«Au Tchad sous les étoiles». L'évocation de cette œuvre du Tchadien Joseph Brahim Seid (1927-1980) fait penser à un Tchad baignant dans ...
«Au Tchad sous les étoiles». L'évocation de cette œuvre du Tchadien Joseph Brahim Seid (1927-1980) fait penser à un Tchad baignant dans la sérénité, plongé dans la douceur nocturne du désert voisin, illuminé par le scintillement naturel des astres, bref, vivant dans la paix.
Mais, comme il s'agit du Tchad, il faut employer le mot «paix» avec componction et prudence, tant il est vrai que ce pays est l'un des plus marqués par la belligérance, l'un de ceux qui alimentent les statistiques les plus morbides et les plus inquiétants du fait de la guerre. Et on sait que «la guerre est le phénomène social le plus constant. Elle est la plus importante des relations entre les peuples. Sur trois mille quatre cents ans d'histoire connue, il n'y a que deux cent cinquante ans de paix générale » (Maurice Torrelli: Droit international humanitaire, PUF, Collection «Que sais-je ?» n2221, Paris, 1985, p. 3). Plus grave encore, «les Instituts de polémologie font observer que le monde n'a connu que... 26 jours de paix depuis la Seconde Guerre mondiale. Si on adopte d'autres critères moins rigoureux de ce qu'est un jour sans guerre, on obtient, selon d'autres calculs, trois jours de paix totale par an dans le monde, ce qui n'est pas réjouissant» (Mohammed Bedjaoui: Article 1. Commentaire général, in Jean-Pierre Cot et Alain Pellet: La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article (Collectif), 2ème édition, Économica, Paris, 1991, p. 29).
Depuis son accession à l'indépendance le 11 août 1960, le Tchad ne connaît pas la signification du mot «paix», vit au rythme des rébellions sanglantes qui se succèdent, et a fini par devenir le théâtre sanglant sur lequel s'affrontent les ambitions de pouvoir de toutes sortes de «saigneurs» de guerre, alliés aujourd'hui, ennemis demain, des «saigneurs» de guerre au passé douteux qui se succèdent à la tête du Tchad par le seul recours aux armes, le mot «démocratie» étant banni de leur vocabulaire politique. Hissène Habré, Goukouni Weddeye et Idriss Deby Itno (il a ajouté le nom Itno en janvier 2006) ne sont-ils pas tous des «saigneurs» de guerre et n'ont-ils pas alimenté la chronique de sang, larmes et deuil du Tchad, s'alliant quand les intérêts convergent – solidarité objective, donc –, se combattant mortellement quand les intérêts divergent, – inimitié subjective?
Hissène Habré était l'allié de Goukouni Weddeye avant de se retourner contre lui, de retourner les armes contre lui, et de le renverser. Idriss Deby Itno était l'allié de Hissène Habré, avant de se retourner contre lui, de retourner les armes contre lui, et de le renverser. De joyeux drilles! Quand il chassa Hissène Habré de N'Djamena (qui signifie «Laissez-nous tranquilles») le 1er décembre 1990 et se fit confirmer à la tête du Tchad le 4 décembre 1990, Idriss Deby Itno marqua les esprits de manière très positive en déclarant ne promettre «ni l'or, ni l'argent, mais la liberté». Cela étant, on ne lui tiendra pas rigueur pour n'avoir pas apporté aux Tchadiens l'or et l'argent, qu'il n'avait jamais promis, mais on est en droit de lui demander des comptes sur le douloureux chapitre de la liberté, une liberté promise. Car, il ne semble pas que la liberté soit le fondement de la République au Tchad, sauf erreur de ma part. Et, observateurs et acteurs politiques sont unanimes sur un point: le Tchad d'Idriss Deby Itno n'est pas un pays de liberté, sauf s'il faut donner à la liberté une autre définition. Et, justement, tous les malheurs du Tchad viennent de ce cruel déficit démocratique.
