La guerre d'Algérie a été déclenchée par des intellectuels, menée par des braves mais a fini dans les mains de lâches". A Alger, le...
La guerre d'Algérie a été déclenchée par des intellectuels, menée par des braves mais a fini dans les mains de lâches".
A Alger, le 12 février 2012, lors d'une manifestation dans la foulée de la révolte tunisienne. (AFP / FAROUK Batiche).
Radiographie d'une jeunesse désenchantée 50 ans après l'indépendance de leur pays.
Les mots de Nassim, 27 ans, responsable marketing dans une société pharmaceutique à Alger, sont sans appel. Un son de cloche quasi-généralisé dans tout le pays. Pour les 50 ans de la signature des accords d'Evian qui marque la fin de la guerre d'Algérie, lui, comme ses camarades, n'ont rien prévu. A peine entendent-ils les diatribes, somme toute assez discrètes, de l'Organisation nationale des Moudjahidines (anciens combattants) contre le refus de repentance de la France.Si le patriotisme algérien est particulièrement exacerbé chez les jeunes qui représentent plus de la moitié de la population, beaucoup rêvent de quitter le pays. Meurtris par une dizaine d'années de guerre civile marquée par les massacres, touchés par un chômage qui atteint des sommets (20% des jeunes), écœurés par une corruption galopante, les jeunes ont l'impression d'un immense gâchis.
Lorsque le 18 mars 1962, le cessez-le-feu est signé entre les gouvernements français et algérien, c'est pourtant l'espoir qui domine en Algérie. Une société plus égalitaire était à construire avec l'aide d'une population revigorée et grâce à des ressources naturelles inestimables. Au lendemain de l'indépendance, le 5 juillet 1962, Alger est le centre du bouillonnement intellectuel des contestations contre la colonisation. L'étape obligatoire des chefs de file de tous les mouvements qui luttent pour l'indépendance, contre le colonialisme et le racisme. Ernesto Che Guevara et Malcom X y trouvent une terre d'accueil pour leurs idées.
50 ans après c'est la désillusion. Chômage, corruption, pauvreté, montée de l'islamisme… le système semble bloqué pour bon nombre de jeunes et le mythe d'une Algérie combattante usé. Dans les bars, aux terrasses de café, dans les couloirs des lycées et des universités, on parle de travail, d'argent, de musique, d'amour, rarement de la guerre, encore moins de la signature des accords d'Evian, dont les plus jeunes connaissent à peine le nom du signataire, Krim Belkacem. La guerre d'Algérie est bien éloignée de leurs préoccupations.
D'une guerre à l'autre
En cause, il y a d'abord le souvenir de ce qu'on appelle communément la "décennie noire" des années 1990. Cette guerre-là qui a fait plus de 100.000 morts a largement remplacé dans les têtes celle des héros de l'indépendance. Les cicatrices ne ressemblent pas à celles des aînés. En 1992, le Front islamique du salut (FIS) est sur le point de remporter les élections législatives. Le pouvoir interrompt le scrutin et le pays plonge dans la guerre civile. Plus rien n'a alors de sens. Sur les routes, on pouvait croiser des têtes accrochées aux panneaux de signalisations. Les familles chuchotaient jusque dans leurs maisons quand elles abordaient des sujets politiques. La circulation dans le pays limitée à cause de la crainte des faux-barrages organisés par le Groupe islamique armé (GIA).
De ces années-là, la peur s'est transmise. D'autant que la menace n'a pas disparu. Ceux qui ont refusé la concorde civile proposée par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, se sont regroupé dans un nouveau mouvement, le Groupe salafiste pour la prédiction et le combat (GSPC) et ont rejoint les réseaux d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Pour ces enfants de la guerre civile, l'heure n'est plus vraiment à la glorification des anciens. Après ces années de terreur, le pays rêve d'apaisement et de ne plus remuer les plaies encore ouvertes.
