Maître Arielle Moreau, avocate au barreau de Saint-Pierre, est une ardente protectrice des animaux. Elle a donc naturellement été cho...
Maître Arielle Moreau, avocate au barreau de Saint-Pierre, est une ardente protectrice des animaux. Elle a donc naturellement été choquée par le projet de l'Etat français, qui par le biais de la Réserve naturelle nationale (RNN) et de la DEAl (Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement), envisage la mise à mort à Mayotte de plusieurs centaines de lémuriens protégés par différentes conventions internationales. Et comme ces fonctionnaires se doutent de l'opposition qu'une telle mesure suscitera, ils préconisent de se débarrasser des cadavres en mer, de façon à préserver le secret devant entourer l'opération...
Dans une note publiée sur la page Facebook "Sauvons les lémuriens de Mbouzi à Mayotte", Me Arielle Moreau détaille les raisons qui ont mené à cette situation, et décrit les horreurs envisagées par le gouvernement pour résoudre, à sa façon, le problème.
A lire absolument jusqu'au bout sa note que nous reproduisons ci-dessous, meme si c'est un peu long.
Le Lémur brun ou Eulemur fulvus mayottensis est une sous-espèce du Eulemur fulvus, qui est endémique à Madagascar.
Le maki est présent à Mayotte depuis plusieurs siècles, et il se trouve encore à l’état sauvage sur la Grande Terre.
En raison de la déforestation et de la dégradation de leurs équilibres naturels - des études récentes font état de la disparition de 40 % des surfaces boisées de Mayotte entre 1999 et 2008 - cette espèce est aujourd’hui en voie de disparition.
Depuis 1974, la population des makis a diminué de 60 %, de 1999 à 2008 le nombre a été divisé par deux, et en 2008 on recensait 21.000 individus (Tattersall 1976/1977, 1989 et Tarnaud et Simnen 2002).
Les makis sont protégés à double titre par la convention de Washington ou convention C.I.T.E.S (commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), où ils sont inscrits en annexe I, comme tous les lémuridés, et par l’arrêté préfectoral n°347 du 7 août 2000, fixant la liste des espèces protégées à Mayotte.
Le lémurien brun est considéré comme une espèce à Bas Risque qui est proche de passer au statut d’espèce en danger par la Liste Rouge de l'IUCN - Union Internationale pour la Conservation de la Nature en France -(2008).
Un conflit de territoire oppose cette espèce frugivore et les agriculteurs qui empiètent de plus en plus sur les forêts.
Les makis vont ainsi se nourrir dans les jardins et les cultures, suscitant le mécontentement des agriculteurs ou des particuliers qui se font voler de la nourriture.
A l’occasion de ces rencontres, les makis sont parfois attaqués par des chiens domestiques ou blessés par des humains.
Du fait de la pression anthropique (disparation des forêts, manque de mesures de protection des habitats des makis, circulation automobile, etc.), nombre de makis blessés sont régulièrement trouvés par des particuliers, certains sont également victimes d’abandon après avoir été capturés à l’état juvénile pour servir comme animal de compagnie.
Dans l’un ou l’autre cas, leur état de santé ou de dépendance à l’homme ne permet pas de les relâcher immédiatement dans la nature.
Faute de refuge, les particuliers qui trouvent à un animal nécessitant une prise en charge, se retournent naturellement vers les vétérinaires, les forces de l’ordre ou les pompiers, lesquels contactent aussitôt Mme Gandon.
C’est donc dans ce contexte qu’est née l’association TERRE D’ASILE le 2 mai 1987.
Cette association agrémentée par la préfecture de Mayotte, a pour objet de recueillir les individus blessés, capturés, orphelins ou encore abandonnés par des particuliers.
La présidente, Mme Gandon, qui dans un premier temps accueillait les makis à son domicile situé à Grande terre, s’est trouvée très vite dépassée par le nombre des animaux blessés ou orphelins que l’on venait lui déposer, aucune infrastructure officielle n’existant.
La création d’un refuge s’est alors imposée
L’association TERRE D’ASILE avec l’appui de l’État, du conseil général et de la commune, propriétaire du site, a donc créé un refuge dans un ancien lazaret situé sur l'îlot MBouzi d’une surface de 85 ha, sur lequel vivait déjà à l’état naturel une petite colonie de makis d’environ 30 individus, introduits par un agriculteur de Petite terre.
Depuis 14 ans, l’association y recueille, y soigne, y nourrit et y abreuve les lémuriens blessés ou maltraités en provenance de la Grande Terre, avant leur relâchage dans la forêt.
