Chez les Abdallah, il y a le père, l'ex-président disparu en 1989. Mais, depuis vingt ans, ce sont ses fils qui s'inviten...
Chez les Abdallah, il y a le père, l'ex-président
disparu en 1989. Mais, depuis vingt ans, ce sont ses fils qui
s'invitent sur le devant de la scène politique. L'un d'eux vient
d'être inculpé d'atteinte à la sûreté de l'État.
Au bout du fil, Salim Ahmed Abdallah ne décolère pas. Il parle
vite, se répète. Cela ne lui ressemble pas : dans la fratrie, il a la
réputation d'être celui qui garde son calme. C'est pour cela que la
famille en a fait son porte-parole après la mort violente, en 1989,
du patriarche, Ahmed Abdérémane Abdallah. « Comprenez-moi,
s'excuse-t-il. Mon frère est en prison et ma famille est accusée à
tort. »Depuis que les autorités ont annoncé avoir déjoué une tentative de coup d'État le 20 avril, les descendants du « père de l'indépendance comorienne » - l'un des hommes les plus puissants de l'archipel durant la seconde moitié du XXe siècle, qui domina le secteur de l'import-export et qui présida aux destinées du pays de 1978 à 1989 - sont à nouveau dans la tourmente. Dans la liste de la quinzaine de présumés comploteurs arrêtés les 20 et 21 avril et inculpés le 11 mai d'atteinte à la sûreté de l'État, on trouve des mercenaires africains, des sous-officiers de l'armée comorienne et Mahmoud Ahmed Abdallah. Dans un premier temps, les enquêteurs ont fait du troisième fils de la prestigieuse lignée le « cerveau » de cette opération. Mais au fil des investigations, le doute s'est installé. « Il n'est pas impossible que Mahmoud n'ait rien à voir avec ça », confie une source sécuritaire.
Mercenaires
C'est aussi ce que pense Salim, mais il ne le dira pas publiquement. Son rôle, c'est de défendre « l'institution Abdallah ». « Ce que je demande, c'est que la justice passe. Je ne défends pas Mahmoud, mais je veux dire que cela n'a rien à voir avec la famille. Je dénonce l'instrumentalisation de la justice : à travers lui, c'est toute la famille qui est visée », croit-il.
« Il faut comprendre son inquiétude, explique un bon connaisseur de la maison. Les Abdallah ont toujours été un bloc soudé. Le père était un vrai patriarche, il a bâti sa lignée de manière pyramidale. Chacun des neuf enfants [cinq garçons très présents, quatre filles très discrètes] doit rester à sa place. Et il suffit que l'un d'eux soit en danger pour que toute la fratrie se sente menacée. » Il y a une autre explication à l'irritation de Salim : ce n'est pas la première fois que des membres du clan sont impliqués dans un coup d'État.
La série débute moins de trois ans après l'assassinat, dans des conditions qui restent floues, du patriarche en présence du mercenaire Bob Denard. Le 26 septembre 1992, les deux cadets (des jumeaux), Cheikh et Abdérémane, tentent de renverser le président Saïd Mohamed Djohar. « Je leur ai dit de faire attention, mais ils ne m'ont pas écouté », confiera plus tard Salim. Les jumeaux, des enfants gâtés qui obtenaient tout ce qu'ils voulaient du père, sont de jeunes sous-officiers formés au Maroc. Mais leur tentative échoue. Ils sont arrêtés et condamnés à la peine de mort, vite transformée en peine de prison à perpétuité.
Second coup, le 28 septembre 1995. Certes, c'est Bob Denard qui le mène, mais en arrière-plan on retrouve le clan Abdallah. Depuis trois ans, Salim se bat sur deux fronts : il veut savoir qui a tué son père. Il a, à ce titre, porté plainte en France et aux Comores, et il tente d'obtenir la libération de ses frères. À Paris, on lui fait comprendre que la solution est de faire déguerpir Djohar. Les démons qui le conseillent à l'Élysée le dirigent alors vers un certain Bob Denard, dont les Abdallah sont persuadés qu'il a sinon tué leur père, du moins organisé sa mise à mort. Choix cornélien.
« J'ai fait comprendre à ma famille que l'affaire me gênait, disait Salim en 2007. Ma famille a répondu : "Même s'il faut composer avec le diable, l'essentiel est de les sauver." » L'opération Eskazi est un succès. Djohar est écarté. Les jumeaux sont libérés. Denard a rempli ce qu'il appellera sa « dette d'honneur envers la famille ». L'année suivante, le clan retire sa plainte en France...
