15.000 ou 20.000 morts en kwasa?

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Il est clair que les chiffres ne rendent pas toujours compte de l’étendue de notre détresse. Car ces morts en kwasa, quel que soit leur no...

compagnie_O_McezoIl est clair que les chiffres ne rendent pas toujours compte de l’étendue de notre détresse. Car ces morts en kwasa, quel que soit leur nombre ou la raison annoncée de leur naufrage en mer, oblige à réfléchir sur une chose terrible. L’incapacité de nos hommes politiques, de quelque bord qu’ils soient, à entrer en partage avec la souffrance de leurs concitoyens. Nous pourrions parler du crash Yemenia ou du naufrage du Madjiriha. Certains d’entre eux avaient cru devoir s’exprimer sur ces drames, sans la moindre concession. Mais quelque chose les empêche d’en faire autant pour les victimes du visa Balladur. Qui peut dire de quoi il s’agit? Surtout en ces heures difficiles où la France réussit à nous isoler du reste du monde, en nous imposant le silence sur nos morts. En mars dernier, l’Etat comorien, avec la bénédiction du président Ahmed Abdallah Sambi, a réussi à prouver, sur une quinzaine de jours, qu’il pouvait sauver des vies, en décrétant une mesure contrecarrant les projets de refoulement et d’expulsion de nos compatriotes aux portes de Mayotte. Ils n’ont même pas eu besoin de recourir au phrasé de la déportation de population qu’invoquent des membres du Comité Maore, regard tourné vers la Cour pénale internationale.

Contourner le droit*

La levée de la mesure sambiiste, remettant le visa Balladur en cause, sous une pluie d’humiliations, orchestrée depuis un premier cercle de l’ambassade de France, laissait sous-entendre que l’Etat comorien se rendait à son tour complice du fossoyeur. Question en tous sens improbable! Mayotte, revendue par l’usurpateur Andrianatsuly ne serait pas si différente d’un Etat comorien, dont le pouvoir en place retirerait de lui-même la question de sa souveraineté pleine et entière à l’Assemblée générale des Nations unies. Une forfaiture que nous avons commise, sans scrupules, du temps d’Azali, oubliant qui nous sommes au demeurant, et acceptant de nous mettre à nu, comme jamais, devant l’adversité. Aujourd’hui, il est même question pour les dirigeants actuels du pays de contourner les principes du droit international, afin de discuter en tête à tête avec les “Mahorais“, au sujet d’un scandale colonial, auquel ils ne peuvent apporter la moindre solution. Les usages étant que la France ou les Nations unies iront parler en leur nom. En fait, si l’on s’en tenait à ce que le pouvoir actuel propose à Moroni, il faudrait que l’on négocie avec ceux qui n’ont aucun moyen de maîtriser leur destin, puisque tout se décide pour eux à l’Elysée ou dans les officines prônant, pour des raisons discutables, le rattachement aux ultra périphéries de l’Europe. Dire cela n’est pas nier le cousinage, ni mépriser le voisin. Dire cela, c’est reconnaître que Mayotte, comme ce pays dans son ensemble, a été géré par des hommes et des femmes (très peu, disons-le) qui n’ont cessé de le foutre à terre, faute de saisir la manière dont la ficelle est tirée de l’extérieur. Pantins, nous étions.

“Et pourtant, nous avons…”

Pantins, nous le sommes, encore et pour longtemps. Où l’on se rappelle la fameuse maxime de triste réputation: “mhono mndru yatso udjw’a huuvundza, mndru wunuka“. Ce que l’on persiste à nous faire croire, c’est que les Mahorais (et l’ensemble des habitants de cet archipel) seraient acteurs de leur propre déchéance, en histoires et en actes. Alors que nous savons tous, pour avoir lu ou parcouru les quelques lignes transmises par la brutale épopée des coloniaux en mission sous nos tropiques, que les faits ont été déconstruits, de manière intelligente et sournoise. Certes, au service d’une élite locale, souvent revancharde et illégitime, mais toujours sans que personne ait pu vraiment donner de la voix, à Mayotte, comme dans le reste de l’archipel, contre le droit d’être soumis aux stratégies de mainmise d’une France politique, rarement humaine, dès lors que ses intérêts géostratégiques se retrouvaient menacés.