L'îlot ayant peu de ressources fruitières et étant dépourvu de source d'eau douce, la population des lémuriens doit sa survie à l’association "Terre d’Asile" qui achemine chaque jour depuis Grande-Terre, par barque, plusieurs centaines de litres d’eau et de kilos de nourriture.
L’association finance le fonctionnement de ce refuge sur ses fonds propres et ceux de sa présidente, sans aide de l’État.
En 14 ans, le nombre des makis a augmenté dans des proportions importantes du fait de l’introduction de nouveaux protégés, mais également en raison de la reproduction des makis qui ont été relâchés.
A ce jour près de 800 makis (rescapés ou natifs), vivent en totale liberté dans la forêt de l'îlot MBouzi. D’après les études menées, il existerait une quarantaine de clans et, à l’intérieur de ces clans, des groupes d’une dizaine d’individus comportant autant de mâles que de femelles
En 2007, l’îlot de MBouzi a été classé Réserve Naturelle Nationale (RNN) par décret n°2007-105 du 26 janvier 2007, dans une démarche de reconquête de la forêt sèche disparue depuis de nombreuses décennies.
La création de la réserve stipule qu'une zone terrestre de 3 ha peut être affectée à d’autres activités que celles liées directement à la gestion de la réserve ou à sa valorisation et que des espèces animales ou végétales ayant existé sur l’îlot ou à Mayotte peuvent être réintroduites.
Cette dérogation aux activités de la gestion de la réserve a été adoptée précisément pour permettre à l’association TERRE D’ASILE de poursuivre sa mission d’intérêt public.
C’est donc dans cette même logique qu’un arrêté préfectoral N°078/DAF/SEF/2007 a autorisé l'activité de Terre d'Asile sur la RNN.
La gestion de cet îlot était jusque là du ressort de l’ancienne Direction de l'Agriculture et de la Forêt (DAF), chargée de la protection de la faune sauvage sur Mayotte.
Conformément au décret, un gestionnaire de cette RNN a été désigné en lieu et place de la DAF.
C’est ainsi que (semble t-il, sans appel d’offre ou appel à la concurrence préalable), le 23 Septembre 2008, l’"Association des Naturalistes de Mayotte", dont le président est M. Michel Charpentier, a été désignée comme gestionnaire de la RNN.
Depuis cette date, l’association TERRE D’ASILE est victime d’une campagne de dénigrement de la part du gestionnaire de la réserve qui lui fait grief d’être à l’origine de la prolifération des makis sur l’île.
Le gestionnaire met tout en œuvre pour évincer l’association et les makis de la RNN.
C’est dans ce contexte polémique que le préfet a pris un arrêté n° 094-2010 du 19/09/2010, notifié le 01/10/2010, donnant tout pouvoir au gestionnaire de la RNN pour mettre en œuvre un plan de suppression progressive du nourrissage des lémuriens de l'îlot M'Bouzi et abrogeant l'arrêté n° 078- 2007 du 30/07/2007.
Le 30 septembre, un arrêté de subvention de 9.372 euros a été signé au bénéfice du gestionnaire pour la phase 2010 de mise en œuvre du plan d’alimentation.
Cette subvention qui a été perçue par l’association gestionnaire n’a jamais été affectée à la mise en œuvre du plan d’alimentation.
Une sommation intepellative a été signifiée le 30 novembre 2010, par voie d’huissier au gestionnaire qui confirme cet état de fait.
Différentes missions ont été menées à la demande de l’État pour tenter de dégager des solutions : rapport conjoint du conservateur de la RNN et de la DEAL de mars 2011, et rapport de M. Estève pour le compte du Conseil National de Protection de la Nature.
Force est de constater que ces rapports ne reposent que sur des présupposés et non sur des études scientifiques et que par ailleurs le peuple mahorais a été tenu à l’écart de ces missions !!! Et ce alors même que nombre d’associations locales ont manifesté leur souhait d’être associées au devenir de l’îlot de MBOUZI et des makis (notamment M. Ali MADI président de la Fédération mahoraise des associations environnementales).
Trois solutions sont proposées par l’État pour réduire la population de makis : la réintroduction des makis sur la Grande terre ou leur transfert dans des parcs zoologiques, la stérilisation, et leur mise à mort, mesure présentée comme la mesure la plus "propre" et la moins onéreuse….
C’est ainsi que l’on peut lire dans le rapport de 2011 rédigé conjointement par le conservateur de la RNN et la DEAL de Mayotte, les conclusions suivantes :
"La réaction des animaux à une campagne d'euthanasie n'est pas connue, elle variera selon la méthode utilisée.
Cela pourrait s'avérer plus complexe que prévu :
- dispersion des individus sur l'îlot qui est escarpé et difficile d'accès pour les humains compte tenu d'une végétation inextricable ;
- Agressivité accrue.