Cette histoire n'a pas refroidi certaines ardeurs. Le 21 mars 2000, les autorités annoncent avoir déjoué un coup d'État contre le président Azali Assoumani. Abdérémane (l'un des jumeaux) et Mahmoud, arrêtés en compagnie d'un Français et d'un sous-officier, sont présentés comme les responsables. Ils seront emprisonnés pendant plusieurs mois, puis relâchés.
Mahmoud, la cinquantaine, est le troisième fils de la lignée. Le plus discret. « Un solitaire », dit un proche. Il a fait un peu de politique aux côtés du président Mohamed Taki dans les années 1990. Il en fait toujours, mais timidement. Sa principale activité, c'est de faire fructifier la rente familiale.
Rentes
Depuis cette dernière mésaventure, la famille semblait s'être calmée. Les observateurs se demandent quel intérêt un de ses membres pourrait avoir à faire tomber Dhoinine, tant les liens sont étroits avec le président. Cheikh, qui occupe le poste d'attaché de défense à l'ambassade des Comores à Paris, est un proche du président. Abdérémane est l'un des députés les plus en vue de l'actuelle majorité. Élu en 2009, il préside la commission des relations extérieures à l'Assemblée nationale. Salim, le mandataire, ne fait pas de politique - il n'en a jamais fait. À 61 ans, il préside le conseil d'administration de la Banque centrale des Comores. Il consacre son temps au patrimoine familial et tente de sauver ce qui peut l'être. Le business des Abdallah n'est en effet plus aussi florissant. Après la crise séparatiste qui a éclaté à Anjouan il y a seize ans, la famille a stoppé ses activités commerciales et vit, depuis, de ses rentes.
Quant à l'aîné, Nassuf, 66 ans, le chef de famille, il continue de mener une carrière politique bien terne si on la compare à celle de son père. Celui-ci l'avait bombardé à la vice-présidence de l'Assemblée nationale dans les années 1980, mais Nassuf n'en a pas profité. Il a été ambassadeur (en Afrique du Sud), conseiller du président de l'île d'Anjouan, Mohamed Bacar, mais a toujours échoué aux élections (en 2006 à la présidentielle, et en 2010 à l'élection insulaire). Aujourd'hui, il est conseiller... du président Dhoinine.
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À l'insu de son plein gré ?
Le rôle de Mahmoud Ahmed Abdallah dans la tentative de putsch déjouée le 20 avril reste flou. Plusieurs des mercenaires arrêtés ce jour-là l'ont cité comme devant être le principal bénéficiaire de l'assassinat d'Ikililou Dhoinine. Selon eux, c'est lui qui aurait alors été placé à la tête du pays. Mais aucun ne l'a rencontré. Mahmoud, qui nie tout, connaît bien en revanche le Français Patrick Klein, un ex-mercenaire de Bob Denard que les enquêteurs soupçonnent d'être le commanditaire. « Bien sûr qu'il le connaît ! s'exclame son frère, Salim. Nous tous, nous connaissons les mercenaires. Ils passaient souvent à la maison quand ils étaient aux Comores », dans les années 1980. Mahmoud connaît aussi l'un des sous-officiers impliqués, le capitaine Amdjad Ahmed Djaé, déjà compromis dans le coup d'État de 2000. Selon un proche du dossier, « soit Mahmoud a été très naïf, soit son nom a été cité à son insu ». Au juge qui l'a inculpé, il a parlé d'un « malentendu ». R.C.
Le rôle de Mahmoud Ahmed Abdallah dans la tentative de putsch déjouée le 20 avril reste flou. Plusieurs des mercenaires arrêtés ce jour-là l'ont cité comme devant être le principal bénéficiaire de l'assassinat d'Ikililou Dhoinine. Selon eux, c'est lui qui aurait alors été placé à la tête du pays. Mais aucun ne l'a rencontré. Mahmoud, qui nie tout, connaît bien en revanche le Français Patrick Klein, un ex-mercenaire de Bob Denard que les enquêteurs soupçonnent d'être le commanditaire. « Bien sûr qu'il le connaît ! s'exclame son frère, Salim. Nous tous, nous connaissons les mercenaires. Ils passaient souvent à la maison quand ils étaient aux Comores », dans les années 1980. Mahmoud connaît aussi l'un des sous-officiers impliqués, le capitaine Amdjad Ahmed Djaé, déjà compromis dans le coup d'État de 2000. Selon un proche du dossier, « soit Mahmoud a été très naïf, soit son nom a été cité à son insu ». Au juge qui l'a inculpé, il a parlé d'un « malentendu ». R.C.
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