Déjà 18 morts depuis le début de l’année. Nos reporters sont entrées dans les cités. Un an d’enquête. Celui qui vous dira qui vend de la d...
Déjà 18 morts depuis le début de l’année. Nos reporters sont entrées dans les cités. Un an d’enquête.
Celui qui vous dira qui vend de la drogue et qui est impliqué dans les règlements de comptes, soit il est fada, soit il est suicidaire. Et moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. » Samir avale une gorgée de whisky on the rocks – un peu fondus les glaçons. C’est un caïd, est-il permis de penser. Personne ne se risque à le désigner comme un des responsables du trafic ou des -tueries. La quarantaine, beau gosse, séducteur, grand, musclé, longiligne, bras et jambes tatoués, Samir concède avoir passé quelques années aux Baumettes, parce qu’il a du caractère, qu’il serait d’une trop grande générosité et qu’il souffre d’une passion maladive pour les « belles femmes », qui l’ont souvent laissé tomber. Samir a aussi des soucis d’argent. Un ami lui a volé des billets, beaucoup, plusieurs milliers d’euros.
Plus peut-être. Samir jure qu’il n’essaiera pas de se venger, même s’il admet qu’il peut se montrer violent : « Si on me cherche, je peux m’énerver et faire des trucs sales aux gens. » Samir parle haut et vite, avec un fort accent chantant. Pendant qu’il bavarde, évoquant avec prudence les trois éléments clés de la tragédie locale – came, fric, mort violente –, il est debout dans la rigole du trottoir, en tee-shirt et bermuda, la -casquette à l’envers. Il porte des « méduses », ces chaussures de plage en plastique transparent. Et Samir prend un bain de pieds dans le caniveau. « Avoir les arpions mouillés, j’adore ça ! » Un rire, un clin d’œil, une autre gorgée de scotch noyé. Bienvenue à Marseille.
Ce soir, les quartiers Nord, de sinistre réputation, respirent après de longs jours de canicule. Soulagés par le vent du -désert. Le sirocco, sec et chaud, souffle sur les cités aux noms fleuris mais aux décors et aux mœurs peu champêtres. Bâtiments gris, façades taguées, délavées, commerces fermés, et réseaux de drogue prospères. Marseille compte 150 cités, à peu près autant de lieux de vente. Ici, on les appelle les « magasins ». De shit, d’herbe, de cocaïne, d’héroïne, d’ecstasy, que sais-je encore.
Chacun d’eux « emploie » une quinzaine de personnes. L’organisation est toujours la même. Des « guetteurs » surveillent, des « nourrices » cachent les produits, des « charbonneurs » les distribuent, des chefs ramassent les bénéfices. Et des dizaines de milliers de personnes -vivraient du trafic. Leur nombre est difficile à évaluer. Comme le chiffre d’affaires annuel du business. En moyenne, un -réseau marseillais rapporte quotidiennement entre 30 000 et 40 000 euros. Jusqu’à 80 000 euros par jour, dit-on, pour certaines cités comme la Castellane. Derrière elle, il y aurait Bassens, le haut lieu de la vente de shit, avec 60 000 euros. Des « entreprises » lucratives qu’il convient de protéger, parce qu’elles sont vite convoitées. Faibles, elles sont victimes du racket et paient un « loyer » aux bandes organisées, comme celle des frères Bengler, des Gitans, spécialistes en la matière.
A Marseille, si la vie n’est pas toujours drôle, elle est « tranquille », dit-on en appuyant sur chaque syllabe. Une tranquillité qui se paie parfois au prix de l’aveuglement. Les -Marseillais des arrondissements chics ont beau jeu de dire qu’ils ne voient rien des magouilles des cités. Et ceux qui y assistent tous les jours préfèrent vivre dans le déni. « Je ne me mêle pas de ce qui se passe dans mon quartier, prétend Karim, un commerçant. Je ne veux pas savoir qui fait quoi. Je n’ai pas envie d’avoir des problèmes. » Karim a 30 ans, des traits sévères. Il sculpte sa silhouette dans un club de gym, raffole des soirées dansantes et craque pour les costumes noirs. Il ne veut surtout pas les froisser et tient sa langue. Autour de lui, pourtant, les travailleurs du deal ne sont pas discrets. Ils ont transformé les entrées d’immeuble en checkpoints. Attentifs, prévenants avec les habitants, mais hostiles quand approchent intrus et curieux. Les bavards ont du souci à se faire.
