Selon le rapport 2011 sur le paludisme dans le monde, publié il y a quelques jourspar l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la mort...
Selon le rapport 2011 sur le paludismedans le monde, publié il y a quelques jourspar l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la mortalité due à cette maladie est en baisse de 25 % depuis 2000. Malgré ces progrès, à chaque minute un enfant en meurt et le nombre total de personnes tuées par cette infection devrait s'élever à 655 000 cette année. La grande majorité des victimes se trouve en Afrique, qui concentre plus de 80 % des cas et plus de 90 % des décès, mais les parasites du genrePlasmodium qui sont la cause de cette maladie sévissent également en Asie, en Amérique, en Océanie et dans cinq pays que l'OMS classe dans sa zone "Europe", à savoir l'Azerbaïdjan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Turquie.
Plasmodium falciparum, la plus dangereuse des cinq espèces touchant l'homme, est très probablement d'origine africaine mais la date à laquelle elle est sortie de ce continent fait l'objet d'un grand débat parmi les chercheurs. Certains estiment en effet que le parasite a accompagné Homo sapiens lors de sa sortie d'Afrique, il y a 60 000 ans, tandis que d'autres pensent que l'interaction entreP. falciparum, les moustiques qui le portent et l'homme a subi une évolution majeure il y a seulement 6 millénaires, au moment de l'apparition des premières sociétés d'agriculteurs. Un débat analogue existe pour savoir quand ce protozoaire est arrivé sur le continent américain. Est-il venu avec les Amérindiens, lorsque ceux-ci ont traversé le détroit de Béring à pied sec, il y a environ 15 000 ans, ou bien a-t-il traversé l'Atlantique avec les colonisateurs européens, imitant en cela la variole ?
La question semble avoir trouvé une réponse dans une vaste étude internationale, conduite par des chercheurs français de l'unité mixte de recherche Mivegec (Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle) et publiée ce lundi 26 décembre dans lesProceedings de l'Académie des sciences américaine (PNAS). Grâce à la collaboration de biologistes du monde entier, une collection d'un millier d'échantillons de P. falciparum couvrant toute son aire de répartition a pu être rassemblée. Il a ensuite fallu réaliser l'analyse de certains marqueurs génétiques pour remonter les "filières" du pathogène. Plusieurs résultats ont ainsi été obtenus. Tout d'abord, il est apparu que lesP. falciparum que l'on retrouve actuellement en Amérique latine (car cette espèce vit sous les tropiques) sont éloignés de ceux qui circulent sur le continent asiatique, ce qui invalide la thèse du détroit de Béring. En fait, les parasites sud-américains sont clairement d'origine africaine. Autre enseignement de l'étude : ils sont arrivés en plusieurs fois et de manière indépendante, dans une fourchette temporelle allant de cinq à deux siècles avant aujourd'hui. Tous les indices convergent donc pour affirmer que Plasmodium falciparum a traversé l'océan à bord des navires négriers.
Les chercheurs sont allés plus loin. En identifiant deux réservoirs distincts du pathogène, ils ont en effet pu retracer les deux routes principales qu'il a empruntées, la première menant au nord du continent sud-américain (Colombie), la seconde aboutissant plus au sud (Brésil). Ces deux routes coïncident avec le partage du Nouveau Monde entre l'Espagne et le Portugal, effectué sous l'égide du pape Alexandre VI à Tordesillas, en 1494. Cette division colonialiste de l'Amérique latine se reflète encore aujourd'hui dans les langues qu'on y parle : aux Espagnols l'Amérique centrale et la partie la plus occidentale du continent sud-américain, aux Portugais le gros bout de gâteau qu'est aujourd'hui le Brésil. Du milieu du XVIe siècle jusqu'au milieu du XIXe, on estime que plus de 5,8 millions d'Africains ont été déportés vers le Brésil où ils débarquaient principalement à Rio et à Salvador de Bahia, la première capitale de la colonie. Côté espagnol, la traite négrière avait pour principales destinations Cuba, Veracruz au Mexique et Carthagène en Colombie.
L'étude conclut en disant que "cette subdivision des Amériques en deux principaux empires et le fait que les deux empires ont importé des esclaves africains dans des régions différentes (en utilisant différents port de débarquement) est très probablement à l'origine des deux introductions indépendantes de P. falciparum montrées par nos données génétiques. De plus, il est probable que l'introduction de P. falciparum en Amérique du Sud a été un processus récurrent, qui a duré aussi longtemps que des esclaves africains ont été déportés sur le continent à la fois par les empires espagnol et portugais. Ces introductions récurrentes ont certainement joué un rôle important dans le modelage de la diversité génétique actuellement observée dans les deux réservoirs sud-américains. Les Andes, qui forment une barrière géographique naturelle séparant l'Amérique centrale ainsi que l'ouest de l'Amérique du Sud du reste du continent, peuvent avoir joué un rôle en empêchant ces deux réservoirs de s'homogénéiser durant le cours de l'histoire." Un magnifique exemple où l'histoire, la géopolitique, la géographie et l'un des commerces les plus abjects qui aient jamais existé s'entremêlent avec la biologie. Un exemple qui souligne également les grandes capacités invasives du parasite engendrant le paludisme.
Pierre Barthélémy: lemonde.fr
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