Le 10 janvier 2010, dans un geste spectaculaire et d'une intelligence politique et diplomatique inouïe, Idriss Deby Itno prend tout le monde de court en se rendant à Khartoum, au Soudan, chez son ennemi intime, Hassan Omar El-Béchir, Président du Soudan, ou plus précisément le boucher du Darfour (contre qui la Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt international), pour se réconcilier avec lui afin que le Tchad cesse de soutenir les rebelles soudanais, et que le Soudan cesse de donner le sein aux rebelles tchadiens. Le geste spectaculaire du Président Idriss Deby Itno avait suscité nos applaudissements car il fallait rendre plus lisibles et plus paisibles les relations entre le Tchad et le Soudan. Mais, la démarche du Président tchadien est restée incomplète car, si la réconciliation a eu lieu à l'extérieur du Tchad, celle de l'intérieur joue toujours les arlésiennes. En d'autres termes, la dynamique externe est orpheline d'une dynamique interne, étant entendu que ce sont bien des Tchadiens qui luttent contre le régime politique d'Idriss Deby Itno que soutenait le Soudan, et que la réconciliation tchado-soudanaise ne les concerne pas au premier chef (ils n'ont rien signé, ces rebelles). En même temps, l'agenda politique interne du Tchad crie à l'urgence car il est surchargé. Les urgences sont nombreuses donc, tout comme les plaies non cicatrisées.
Parmi les plaies béantes du Tchad, il y a en tout premier lieu le dossier du «Ben Barka tchadien», Ibni Oumar Mahamat Saleh, Professeur de Mathématiques à l'Université de N'Djamena, universitaire bien connu dans les milieux scientifiques internationaux, et une des personnalités politiques les plus en vue et les plus emblématiques de l'opposition tchadienne. Ibni Oumar Mahamat Saleh a été enlevé le 3 février 2008 par des soldats de l'Armée tchadienne et n'a jamais été retrouvé. Ce 3 vendredi 3 février 2012, nous commémorons le 4ème anniversaire de son rapt et de sa disparition. Sinistre. Ibni Oumar Mahamat Saleh constitue une épine qui lacère jour après jour le pied du Président Idriss Deby Itno.
Par ailleurs, l'acharnement contre le Député Saleh Kebzabo, menacé de la levée de son immunité parlementaire pour des rumeurs de couloirs et de bouchère, représente aussi un sujet de préoccupation sur lequel la présidence tchadienne doit agir avec intelligence, en classant ce dossier vide. Il y va de la crédibilité du Tchad en tant qu'État.
Aujourd'hui, le regard du monde entier se tourne vers un officier: le Général Baba Laddé, qui combat militairement le régime politique d'Idriss Deby Itno. Il ne s'agit pas d'une «bidasse» ubuesque ou d'un Caporal comme c'était le cas du Caporal Foday Sankoy en Sierra Leone, mais d'un Général. Un Général, un Général qui bénéficie de soutiens solides en Centrafrique et au Cameroun, des pays entretenant de bonnes relations officielles avec le Tchad.
Au-delà de ces trois situations particulières, il est certain que le Tchad doit se pencher sur lui-même, en recherchant la paix. Mais, il n'y aura pas de paix sans démocratie dans ce pays. Le Tchad a besoin d'organiser une nouvelle conférence nationale, et ce, pour parler de deux choses: d'une part, la démocratisation de son régime politique, d'autre part et par voie d'implication nécessaire, de son retour à la paix. L'Angola et le Mozambique y sont arrivés. La réconciliation nationale est toujours possible.
Chez nous aux Comores, où la mauvaise foi est le trait commun à tous les politiciens, nous pouvons passer des années dans des palabres de banabana, et cela donne lieu à un phénomène que nous appelons communément «la guerre de la salive»: on parle et on négocie. On parle aussi du «Chouoira», «la solution», car il faut trouver une solution. Aux Comores, l'interprétation de l'article le plus clairement rédigé de la Constitution peut prendre des années. Le règlement de la moindre crise politique peut prendre des années, et mobilise toujours la communauté internationale. Mais, on négocie. On négocie.
Pour que tous les rebelles tchadiens puissent déposer les armes, il faudrait donner de garantis aux candidats aux élections afin que chacun soit convaincu que la victoire électorale sera accordée à celui qui a la faveur des urnes. Il est impératif que les enfants du Tchad se parlent, car 52 ans de conflits armés n'ont rien réglé. Dans la pure tradition africaine, les Tchadiens doivent s'asseoir autour de l'arbre à palabres et se parler. Ils ne doivent parler que de démocratisation du pays, réconciliation nationale et paix.
