Claude Guéant a affirmé, samedi 4 février, que "toutes les civilisations ne se valent pas" et a appelé à "protéger notre c...
Claude Guéant a affirmé, samedi 4 février, que "toutes les civilisations ne se valent pas" et a appelé à "protéger notre civilisation". |
Né à Tunis en 1946, Abdelwahab Meddeb enseigne la littérature comparée à l'université Paris-X-Nanterre. Il a notamment publié aux éditions du Seuil, La maladie de l'islam (2002), Sortir de la malédiction. L'islam entre civilisation et barbarie (2008),Pari de civilisation (2009). En 2011, il a publié Printemps de Tunis aux éditions Albin Michel.
Comment avez-vous reçu les propos de Claude Guéant affirmant que "toutes les cultures ne se valent pas" et qu'"il y a des civilisations que nous préférons" ?
Comment croire encore à l'inégalité des cultures quand on sait ce que l'ethnologie, l'anthropologie, la linguistique, la biologie ont apporté ? L'affirmer révèle soit l'ignorance soit le cynisme politique. C'est ce que fait M. Guéant en période électorale : gageons que ses propos relèvent de la seconde hypothèse.
Quelle culture, civilisation ou communauté est, selon vous, visée par le ministre de l'intérieur ?
De fait, ce sont les musulmans et les Arabes qui sont visés. Les stigmatiser comme inférieurs par nature est destiné à flatter le courant raciste du Front national (FN) pour le drainer vers son propre parti. Comment M. Guéant ose-t-il quasi explicitement rejeter ces communautés hors de l'esprit des Lumières au moment même où les peuples auxquels ces communautés appartiennent ont confirmé sur leur propre sol l'universalité du droit naturel ? Ne sont-ils pas les premiers aujourd'hui capables de mourir pour la liberté, l'égalité, la dignité ? Que le mouvement révolutionnaire arabe qui occupe depuis plus d'un an la scène de l'actualité ait été dévoyé par de vieux démons n'illustre que la dialectique de l'Histoire.
Selon vous le "fanatisme fut la maladie du catholicisme", le nazisme celle de l'Allemagne, et "l'intégrisme est la maladie de l'islam". Est-il donc permis de soumettre les civilisations au droit d'inventaire ?
Toute culture a à conjurer ses vieux démons tant elle bascule entre civilisation et barbarie. Si la barbarie de l'islam est l'islamisme, la barbarie de la culture à laquelle appartient M. Guéant reste le racisme. L'un et l'autre sont exclusivistes, niant l'altérité et s'estimant par nature supérieures. Faut-il rappeler les ravages que la culture occidentale a produits à travers le colonialisme et le nazisme, ces deux formes de racisme qui se sont exprimées par la violence meurtrière ? Ces barbaries n'ont pu être contenues malgré la très haute civilisation que le même Occident a donnée à l'humanité.
Ainsi les propos de M. Guéant ne correspondent pas à l'apport civilisateur de sa propre culture. Ils confirment plutôt la propension à la barbarie qui loge en elle. Je suggère à M. Guéant de lire Le Fou d'Elsa(1963) ; il y verra son compatriote Louis Aragon traverser la "forêt d'islam" où s'entend la rumeur de la confrontation entre civilisation et barbarie au sein de cette culture. Cette oeuvre est un don de civilisation qu'un Français offre au peuple algérien en train de recouvrir sa souveraineté ; elle lui permet d'être reconnu dans sa dignité humaine après avoir souffert pendant 130 ans du déni et de la barbarie raciste qui ont décrété sa culture inférieure au point d'en associer les sujets à une espèce de sous-humanité. Source: le journal français Le monde
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