L’amie…

Il n’est pas question ici de nyanyarer du verbe, comme on le dirait en comorien du bas de la rue. Il est surtout question de dire que “l’ennemi héréditaire dont on ne cite jamais le nom par peur de sombrer dans l’extrémisme“** nous amène à scier la branche sur laquelle nous sommes assis, sans qu’on lui oppose la moindre réticence face à son entreprise de démantèlement. Je reprends là une phrase de fiction théâtrale, mais si la France était notre amie, je parle bien entendu d’un Etat, qui, lui, n’a que des intérêts sous nos tropiques (cf. De Gaule), s’il est vrai que cette France est notre amie, pourquoi accepte-t-elle que l’on sacrifie autant de vies en kwasa, en son nom? Une liste de drames sur lesquels nous serons peut-être d’accord est à rappeler ici. Le président Ali Soilih, n’est pas mort de sa belle mort. Ahmed Abdallah (heureusement que l’ancien premier ministre français, Michel Rocard, n’a pas perdu sa lucidité sur les Comores et la relation coloniale, ce qui lui a permis de nous rappeler récemment que Denard était en service commandé en 1989), n’a pas été assassiné par un officier comorien en rébellion. Mohamed Taki Abdoulkarim, mort empoisonné, en sortant d’une villa appartenant au fils Denard à Marbella.

… l’autel…

Le président Saïd Mohamed Djohar, animal politique surgi du miracle d’une encre (in)délébile, sortie sous bonne escorte des offices de l’ambassade de France pour aller servir dans les bureaux de vote comoriens, lors de son élection en 1991, fut, lui, déporté en 1994 au Cirque de Salazie, à l’instar du dernier sultan, Saïd Ali mfaume, dont on retrouve difficilement la trace dans nos mémoires broyées. Tous ces gens ont été sacrifiés à l’autel de la relation franco-comorienne pour avoir hésité ou dit non à la bêtise dans l’exercice de leur fonction. Au fond, qu’est-ce qu’on appelle un pays ami? Celui qui orchestre la mise à mort permanente d’un peuple aspirant à sa souveraineté pour pouvoir garder la main sur près de 370 km de terres marines dans un océan désormais marketé, en se vantant d’être la superpuissance encore régnante de la région face aux supers tankers pétroliers de passage, en faisant et défaisant les régimes en place, et en entretenant un jardin secret aux “grandes oreilles“ satellitaires de l’autre côté du lagon? Ou celui à visage humain qui se refuse à ce que la République française foule au sol le destin d’un peuple tiers, situé à dix mille kilomètres de Paris? Je pense là, aux Pierre Caminade, William Souny, Isabelle Mohamed et à ces autres citoyens français, qui considèrent (pour l’avoir écrit) que nos deux peuples ont d’autres histoires à se raconter que celle de la tragédie du Mur Balladur. Il est admis que tous ceux qui rappellent cette vérité à l’oreille endormie de nos concitoyens des deux rives (comoriennes et françaises) doivent être taxés d’anti-français primaires.

… l’”anti-Français”…

Une façon définitive de disqualifier le discours du perdant qui surnage en eaux profondes. Pour ma part, je crains sincèrement que les véritables anti-français soient à trouver du côté de ceux qui tuent en ces eaux d’une main froide dans l’idée de garder un éternel contrôle sur nos consciences en déroute. Dans mes “rêves les plus fous“, la France aurait pu devenir ce qu’elle n’a jamais été en ces îles, où l’hospitalité a longtemps servi à intégrer l’étranger dans un pacte du village, certes de nos jours dépassé. Les Austronésiens, les Perses, les Portugais, les Arabes, les Juifs, les Bantous, et j’en passe, pourraient longuement nous en causer, de notre hospitalité légendaire. A se demander ce qui empêche la France, arrivée en 1841, de rejoindre cette fratrie d’étrangers à qui on a su faire une grande place dans nos imaginaires. Rien, sans doute. Sauf cette idée qui consiste à penser que nous serions des “moins que rien“, à qui elle imposerait une seule et unique loi, celle de la conquête, un principe de domination que l’on pensait révolu. Idiots que nous étions, nous y avons crus.

… et l’idiot

Et c’est ainsi que se partage la bêtise de l’homme, notre semblable, à grande échelle, en mer indianocéane. Pour rappel! Denard est venu, une poignée d’entre nous, comoriens opportunistes, a applaudi, avec liesse. Une trahison que nous n’avons même plus le droit d’évoquer entre deux mabawa décongelées sur le grill. Balladur a suivi, une autre poignée de Comoriens, survivant grâce au démantèlement, pièce par pièce, de “cet archipel au visage décati“, a prouvé sa capacité à rester insensible face aux milliers de morts, “qui se noient sous le lagon au crépuscule d’un matin sans brumes“.

