Sociologue spécialiste du salafisme, Samir Amghar évoque la portée électoraliste de l'expulsion de trois imams radicaux, annoncée lundi ...
Sociologue spécialiste du salafisme, Samir Amghar évoque la portée électoraliste de l'expulsion de trois imams radicaux, annoncée lundi par le ministre de l'Intérieur. Pour lui, c'est une manière de «faire oublier les défaillances de la lutte des services français dans l'affaire Merah».
(Photo DR)
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Comment réagissez-vous à l'annonce par Claude Guéant de l'expulsion de trois imams radicaux ?
Je suis surpris que le ministre sorte ainsi des noms du placard quelques semaines après les attentats de Toulouse et juste avant l'élection présidentielle. Il est évident que les imams ciblés devaient faire l'objet d'une surveillance plus ancienne. J'aurais d'ailleurs aimé que Claude Guéant spécifie à quel moment et dans quel contexte les propos incriminés ont été tenus. Si c'était dans le cadre d'un prêche, d'une conférence, d'un cours... En tout cas, même au lendemain du 11 Septembre, on n'avait pas vu pareille intensité dans les mesures gouvernementales. Là, c'est la première fois qu'on met ainsi sur la place publique le nom des personnes expulsées. L'objectif, c'est de montrer que Nicolas Sarkozy a lutté efficacement contre le terrorisme islamique. Mais j'y vois aussi une manière de nous enfumer et de nous faire oublier les défaillances de la lutte des services français dans l'affaire Merah.
La surveillance des imams radicaux n'a rien de nouveau ?
Non. La France a acquis une solide expérience dans la surveillance des mouvements terroristes islamistes. Son expertise lui est enviée par de nombreux pays. C'est dû au fait que nous avons été touchés par ce phénomène dès 1986, avec les attentats du réseau de Fouad Ali Saleh. Nous avons quasiment quinze ans d'avance sur les Etats-Unis dans ce domaine. Les imams et les prédicateurs (1) sont très surveillés par les services de la DCRI. Celle-ci part du principe qu'il peut y avoir un continuum entre des prêches violents et l'éventuelle radicalisation de certains fidèles. Du point de vue de la DCRI, la mosquée continue d'être un lieu de recrutement.
Cette vision se tient encore, selon vous ?
Non, car depuis les attentats du 11 Septembre, les services de renseignement sont beaucoup plus présents dans les mosquées. Il est bien plus difficile d'être véhément voire violent envers la République, sous peine d'expulsion. Entre 2001 et 2011, on a compté une quarantaine de personne expulsées du territoire français.
Les prêches radicaux sont donc en nette diminution ?
Oui. Se sachant surveillés, les imams pratiquent une forme d'autocensure. La pression sécuritaire les a amenés à clarifier leur position par rapport à la République. Beaucoup ont abandonné les thématiques politiques au profit de discours plus religieux. Quand ils parlent de la République, c'est à travers des thèmes très consensuels, comme le respect des autres religions ou un discours de compassion vis-à-vis des fidèles musulmans. On peut même dire que les responsables de mosquées voient d'un mauvais œil les discours radicaux. Ce sont d'ailleurs souvent eux-mêmes ou des fidèles qui alertent les RG quand des propos violents sont tenus. Ce qui constitue une des limites du travail des services de renseignement, qui ne disposent pas toujours d'informations de première main. Ils peuvent être instrumentalisés et se retrouver au cœur de conflits de pouvoir internes aux mosquées. L'idée pour un informateur, par exemple, sera d'exagérer le trait sur le discours radical d'untel ou untel pour éventuellement obtenir la promotion d'un de ses proches.
Reste-t-il des imams radicaux en France ?
J'en vois deux types. Sur les 2 000 imams présents en France, une infime minorité a un discours agressif à l'égard de la France, avec éventuellement un appel à l'action violente. Les autres sont davantage dans la radicalité religieuse. Ils appellent les fidèles à ne pas se mélanger au reste de la société sous peine d'être contaminés. C'est un discours aujourd'hui relativement présent mais qui ne s'accompagne pas d'une critique de la société française.
(1) Samir Amghar définit les premiers comme des «fonctionnaires de la mosquée, chargés de gérer le culte, de diriger la prière». Les seconds, selon lui, peuvent être «invités dans une mosquée pour y donner un cours ou une conférence sur un aspect particulier de la loi islamique».
Source : liberation.fr
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