Par Abdelaziz RIZIKI MOHAMED
Écrivain comorien
Animateur du site www.lemohelien.com
Mais, comme il s'agit du Tchad, il faut employer le mot «paix» avec componction et prudence, tant il est vrai que ce pays est l'un des plus marqués par la belligérance, l'un de ceux qui alimentent les statistiques les plus morbides et les plus inquiétants du fait de la guerre. Et on sait que «la guerre est le phénomène social le plus constant. Elle est la plus importante des relations entre les peuples. Sur trois mille quatre cents ans d'histoire connue, il n'y a que deux cent cinquante ans de paix générale » (Maurice Torrelli: Droit international humanitaire, PUF, Collection «Que sais-je ?» n2221, Paris, 1985, p. 3). Plus grave encore, «les Instituts de polémologie font observer que le monde n'a connu que... 26 jours de paix depuis la Seconde Guerre mondiale. Si on adopte d'autres critères moins rigoureux de ce qu'est un jour sans guerre, on obtient, selon d'autres calculs, trois jours de paix totale par an dans le monde, ce qui n'est pas réjouissant» (Mohammed Bedjaoui: Article 1. Commentaire général, in Jean-Pierre Cot et Alain Pellet: La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article (Collectif), 2ème édition, Économica, Paris, 1991, p. 29).
Depuis son accession à l'indépendance le 11 août 1960, le Tchad ne connaît pas la signification du mot «paix», vit au rythme des rébellions sanglantes qui se succèdent, et a fini par devenir le théâtre sanglant sur lequel s'affrontent les ambitions de pouvoir de toutes sortes de «saigneurs» de guerre, alliés aujourd'hui, ennemis demain, des «saigneurs» de guerre au passé douteux qui se succèdent à la tête du Tchad par le seul recours aux armes, le mot «démocratie» étant banni de leur vocabulaire politique. Hissène Habré, Goukouni Weddeye et Idriss Deby Itno (il a ajouté le nom Itno en janvier 2006) ne sont-ils pas tous des «saigneurs» de guerre et n'ont-ils pas alimenté la chronique de sang, larmes et deuil du Tchad, s'alliant quand les intérêts convergent – solidarité objective, donc –, se combattant mortellement quand les intérêts divergent, – inimitié subjective?
Hissène Habré était l'allié de Goukouni Weddeye avant de se retourner contre lui, de retourner les armes contre lui, et de le renverser. Idriss Deby Itno était l'allié de Hissène Habré, avant de se retourner contre lui, de retourner les armes contre lui, et de le renverser. De joyeux drilles! Quand il chassa Hissène Habré de N'Djamena (qui signifie «Laissez-nous tranquilles») le 1er décembre 1990 et se fit confirmer à la tête du Tchad le 4 décembre 1990, Idriss Deby Itno marqua les esprits de manière très positive en déclarant ne promettre «ni l'or, ni l'argent, mais la liberté». Cela étant, on ne lui tiendra pas rigueur pour n'avoir pas apporté aux Tchadiens l'or et l'argent, qu'il n'avait jamais promis, mais on est en droit de lui demander des comptes sur le douloureux chapitre de la liberté, une liberté promise. Car, il ne semble pas que la liberté soit le fondement de la République au Tchad, sauf erreur de ma part. Et, observateurs et acteurs politiques sont unanimes sur un point: le Tchad d'Idriss Deby Itno n'est pas un pays de liberté, sauf s'il faut donner à la liberté une autre définition. Et, justement, tous les malheurs du Tchad viennent de ce cruel déficit démocratique.