D'autant que l'enseignement de la guerre d'Algérie à l'école est sujet à critiques. Certes, pour Nassim, la guerre d'Algérie a été un "mal nécessaire pour la liberté", mais "l'histoire a été bafouée". "C'est très important pour nous de savoir d'où l'on viens pour savoir où l'on vas."
La recherche d'une identité
Comme Nassim, beaucoup de jeunes sont à la recherche de leur identité et d'une certaine vérité historique. Ils ont le sentiment que leur histoire a été tronquée. Une "impression de mensonge renforcée par la presse et les mémoires familiales divergentes", explique Lydia Aït Saadi Bouras, chercheure à l'ERASME de Paris 8, et qui a consacré sa thèse (janvier 2010) à "La nation algérienne à travers les manuels scolaires d'histoire algériens : 1962-2008". "Pour moi, qui suis Algérienne et qui appartient à la génération des révoltes des années 80 et de la guerre civile, j'ai grandi avec cette idée qu'il fallait revendiquer la 'vérité'", raconte-t-elle. "Quand on nous impose une identité bâtie, entre autres, sur notre glorieux passé et que l'on se rend compte qu'on nous a caché quelque chose, on s'arrête et on se demande : qui est-on ? Un peu comme quelqu'un qui ne connaît ni sa mère, ni son père."
La jeune femme, qui a traversé la Méditerranée pour faire ses études, se veut rassurante : "Toutefois, je dirais que même si le besoin de vérité est présent, les Algériens sont plus à la recherche d'une identité forte. La société algérienne a suivi un processus de reconstruction à la fois mémorielle et historienne et est entrée dans une phase de résilience par rapport à cette séquence de l'histoire nationale, où finalement elle se dit que peu importe la version officielle de ce passé, il faut s'en saisir et l'écrire parce qu'il s'agit encore d'un terrain vierge."
L'espoir des révolutions arabes contre le chômage et la corruption
A cette crise identitaire, s'ajoute la crise sociale. Les tentatives d'immolations par le feu sont devenues des scènes quasi-quotidiennes et des mini-émeutes explosent sporadiquement un peu partout. Le pays vit au rythme de grèves perlées : dans les lycées et les universités contre les programmes, dans les entreprises contre les conditions de travail et les salaires bas…
Une partie de la jeunesse algérienne a espéré au début de l'année 2011 profiter de la vague des soulèvements populaires de leurs voisins. Las, le président algérien a trouvé la parade : arroser de son bas-de-laine confortable grâce aux ressources énergétiques toutes les corporations. Efficace : les révoltes arabes ne passeront pas par Alger.
Mais si l'espoir n'a pas été au rendez-vous et que bon nombre de portes restent fermées, les jeunes ont des projets plein la tête. Ceux qui sont descendus pour lutter contre l'indépendance avait l'âge de Nassim, ceux de la révolte de 1988 aussi, alors pourquoi pas eux ?
De ces soubresauts révolutionnaires, certains ont fait le pari de compter sur eux-mêmes. Le collectif "Les envoyés spéciaux algériens" est un bon exemple. Six étudiants se sont rassemblés et ont créé une page Facebook pour livrer "l'info qui manque". Les émeutes de 2011 les font connaître. désormais, ils racontent la moindre information qu'ils glanent grâce à un réseau solide de contributeurs : les manifestations, les interventions politiques, les grèves, les intempéries… Fort de leur succès, ils ont créé leur site de journalisme citoyen, Nessnews. Ils se rêvent d'être un cinquième pouvoir sans trahir leur idéaux. A l'inverse de nombreux jeunes, ils souhaitent faire de commémoration de la signature des accords d'Evian, un moment important. A l'occasion d'une collaboration avec le "Nouvel Observateur" pour ce cinquantenaire, ils ont écrit sur leur site : "50 ans d'indépendance, cela mérite une immense célébration, mais certainement aussi une profonde réflexion."
Par Sarah Diffalah
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