La criminalité qui flambe à Marseille n'a rien à voir avec celle, plus traditionnelle, que la ville connaissait jusque-là. Moins organis...
La criminalité qui flambe à Marseille n'a rien à voir avec celle, plus traditionnelle, que la ville connaissait jusque-là. Moins organisée, moins rationnelle, elle n'en est que plus difficile à appréhender.
Prenons d'abord quelques chiffres : 70 % des attributaires du RSA dans les Bouches-du-Rhône résident dans la cité phocéenne ; 44 % des moins de 18 ans vivent sous le seuil de pauvreté, le chômage touche 30,5 % des personnes âgées de moins de 25 ans et atteint le taux de 49,9 % dans certaines cités comme, par exemple, celles de Félix Pyat, La Castellane ou La Busserine. Il s'ensuit qu'on assiste aujourd'hui à une réelle mutation du banditisme local qui prospère, à Marseille, sur une pauvreté relative. Sur un plan quantitatif, cette recomposition se traduit par une explosion des homicides entre gangs (un assassinat dans les quartiers Nord de Marseille coûte 200 euros) ou entre caïds locaux, de plus en plus jeunes et de plus en plus violents, une prolifération des vols à main armée, souvent peu organisés et dont les enjeux financiers sont parfois assez minces, sans compter les jets de grenades et tirs d'armes de guerres visant les rivaux.
Ensuite, force est d'admettre que, sur un plan axiologique, les valeurs qui structuraient le milieu insulaire des années 70, notamment, le respect, le sens de l'honneur, de la parole donnée, se sont délitées. Aujourd'hui ce qui compte c'est le court terme, le gain rapide obtenu de manière très violente, et non une vision reposant sur le long terme, c'est-à-dire fondée sur une stratégie rationnelle. La confiance a cédé le pas à la défiance, suivant ainsi les mutations induites par notre modernité. A ce titre, quand les caïds des quartiers, notamment à Marseille, se substituent progressivement au banditisme corse, pour cause d'affaiblissement considérable de la "brise de mer" ou de "l'équipe des bergers de Venzolasca", c'est un peu la passion qui l'emporte sur la raison. En réalité, les nouvelles bandes ne sont pas structurées car elles ne sont animées d'aucun sens du groupe ou d'une vision d'ensemble de leur action. Le passage à l'acte est instinctif, donc peu maîtrisé, par conséquent plus dangereux car plus risqué pour les personnes innocentes. Le banditisme marseillais s'est, d'une certaine manière, déprofessionnalisé. Le délinquant d'aujourd'hui ne respecte plus personne, même plus son avocat, qu'il essaie régulièrement d'intimider ou de racketter, un avocat pourtant censé lui prêter assistance lors de sa présentation devant un juge pénal. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre comme exemples les divers actes criminels perpétrés ces derniers mois à Marseille à l'encontre d'auxiliaires de justice, sans que d'ailleurs aucun dispositif de sécurité ne soit encore prévu pour protéger aujourd'hui les avocats dans l'exercice de leurs missions. Pour employer une terminologie tirée de la science politique, on pourrait dire que le banditisme local, principalement d'origine extra européen, repose désormais sur une vision essentiellement individualiste alors que le milieu corse disposait d'une conscience holiste.
Une autre évolution significative, c'est le prestige attaché à l'appartenance à un gang chez de très jeunes caïds. En effet, face à la domination ressentie par ceux qui considèrent être exclus de la société, et aux frustrations qui en découlent, liées en partie à l'histoire des parents, l'acte délinquant est très souvent perçu, dans les cités à Marseille, comme héroïque voire comme une forme de vengeance ; le trafiquant de drogue offrant une alternative à la désaffiliation sociale et symboliquement à sa réhabilitation économique. Ce faisant, ce type de délinquant échappe aux définitions classiques de la sociologie de la délinquance. En effet, la criminologie classique a longtemps recherché divers facteurs d'explications qui ont mis en exergue soit un déficit de la société en tant qu'instrument de régulation sociale ou d'intégration soit un déséquilibre inhérent au sujet, l'infraction ne pouvant résulter que d'un dysfonctionnement de l'appareil psychique de l'individu ou d'une nécessité (commettre un délit pour subvenir à ses besoins ou aux besoins de sa famille, par exemple). Dans cette perspective, le moyen (la commission de l'infraction) n'était pas séparé des fins (en l'espèce, par exemple, se nourrir). Or, on assiste aujourd'hui à une dissociation totale entre l'action (le passage à l'acte) et la conscience du risque pénal découlant de ladite action ; la transgression de la règle n'étant plus intériorisée comme un possible risque en termes de sanctions pénales voire de mort violente. C'est une des raisons pour lesquelles la question récurrente d'un renforcement des dispositifs de police ne réglera rien, si elle s'avère que ponctuelle. En effet, à Marseille, seule l'intervention de l'armée, souhaitée majoritairement par les habitants de cette ville qui sont pris en otages, pourrait, si elle était durable, juguler ce type de délinquance. Les moyens mis en œuvre par M. Manuel Valls, constitués par un renfort de 150 policiers au mois de septembre et par un effectif supplémentaire de 240 fonctionnaires la semaine dernière, apparaissent totalement décalés par rapport à la réalité ; une réalité qui pourtant s'apparente à un mouvement insurrectionnel permanent. Et ce dans une indifférence quasi générale.
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