Le 10 janvier 2010, dans un geste spectaculaire et d'une intelligence politique et diplomatique inouïe, Idriss Deby Itno prend tout le monde de court en se rendant à Khartoum, au Soudan, chez son ennemi intime, Hassan Omar El-Béchir, Président du Soudan, ou plus précisément le boucher du Darfour (contre qui la Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt international), pour se réconcilier avec lui afin que le Tchad cesse de soutenir les rebelles soudanais, et que le Soudan cesse de donner le sein aux rebelles tchadiens. Le geste spectaculaire du Président Idriss Deby Itno avait suscité nos applaudissements car il fallait rendre plus lisibles et plus paisibles les relations entre le Tchad et le Soudan. Mais, la démarche du Président tchadien est restée incomplète car, si la réconciliation a eu lieu à l'extérieur du Tchad, celle de l'intérieur joue toujours les arlésiennes. En d'autres termes, la dynamique externe est orpheline d'une dynamique interne, étant entendu que ce sont bien des Tchadiens qui luttent contre le régime politique d'Idriss Deby Itno que soutenait le Soudan, et que la réconciliation tchado-soudanaise ne les concerne pas au premier chef (ils n'ont rien signé, ces rebelles). En même temps, l'agenda politique interne du Tchad crie à l'urgence car il est surchargé. Les urgences sont nombreuses donc, tout comme les plaies non cicatrisées.
Parmi les plaies béantes du Tchad, il y a en tout premier lieu le dossier du «Ben Barka tchadien», Ibni Oumar Mahamat Saleh, Professeur de Mathématiques à l'Université de N'Djamena, universitaire bien connu dans les milieux scientifiques internationaux, et une des personnalités politiques les plus en vue et les plus emblématiques de l'opposition tchadienne. Ibni Oumar Mahamat Saleh a été enlevé le 3 février 2008 par des soldats de l'Armée tchadienne et n'a jamais été retrouvé. Ce 3 vendredi 3 février 2012, nous commémorons le 4ème anniversaire de son rapt et de sa disparition. Sinistre. Ibni Oumar Mahamat Saleh constitue une épine qui lacère jour après jour le pied du Président Idriss Deby Itno.
Par ailleurs, l'acharnement contre le Député Saleh Kebzabo, menacé de la levée de son immunité parlementaire pour des rumeurs de couloirs et de bouchère, représente aussi un sujet de préoccupation sur lequel la présidence tchadienne doit agir avec intelligence, en classant ce dossier vide. Il y va de la crédibilité du Tchad en tant qu'État.
Aujourd'hui, le regard du monde entier se tourne vers un officier: le Général Baba Laddé, qui combat militairement le régime politique d'Idriss Deby Itno. Il ne s'agit pas d'une «bidasse» ubuesque ou d'un Caporal comme c'était le cas du Caporal Foday Sankoy en Sierra Leone, mais d'un Général. Un Général, un Général qui bénéficie de soutiens solides en Centrafrique et au Cameroun, des pays entretenant de bonnes relations officielles avec le Tchad.
Au-delà de ces trois situations particulières, il est certain que le Tchad doit se pencher sur lui-même, en recherchant la paix. Mais, il n'y aura pas de paix sans démocratie dans ce pays. Le Tchad a besoin d'organiser une nouvelle conférence nationale, et ce, pour parler de deux choses: d'une part, la démocratisation de son régime politique, d'autre part et par voie d'implication nécessaire, de son retour à la paix. L'Angola et le Mozambique y sont arrivés. La réconciliation nationale est toujours possible.
Chez nous aux Comores, où la mauvaise foi est le trait commun à tous les politiciens, nous pouvons passer des années dans des palabres de banabana, et cela donne lieu à un phénomène que nous appelons communément «la guerre de la salive»: on parle et on négocie. On parle aussi du «Chouoira», «la solution», car il faut trouver une solution. Aux Comores, l'interprétation de l'article le plus clairement rédigé de la Constitution peut prendre des années. Le règlement de la moindre crise politique peut prendre des années, et mobilise toujours la communauté internationale. Mais, on négocie. On négocie.
Pour que tous les rebelles tchadiens puissent déposer les armes, il faudrait donner de garantis aux candidats aux élections afin que chacun soit convaincu que la victoire électorale sera accordée à celui qui a la faveur des urnes. Il est impératif que les enfants du Tchad se parlent, car 52 ans de conflits armés n'ont rien réglé. Dans la pure tradition africaine, les Tchadiens doivent s'asseoir autour de l'arbre à palabres et se parler. Ils ne doivent parler que de démocratisation du pays, réconciliation nationale et paix.
Par Abdelaziz RIZIKI MOHAMED
Écrivain comorien
Animateur du site www.lemohelien.com
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