire du porte-à-porte pour distribuer des t-shirts et des CD. Le jour du vote, il sera délégué dans le bureau de vote.
Sur l’artère principale, des minibus surmontés d’une puissante sonorisation passent toutes les 10 minutes. «C’est tous les jours comme ça », affirme Niry qui vend des petits beignets ronds et du café derrière son comptoir en carrelage blanc. Elle est aux premières loges de ces défilés, pourtant la jeune femme reste de marbre. « Ca ne m’intéresse pas vraiment. Je suis obligée de travailler dur pour avoir de l’argent, que je vote ou pas », avance-t-elle. Niry a 20 ans, c’est la première fois qu’elle peut voter, mais elle ne le fera pas. « Si je vote, je vote nul. »
Luzette s’approche du comptoir de Niry et commande un café au lait. Elle le boit en vitesse, entourée de ses deux enfants de 9 et 5 ans. « Je vais voter, j’attends le changement et la fin de la crise, il y a trop de problèmes », déclare-t-elle en un souffle. Son histoire est celle de milliers de Malgaches, 40 000 selon les chiffres officiels. Un emploi dans les zones franches au sud de la ville, la crise de 2009, les Etats-Unis suspendent l’AGOA (accord préférentiel pour l’exportation), l’usine ferme, le chômage depuis deux ans, les frais de scolarité des enfants difficiles à payer… « Je vais voter pour quelqu’un qui n’était pas dans la Transition », ajoute-t-elle.
L'insécurité la nuit
Quelques mètres plus loin, sur le trottoir défoncé par la pluie et le manque d’entretien, Flore a installé une table et un parasol. Elle vend des baguettes de pain. « 50 Ariary de bénéfice sur chaque pain, j’en vends 40 ou 50 par jour. Ca ne nous suffit pas », déclare-t-elle en engouffrant dans sa bouche du tabac à chiquer. Comme beaucoup, elle espère « le changement », mais ne semble pas y croire.
Sa voisine Oly, enseignante, ne nourrit pas non plus de grands espoirs ; elle demande simplement un retour à la situation antérieure : « Le problème, c’est qu’il faut qu’il y ait un président, n’importe qui, pour que tout revienne comme avant. » Elle évoque la paupérisation de la population, l’insécurité la nuit… « Au moins avant, on pouvait dormir tranquillement. »
Dans un bas quartier d’Antananarivo, la population veut le changement sans y croire.
Njaka ira quand-même voter
Njaka les connaît, les politiciens. Il raconte que certains roulaient en «405» et après quelques mois au pouvoir, ils pavanent en 4x4. «Pourtant leurs salaires ne suffisent pas à acheter des 4x4 Cayenne », dit-il. Njaka les voit. Sur un parking dans le centre de la capitale, il surveille les voitures. Chaque soir il fouille les employés du restaurant huppé. C’est son métier, il est agent de sécurité.
« Les politiciens, ce sont tous les mêmes. Ils ne changent rien. Ils dépensent de l’argent. » Pourtant Njaka ira voter – peut-être parce qu’il lui reste un fond d’optimisme. « Ma femme elle, n’ira pas ». Lucille, sa femme, sourit quand on parle des élections. « Ca ne m’intéresse pas… Qui fait vraiment ce qu’il dit ? Et puis il y a trop de candidats », dit-elle en donnant le sein au petit dernier de quatre mois.
Dans la cour de la maison familiale, la discussion s’engage entre la tante, la sœur, l’épouse… Toute la famille de Njaka vit ici à Andavamamba Ambilanibe, quartier que l’on dit « bas » car construit sur d’anciens marécages, au pied des collines de la ville. L’étroit terrain familial qui appartenait aux grands-parents accueille trois générations, quatre enfants en bas âge.