Une plainte contre l’Etat comorien

A-t-on le droit de nous interroger sur le silence des nôtres? A t-on le droit de discuter des limites de cette débâcle “remontant aux premiers émois de la colonie“? Se taire n’a jamais été une solution viable sur le long terme. A moins de souscrire à cette autre proposition qu’avancent nos dirigeants actuels: le déni du droit international. Le seul qui nous reconnaisse la possibilité d’honorer nos morts, tombés pour avoir, parfois avec beaucoup de maladresses, défendu cette terre. A t-on jamais pensé, au Comité Maore, qui milite vaillamment pour le retour de Mayotte dans le giron familial, à porter plainte contre l’Etat comorien pour complicité dans le prolongement de l’affaire dite du Visa Balladur, du moins depuis ce mois de mars 2011, où Sambi nous a montré “ce que nous n’avions jamais vu“ depuis la mort du mongozi Ali Soilih face à l’adversité coloniale. J’ose à peine imaginer ce qui se raconterait dans un tribunal d’exactions marines en archipel, où nos propres dirigeants se tiendraient à la barre, non pas des témoins, mais des accusés de complicité.

Le “Mur” contre votre âme !

Là aussi, nous nous ferons probablement taxer d’extrémisme. Il est tellement plus simple d’imaginer que le mur Balladur s’écroulera de lui-même. On nous raconte que trois sénateurs français, actuellement en mission dans l’archipel, pensent, eux, que leur pays pourrait négocier l’effondrement de ce mur Balladur contre la reddition de tous, et au nom d’une coopération régionale à inventer. Une manière pour eux de rappeler le temps des renonciations. Une manière pour nous de repenser à l’essentiel d’une leçon de maître. Tant que la bête ne vagit pas au sol, en remerciant son égorgeur de l’achever, le combat, et nous le savons, ne prend pas fin. Car nous sommes, rappelons-le, les victimes consentantes d’une guerre sans nom, d’une violence sourde, souterraine, rampante. Aviez-vous remarqué qu’après 36 années d’indépendance autoproclamée, l’eau nous est rationnée, l’électricité également? Salaires, médicaments, enseignements d’école, et même nos rêves, tout se négocie, au jour le jour, selon l’humeur des “petits pouvoirs“ locaux, “menacés d’effondrement“. Des petits pouvoirs qui n’arrivent pas à répondre à nos besoins les plus immédiats, à cause de leurs pratiques d’inféodation. Inféodation à des systèmes qui nous sont étrangers dans leur essence.

Est-il écrit ?

Au fond, qu’est-ce qu’un pays en guerre? D’aucuns trouveront que j’exagère sur le sens et la portée des mots. Le défunt président Abdallah (et sa fameuse théorie de la guerre de la salive) m’aurait, lui, donné raison. Mais s’il est vrai que je suis condamné à ne jamais voir le pays qu’on m’a vendu à la naissance, aurais-je le droit un jour, en tant que “mwandzishi tordu“ d’un pays déconstruit, d’imaginer un mieux-vivre pour les miens et leurs proches? Dans cet archipel aux hommes si pieux, j’ai eu beau demander, autour de moi, aux imams, à mes anciens profs d’école coranique, à mes cousins passés djihadistes, s’il était écrit quelque part, sur les tablettes de Dieu, que les Comoriens, entre le 19ème et le 21ème siècle, seraient condamnés à subir l’inconcevable. Ils m’ont tous répondu qu’il n’en était rien. Donc je voudrais qu’on n’arrête de nous prendre pour ceux que nous ne sommes pas. Car ce pays retrouvera peut-être un peu de dignité le jour où nous saurons dire non à la bêtise humaine, d’où qu’elle vienne. Autrement dit, je suis peut-être susceptible d’être taxé à nouveau d’anti-français, d’anti-comorien, voire d’anti-tout, en considérant qu’il est de mon devoir, en tant que citoyen, de rappeler autant de fois que possible l’inacceptable.

Où sont-ils ?

Les milliers de mort du Visa Balladur et tout ce que l’on a pu sacrifier dans ce pays, au nom d’intérêts qui nous dépassent, méritent un procès, voire des assises, à inscrire dans nos projets à court terme. Car nous ne pouvons plus, faux dévots que nous sommes, nous contenter de faire porter au bon Dieu tous nos manquements. D’où cette question, qui pend lourdement aux lèvres de nos concitoyens : “Où sont terrés les pères de la nouvelle nation en gestation“. Ils étaient là en 1975. Ils sont passés où depuis?

Soeuf Elbadawi Artiste et auteur

"Image prise lors d'une performance de la compagnie O Mcezo* consacrée aux morts du Visa Balladur" (Crédit Soeuf Elbadawi)
Source : alwatwan

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