Une compilation des trois modes d'abattage pourrait s'avérer nécessaire. A planifier avec les personnes compétentes à l'ONCFS.
6.5.3 Avantages
1/ Le coût de l’opération est réduit.
2/ Il s’agit de la solution la moins préjudiciable en terme de bien être animal ceux-ci ne mourant pas de faim.
(…) L'idée est de protéger le gestionnaire et les services décentralisés de l'État qui risquent de pâtir de la vague médiatique qui s'en suivra (à l'image de la problématique « loup »).
4/ Les associations de défense des animaux n’auraient pas le temps de s’organiser. La polémique s’essoufflera rapidement avec la disparition du sujet (contrairement à l'option du plan de réduction du nourrissage qui étalerait l'effet médiatique sur plus de 8 ans).
Il s’agira de bien mettre en avant :
- L’aspect "risque sanitaire" réel pour les makis de Grande Terre ainsi que pour l’Homme de la concentration des animaux sur cet espace réduit ;
- L'impact écologique négatif d'une population artificielle qui prolifère hors de son habitat naturel ;
- La volonté de préserver une population autonome de 120 à 180 individus qui ferait alors partie intégrante du patrimoine naturel de la réserve.
6.5.4 Inconvénients
Il conviendra :
1/ de répondre fermement aux attaques médiatiques violentes et ce de façon conjointe : DEAL, Préfecture, gestionnaire, Ministère, ONCFS ;
2/ de garder toute discrétion sur la préparation de l'action pour éviter toute levée de bouclier en amont de sa mise en œuvre ;
3/ de mobiliser les services de police localement pour "barricader" l'accès à la réserve naturelle pendant la durée de l'opération ;
4/ Dans le cas d'une euthanasie par le tir, les conséquences médiatiques pourraient être importantes, les coups de feux pouvant être perçus depuis Mamoudzou, chef lieu de Mayotte (A voir avec l'ONCFS s'il existe des armes adaptées silencieuses) ;
5/ Si la mise en œuvre a lieu en 2011, il faudra supprimer 520 makis au minimum. 610 si l'on attend 2012.
L'export de près de 1.400 kg de cadavres par voie maritime jusqu'en décharge sur Grande Terre nécessitera de transiter par le port de plaisance de Mamoudzou où des manifestations de protestation sont à prévoir.
L'idéal serait alors d'éliminer les cadavres en haute mer où la décomposition sera rapide et la pollution nulle en comparaison d'une mise en décharge à ciel ouvert (pas de centre d'équarrissage à Mayotte)
6.5.5 Coûts
Le coût dépendra du mode d'euthanasie choisi. Le temps de travail / agents ONCFS est à ajouter aux coût évalués ci-dessous.
1. Le tir avec armes à feu (fusil ou carabine)
1000 cartouches à grenaille d'acier à 20€ les 25 : 480€
1000 cartouches à balle à 1,5€ pièce : 1500€ (plus dangereux)
Armes fournies par l'ONCFS
5 agents ONCFS pendant trois jours frais de fonctionnement compris : 2000€
Surveillance de l'îlot à la charge des services de polices et de la RNN
Évacuation des cadavres en haute mer pour éviter toute contamination/pollution à Mayotte ainsi qu'une manifestation lors du débarquement des makis morts à la charge de l'ONCFS
Coût total de l'opération avec cartouches à grenaille : 2 480€
Coût total de l'opération cartouches à balles : 3 500€
2. L'injection létale
800 fléchettes hypodermiques à 60€ pièce : 48 000€
Carabine hypodermique fournie par l'ONCFS
Surveillance de l'îlot à la charge des services de polices et de la RNN
Évacuation des cadavres en haute mer pour éviter toute contamination/pollution à Mayotte ainsi qu'une manifestation lors du débarquement des makis morts à la charge de l'ONCFS.
Coût total de l'opération : 48 000€
Présente plusieurs avantages par rapport au tir avec arme à feu :
- moins « sanglant » et moins « brutal » que le tir à grenaille ou à balle ;
- Risque de « panique généralisée » des makis réduit ;
- Abattage silencieux non audible depuis grande et petite terre ou depuis les bateaux croisant au large de l'îlot.
3. L'empoisonnement par la nourriture
Intégrer un poison à la nourriture des makis induit un potentiel fort de dégâts co-latéraux sur la faune notamment sur les passereaux et la Tourterelle peinte qui consomment régulièrement la nourriture distribuée aux makis. S'il est possible d'effaroucher les oiseaux pour éviter au maximum les pertes, cela s'avère problématique pour la microfaune vertébrée ou invertébrée (reptiles et insectes principalement)".