Près de l’autoroute du Soleil, vers 13 heures, Killian, un peu moins de 20 ans, déambule en short de bain à fleurs avec une serviette de plage sur l’épaule. Une gourmette en or au poignet, et des lunettes italiennes, une marque de luxe, pour dissimuler ses yeux vert clair. Il a la peau mate et bronzée, des cheveux bruns épais et ondulés, le ventre arrondi. Il nous lance un joyeux : « Vous êtes mariées ? »
Killian est un dragueur, maladroit. C’est un beau parleur, un « barbot », comme on dit ici ; il badine… sauf sur son travail. Il se contente d’exhiber ses sandales blanches usées : « Regarde, j’ai plus de semelles, pas d’argent pour en racheter, preuve que je ne deale pas ! » Killian et ses copains éclatent de rire. Le « magasin » de shit n’est pas loin, à quelques mètres, sous le porche de l’immeuble, caché dans le faux plafond. Devant nos yeux et ceux des habitants, habitués et indifférents, les acheteurs -défilent. La résine de cannabis est importée du Maroc en -Espagne par hélicoptère. Un pilote toucherait 50 000 euros pour 500 kilos de fret. Puis la marchandise est convoyée jusqu’à Marseille par voiture, des « go-fast » qui effectuent la livraison pour 8 000 ou 10 000 euros. Dangereux, mais rémunérateur...
Envoyée spéciale à Marseille Emilie Blachere - Paris Match
Celui qui vous dira qui vend de la drogue et qui est impliqué dans les règlements de comptes, soit il est fada, soit il est suicidaire. Et moi, je ne suis ni l’un ni l’autre. » Samir avale une gorgée de whisky on the rocks – un peu fondus les glaçons. C’est un caïd, est-il permis de penser. Personne ne se risque à le désigner comme un des responsables du trafic ou des -tueries. La quarantaine, beau gosse, séducteur, grand, musclé, longiligne, bras et jambes tatoués, Samir concède avoir passé quelques années aux Baumettes, parce qu’il a du caractère, qu’il serait d’une trop grande générosité et qu’il souffre d’une passion maladive pour les « belles femmes », qui l’ont souvent laissé tomber. Samir a aussi des soucis d’argent. Un ami lui a volé des billets, beaucoup, plusieurs milliers d’euros.
Plus peut-être. Samir jure qu’il n’essaiera pas de se venger, même s’il admet qu’il peut se montrer violent : « Si on me cherche, je peux m’énerver et faire des trucs sales aux gens. » Samir parle haut et vite, avec un fort accent chantant. Pendant qu’il bavarde, évoquant avec prudence les trois éléments clés de la tragédie locale – came, fric, mort violente –, il est debout dans la rigole du trottoir, en tee-shirt et bermuda, la -casquette à l’envers. Il porte des « méduses », ces chaussures de plage en plastique transparent. Et Samir prend un bain de pieds dans le caniveau. « Avoir les arpions mouillés, j’adore ça ! » Un rire, un clin d’œil, une autre gorgée de scotch noyé. Bienvenue à Marseille.
Ce soir, les quartiers Nord, de sinistre réputation, respirent après de longs jours de canicule. Soulagés par le vent du -désert. Le sirocco, sec et chaud, souffle sur les cités aux noms fleuris mais aux décors et aux mœurs peu champêtres. Bâtiments gris, façades taguées, délavées, commerces fermés, et réseaux de drogue prospères. Marseille compte 150 cités, à peu près autant de lieux de vente. Ici, on les appelle les « magasins ». De shit, d’herbe, de cocaïne, d’héroïne, d’ecstasy, que sais-je encore.