Basilis, 54 ans, est la tante de Njaka. Sur son t-shirt, la photo et le slogan du candidat Camille Vital : « Hiaraka isika » (Tous ensemble). Basilis sourit: « il y a eu une distribution, donc je l’ai pris ! » Elle ne sait pas encore pour qui elle va voter, elle réfléchit. Mère de deux enfants, elle gagne 150 000 ariary (55€) par mois pour un poste de professeur de broderie dans une école privée. Elle espère que l’élection va changer la vie des gens. « Que mon salaire augmente, que je puisse aller à l’hôpital gratuitement…». Njaka l’interrompt : « Si vous n’avez pas les moyens de payer à l’hôpital, vous mourrez ! » Il veut témoigner : il y a quelques mois, son épouse a été hospitalisée. Il a fallu acheter les médicaments et le matériel pour l’opération : coton, alcool, kit de chirurgie… « Ensuite seulement, ils te soignent ». Avec l’aide de ses amis et une avance spéciale de son patron, il a pu réunir la somme. Lucille, sa femme, l’écoute distraitement puis entre dans la maison pour s’occuper de l’enfant.
Un t-shirt aux couleurs des candidats
Dans ce quartier parsemé de petites ruelles au pavé inégal, la campagne électorale a investi les lieux et les esprits. Des affiches tapissent les murs, les t-shirts portés avec indifférence - parce que c’est d’abord un t-shirt - rendent les visages de quelques candidats familiers. Un petit vendeur attire l’œil avec sa casquette et son t-shirt aux couleurs de deux candidats rivaux.
L’élection, c’est aussi du travail pour des gens du quartier. Mais le travail n’est pas cher payé : pour 4 heures de présence sur une caravane de campagne qui fait le tour de la ville, les candidats donnent environ un euro. Pour Tovo, le salaire est plus intéressant : il a été embauché la semaine précédente par l’équipe de Camille Vital pour être relais dans le quartier. Cet agent communautaire qui travaille sur la prévention de la violence, passe ses après-midi à coller des affiches, faire du porte-à-porte pour distribuer des t-shirts et des CD. Le jour du vote, il sera délégué dans le bureau de vote.
Sur l’artère principale, des minibus surmontés d’une puissante sonorisation passent toutes les 10 minutes. «C’est tous les jours comme ça », affirme Niry qui vend des petits beignets ronds et du café derrière son comptoir en carrelage blanc. Elle est aux premières loges de ces défilés, pourtant la jeune femme reste de marbre. « Ca ne m’intéresse pas vraiment. Je suis obligée de travailler dur pour avoir de l’argent, que je vote ou pas », avance-t-elle. Niry a 20 ans, c’est la première fois qu’elle peut voter, mais elle ne le fera pas. « Si je vote, je vote nul. »
Luzette s’approche du comptoir de Niry et commande un café au lait. Elle le boit en vitesse, entourée de ses deux enfants de 9 et 5 ans. « Je vais voter, j’attends le changement et la fin de la crise, il y a trop de problèmes », déclare-t-elle en un souffle. Son histoire est celle de milliers de Malgaches, 40 000 selon les chiffres officiels. Un emploi dans les zones franches au sud de la ville, la crise de 2009, les Etats-Unis suspendent l’AGOA (accord préférentiel pour l’exportation), l’usine ferme, le chômage depuis deux ans, les frais de scolarité des enfants difficiles à payer… « Je vais voter pour quelqu’un qui n’était pas dans la Transition », ajoute-t-elle.
L'insécurité la nuit
Quelques mètres plus loin, sur le trottoir défoncé par la pluie et le manque d’entretien, Flore a installé une table et un parasol. Elle vend des baguettes de pain. « 50 Ariary de bénéfice sur chaque pain, j’en vends 40 ou 50 par jour. Ca ne nous suffit pas », déclare-t-elle en engouffrant dans sa bouche du tabac à chiquer. Comme beaucoup, elle espère « le changement », mais ne semble pas y croire.
Sa voisine Oly, enseignante, ne nourrit pas non plus de grands espoirs ; elle demande simplement un retour à la situation antérieure : « Le problème, c’est qu’il faut qu’il y ait un président, n’importe qui, pour que tout revienne comme avant. » Elle évoque la paupérisation de la population, l’insécurité la nuit… « Au moins avant, on pouvait dormir tranquillement. »