Rapport de mars 2011 rédigé conjointement par le conservateur de la RNN et la DEAL de MAYOTTE.
Les représentants de l’État font ainsi une belle démonstration juridique de ce qu’est un État de droit !!!
Ainsi alors que l’association TERRE D’ASILE a introduit devant le tribunal administratif de Mayotte un recours en annulation contre l’arrêté qui la dépossède illégalement de son autorisation d’occuper une partie de l’îlot MBouzi, que cette action eu justice est toujours en cours, que le maki est protégé tant par les textes internationaux que nationaux, l’État n’hésite pas à préconiser de contourner les règles de droit et d’exterminer sans autorisation, ni contrôle, une population de 500 à 600 makis, et de faire disparaître leurs corps aux larges des côtes de Mayotte !!!!
Le ministère de l’Écologie doit rendre prochainement une décision officielle sur ce dossier.
Parallèlement de nombreux projets associatifs ou scientifiques font écho depuis trois ans à cette menace qui pèse sur les makis:
- apparition de projets scientifiques avec les projets ECOLEMUR ou plus récemment IBIOMA dans lesquels une station d’Etude des Lémuriens serait créée sur l’ilot,
- la création d’un refuge pour makis sur la Grande Terre par l’association "Maecha, Komba na Zoumbe" (vie, lémurien, êtres vivants), MKZ, et sa présidente Emilie Maltaverne, ce refuge pouvant accueillir 50 lémuriens adultes.
Les solutions avancées par les différentes associations locales passent par un plan plus ou moins long de réintroduction des lémuriens dans des forêts situées sur la Grande Terre et la Petite Terre, voir éventuellement le transfert de quelques individus dans des parcs zoologiques
La solution privilégiée par TERRE D’ASILE serait que le décret portant création de la RNN soit abrogé et que cet îlot devienne un sanctuaire pour les makis.
A défaut, l’enclave de 3 hectares, qui a été instituée par le décret ayant créé la réserve naturelle nationale, doit continuer de servir de refuge aux makis trop imprégnés des humains ou handicapés avec mise en place de méthodes contraceptives (implants sur femelles) et parallèlement adoption d’un plan de réintroduction des animaux sains et sauvages sur Grande Terre et Petite Terre.
L’association TERRE D’ASILE a exécuté gracieusement une mission de service public pendant plus de 14 ans à ses propres frais et l’État a favorisé la création de ce refuge sans poser aucune condition ni restrictions particulières quant au contrôle des naissances ou à l’introduction de nouveaux animaux.
Ce n’est qu’à compter de 2004 que l’association Terre d’Asile a été tenue de déclarer à la DAF toute nouvelle introduction, étant précisé qu’en l’absence de tout refuge sur Mayotte, les pouvoirs publics eux-mêmes ont régulièrement sollicité l’association TERRE D’ASILE pour la prise en charge des animaux blessés ou orphelins.
Si les pouvoirs publics, qui appellent aujourd’hui à l’extermination des makis avaient agi à temps pour enrayer l’augmentation de la population des makis par des actions telles que la sensibilisation de la population, la pose d’implants sur les femelles, etc, la situation ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
D’ailleurs l’État avait pleinement conscience des problèmes posés à terme par cette augmentation des makis. Une réunion avait été tenue le 3 septembre 2006 pour tenter d’apporter des solutions mais faute de moyens et d’une réelle volonté des pouvoirs publics, les résolutions qui avaient été arrêtées sont demeurées sans suite.
La défaillance de l’État est donc établie et il n’est pas envisageable que 600 makis, appartenant qui plus est à une espèce protégée par les textes internationaux et nationaux, paient de leur vie les erreurs commises par l’administration.
Le maki joue un rôle important en tant qu'emblème de la préservation de l'environnement sur Mayotte, et sa protection, a un impact sur le maintien de la biodiversité au sens le plus large sur ce département.
Le Congrès français de la nature (UICN), alors qu’il s’est prononcé, à Paris le 27 juin 2011, en faveur d’une suspension du projet d’extension de la piste d’aéroport à Mayotte, a demandé au Conseil Général de Mayotte et à l’Etat de PRENDRE CONSCIENCE que la départementalisation conduit nécessairement à aligner Mayotte sur les normes françaises et européennes en matière de protection des espèces et des habitats naturels.
Le pouvoir conféré à l’État implique de façon corollaire qu’il a des responsabilités à assumer dans les domaines qui ressortent de sa compétence.
L’État doit protéger le patrimoine de Mayotte, l’État doit protéger les makis de Mayotte.
Maître Arielle MOREAU – Avocate au barreau de Saint-Pierre
zinfos974
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