Chacun d’eux « emploie » une quinzaine de personnes. L’organisation est toujours la même. Des « guetteurs » surveillent, des « nourrices » cachent les produits, des « charbonneurs » les distribuent, des chefs ramassent les bénéfices. Et des dizaines de milliers de personnes -vivraient du trafic. Leur nombre est difficile à évaluer. Comme le chiffre d’affaires annuel du business. En moyenne, un -réseau marseillais rapporte quotidiennement entre 30 000 et 40 000 euros. Jusqu’à 80 000 euros par jour, dit-on, pour certaines cités comme la Castellane. Derrière elle, il y aurait Bassens, le haut lieu de la vente de shit, avec 60 000 euros. Des « entreprises » lucratives qu’il convient de protéger, parce qu’elles sont vite convoitées. Faibles, elles sont victimes du racket et paient un « loyer » aux bandes organisées, comme celle des frères Bengler, des Gitans, spécialistes en la matière.
Le bling-bling est obligatoire. Le luxe est un pare-feu
Le principe de base de la sécurité, c’est l’information. Alors, sans arrêt, autour de nous, des gamins circulent à -scooter. Aucun n’a le permis et personne ne porte de casque. Ils font des rondes, le plus loin possible du cœur du réseau, plusieurs centaines de mètres, pour donner l’alerte au plus vite. Les patrouilles de police semblent indifférentes. Il y a deux ans, un agent nous avouait qu’elles ne contrôlaient que des conducteurs casqués : « Ils ont quelque chose à cacher. » Force est de constater que les consignes n’ont pas changé.A Marseille, si la vie n’est pas toujours drôle, elle est « tranquille », dit-on en appuyant sur chaque syllabe. Une tranquillité qui se paie parfois au prix de l’aveuglement. Les -Marseillais des arrondissements chics ont beau jeu de dire qu’ils ne voient rien des magouilles des cités. Et ceux qui y assistent tous les jours préfèrent vivre dans le déni. « Je ne me mêle pas de ce qui se passe dans mon quartier, prétend Karim, un commerçant. Je ne veux pas savoir qui fait quoi. Je n’ai pas envie d’avoir des problèmes. » Karim a 30 ans, des traits sévères. Il sculpte sa silhouette dans un club de gym, raffole des soirées dansantes et craque pour les costumes noirs. Il ne veut surtout pas les froisser et tient sa langue. Autour de lui, pourtant, les travailleurs du deal ne sont pas discrets. Ils ont transformé les entrées d’immeuble en checkpoints. Attentifs, prévenants avec les habitants, mais hostiles quand approchent intrus et curieux. Les bavards ont du souci à se faire.
Près de l’autoroute du Soleil, vers 13 heures, Killian, un peu moins de 20 ans, déambule en short de bain à fleurs avec une serviette de plage sur l’épaule. Une gourmette en or au poignet, et des lunettes italiennes, une marque de luxe, pour dissimuler ses yeux vert clair. Il a la peau mate et bronzée, des cheveux bruns épais et ondulés, le ventre arrondi. Il nous lance un joyeux : « Vous êtes mariées ? »
Killian est un dragueur, maladroit. C’est un beau parleur, un « barbot », comme on dit ici ; il badine… sauf sur son travail. Il se contente d’exhiber ses sandales blanches usées : « Regarde, j’ai plus de semelles, pas d’argent pour en racheter, preuve que je ne deale pas ! » Killian et ses copains éclatent de rire. Le « magasin » de shit n’est pas loin, à quelques mètres, sous le porche de l’immeuble, caché dans le faux plafond. Devant nos yeux et ceux des habitants, habitués et indifférents, les acheteurs -défilent. La résine de cannabis est importée du Maroc en -Espagne par hélicoptère. Un pilote toucherait 50 000 euros pour 500 kilos de fret. Puis la marchandise est convoyée jusqu’à Marseille par voiture, des « go-fast » qui effectuent la livraison pour 8 000 ou 10 000 euros. Dangereux, mais rémunérateur...
Envoyée spéciale à Marseille Emilie Blachere - Paris Match
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