Nabil Karoui, directeur de la chaîne privée tunisienne Nessma TV, encourt jusqu'à trois ans de prison pour avoir diffusé le film "P...
Le procès du directeur de la chaîne privée Nessma TV, Nabil Karoui, a repris jeudi 19 avril à Tunis, dans un climat très tendu. Après avoir diffusé sur sa chaîne, en octobre 2011, le film d'animation franco-iranien Persepolis doublé en dialecte tunisien, Nabil Karoui est aujourd'hui jugé pour "atteinte aux valeurs du sacré". L'affaire, qui avait déjà déchaîné les passions l'année dernière, mobilise devant le tribunal de Tunis défenseurs de la liberté et partisans de l'islam.
Cette histoire intervient dans le même contexte quela récente condamnation de deux Tunisiens à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur Facebook des caricatures de Mahomet. Une peine sans précédent dans les affaires d'atteinte à la morale et au sacré, qui se multiplient en Tunisie depuis la révolution et l'arrivée au pouvoir des islamistes.
UN "VAUDEVILLE À LA TUNISIENNE"
Il s'agit du "quatrième acte" de ce "vaudeville à la tunisienne", comme le qualifie le quotidien tunisien Le Temps. Après les émeutes qui ont éclaté en octobre 2011, juste après la diffusion du film, devant les locaux de Nessma TV et devant la maison de son directeur, le procès a été reporté deux fois, en novembre et en janvier.
En l'attente du verdict, prévu pour le 3 mai, des dizaines de salafistes se sont réunis devant le tribunal, certains arborant des drapeaux noirs avec des versets islamiques et des pancartes appelant à l'exécution du directeur de la chaîne de télévision. Devant la salle n° 10 du tribunal de première instance de Tunis, de nombreux journalistes et hommes politiques sont, majoritairement, venus adresser leur soutien à Nabil Karoui, d'après La Presse de Tunisie, journal francophone le plus consulté de Tunisie.
Plus de cent quarante avocats ont porté plainte contre Nabil Karoui et deux de ses collaborateurs, qui encourent une peine de trois ans de prison. Ces avocats se dressent comme les défenseurs de l'intégrité de la divinité car, comme l'a déclaré Me Laâbidi lors de l'audience, "la représentation de la divinité est blasphématoire en elle-même, car Dieu ne doit en aucun cas être représenté".
L'origine du litige est en effet une scène en particulier du film Persepolis, qui décrit le régime iranien de Khomeiny à travers les yeux d'une fillette parlant à Dieu personnifié, la représentation d'Allah étant proscrite par l'islam. Pourtant, comme le précise Me Chokri Belaïd, avocat de la défense et leader du Mouvement des patriotes démocrates (Watad), "le film a été déjà projeté dans [les] salles de cinéma [tunisiennes] avec un visa officiel de la commission de vérification", sans que cela pose de problème au parquet. Pour lui, "ce procès est politisé et marquera l'histoire de la justice tunisienne. On veut faire de la Tunisie un nouvel Afghanistan en imposant le retour de la répression idéologique et politique".
UNE "RÉGRESSION DES LIBERTÉS"
Au cœur du débat, c'est donc bien la question d'une éventuelle régression des libertés après la révolte du 14 janvier qui agite les milieux politique et intellectuel tunisiens. Dès janvier, le parti islamiste Ennahda, première force politique en Tunisie, a exprimé "son attachement à la liberté d'expression en tant que droit indivisible des droits de l'homme" et estimé que les poursuites judiciaires à l'encontre du patron de Nessma TV dans le cadre de l'affaire Persepolis "n'étaient pas la meilleure solution".
Pour l'avocate Kahena Abbes, qui publie une tribune dans La Presse de Tunisie, il s'agit bien d'une"régression des libertés". Pour elle, les manifestants extrémistes qui se sont attaqués à Nabil Karoui"exprimaient la volonté de limiter toute liberté et de la soumettre aux symboles sacrés, aux exigences identitaires et à une certaine lecture religieuse, afin d'instituer une nouvelle censure". Elle ajoute que "le problème est donc d'ordre politique, puisque ces revendications émanaient du courant salafiste, et ont eu lieu quelques jours avant les élections de la Constituante et visaient en premier lieu à réduire non seulement la liberté d'expression dans le domaine artistique, mais celle du culte, et d'anéantir tout droit à la différence et tout individualisme".
Dans un communiqué publié jeudi sur son site, Amnesty International souligne que ce procès "met en lumière les attaques contre la liberté d'expression en Tunisie". Un constat qui vient renforcer l'avertissement lancé par Reporter sans frontières en janvier sur les "menaces qui planent sur la liberté d'information" et qui "n'ont cessé d'évoluer depuis la chute de Ben Ali". "Alors que nous comptons sur le gouvernement tunisien pour qu'il donne l'exemple et consacre le plein respect des droits humains dans la nouvelle Constitution du pays, il est troublant de voir que ce procès se poursuit", a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International dans un communiqué. Avant d'ajouter : "Ces pratiques rappellent les violations commises par le gouvernement Ben Ali renversé et doivent cesser."
Source:lemonde.fr
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