Pendant six semaines, la Réunion a assisté avec un certain effarement aux violentes révoltes sociales qui ont secoué Mayotte. Une explosio...
Pendant six semaines, la Réunion a assisté avec un certain effarement aux violentes révoltes sociales qui ont secoué Mayotte. Une explosion survenue au lendemain de l’accession de l’île aux parfums au statut de département français, et déclenchée par le ras-le-bol de la cherté de la vie. En mars 2009, la contagion était venue des Antilles jusqu’à la Réunion. Le phénomène pourrait-il être importé cette fois de Mayotte ? Si les décideurs locaux se refusent ne serait-ce qu’à envisager le scénario, les leaders syndicaux et associatifs en revanche en sont sûrs, la Réunion est au bord de l’explosion.
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À 1500 km de la Réunion, sur un territoire qui vient de devenir le 101ème département français, des révoltes d’une grande violence ont éclaté pendant un mois et demi. Une explosion sociale inédite sur ce territoire. Alors que le contexte social réunionnais ne cesse de se dégrader depuis trois ans, avec un taux de chômage qui tutoie à nouveau les 30%, la question d’un mouvement de contestation du type de celui que vient de connaître Mayotte se pose. Certes pas aux yeux des décideurs économiques locaux, qui frémissent à la seule l’évocation d’une telle perspective et préfèrent balayer d’un revers de main le spectre d’un nouveau mars 2009 ou, pire, d’un mars 1991. Mais pour les associations à caractère social et les syndicats de salariés, c’est sûr, en revanche, le couvercle de la cocotte-minute va forcément finir par sauter. Leur seule incertitude porte sur l’échéance et sur le degré de violence de l’explosion. Afin de couper court à toute tentative de comparaison, les chefs d’entreprise locaux soulignent en toute logique les points de divergence entre les situations mahoraise et réunionnaise, et en particulier le contexte actuel de départementalisation de l’île aux parfums, ainsi que les avancées sociales supérieures et la culture du dialogue social installées à la Réunion. À l’autre bout de la lorgnette, les responsables associatifs et syndicaux listent les motifs de souffrance et de mécontentement de la population locale. Hausse du chômage atteignant des sommets chez les jeunes (60% selon les dernières données de l’Insee), cherté de la vie, polémiques récurrentes autour de la fixation des prix des carburants, remise en cause du bonus Cospar sur les bas salaires, plans d’austérité du gouvernement... Dans le même temps, les centrales syndicales reconnaissent une difficulté à mobiliser. « On rame un peu », confie Ivan Hoarau, secrétaire général de la CGTR. La dernière manifestation organisée par l’intersyndicale, le 27 septembre dernier, a rassemblé moins de 5000 personnes sur deux défilés. Fatalisme ? Résignation ? Ou bien calme avant la tempête ? « Imprégnés du discours dominant, les gens finissent par penser qu’il est normal qu’on leur coupe des avantages », explique Philippe Fabing, responsable des études politiques et de conjoncture pour Ipsos.
« LA VIOLENCE EXISTE DÉJÀ À LA RÉUNION »
Il poursuit : « Il s’installe une sorte de fatalisme qui n’exclut pas pour autant la possibilité, à un moment donné, d’une contestation virulente. Après, est-ce que ce qu’il s’est passé à Mayotte est possible à la Réunion ? Peut-être pas sous la même forme. Mais le malaise dans la société réunionnaise est évident. La situation mahoraise n’est pas exportable à la Réunion de façon identique, car les éléments déclenchants sont différents. Mais la violence existe déjà à la Réunion. » En témoigne, par exemple, le saccage, fin octobre, d’un supermarché du Moufia, à Saint-Denis, par une soixantaine de jeunes du quartier. En outre, de façon générale, les différentes études réalisées sur l’Outre-mer montrent que la Réunion se caractérise par un niveau de pessimisme plus important que les autres Doms et un sérieux problème de confiance vis-à-vis des institutions, en particulier chez les jeunes. Selon le dernier baromètre Ipsos-Journal de l’Île, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy et la confiance dans le gouvernement s’établissent respectivement à 21 et 22% chez les Réunionnais âgés d’au moins 31 ans, contre 15% dans les deux cas chez les 18-30 ans. Le bulletin de conjoncture d’Ipsos montre quant à lui, qu’en 2011, le chômage représente la première préoccupation pour 78% des 18-30 ans, contre 68% des 31 ans et plus. Le sentiment d’inquiétude est massif également au sujet de l’évolution de la situation économique et sociale à la Réunion. Il concerne 82% des jeunes (contre 75% en 2007) et 83% des 31 ans et plus. Seule donnée traditionnellement positive, sur les trois premiers trimestres 2011, 62% des jeunes affichent une forme d’optimisme sur leur situation personnelle et professionnelle (mais ils étaient 70% en 2007), contre 50% des 31 ans et plus. En revanche, les trois-quarts des jeunes (75%) se montrent inquiets sur l’évolution de leur pouvoir d’achat, soit presqu’autant que les moins jeunes (77%). « Chez 6 jeunes sur 10, on observe un optimisme sur leur situation propre, mais pas sur leur pouvoir d’achat, et encore moins sur la situation de la Réunion, résume Philippe Fabing. Les 18-30 ans pensent globalement qu’ils ont des chances de s’en sortir, mais dans un environnement de plus en plus compliqué, et avec une crainte particulière du chômage. »
LES INDICATEURS DE MOBILISATION SOCIALE AU PLUS HAUT
L’analyste poursuit : « Ce regard des jeunes sur le contexte réunionnais n’est pas enthousiasmant. Car les études montrent que dans les situations économiques et sociales difficiles, les jeunes Réunionnnais deviennent plus susceptibles d’enfreindre le cadre réglementaire et moral de la société. On l’a vu récemment avec ce groupe qui est descendu au Score du Moufia. » Incivilités, agressions, violences... « Quand on pense à leurs perspectives d’intégration, on comprend que ce type d’actions constitue leur réponse à la violence sociale qu’ils subissent, explique Philippe Fabing. Car il ne suffit pas de vouloir donner envie aux jeunes de travailler... Encore faut-il leur donner un travail ! » Dans ce contexte, autant dire que les indicateurs de mobilisation sociale, déjà habituellement élevés, sont au plus haut. Si un mouvement de contestation sociale se développait dans les mois qui viennent à la Réunion, 32% des jeunes affirment qu’ils le soutiendraient et y participeraient (contre 27% entre 2007). S’ajoutent près de la moitié d’entre eux qui le soutiendraient sans y prendre part. Soit plus des trois quarts des jeunes qui adhéreraient au mouvement. Ces taux sont élevés également chez les 31 ans et plus (respectivement 33 et 39%), soit 72% de soutien. « Le tableau est brossé, note Philippe Fabing. Des jeunes très touchés par le chômage, sans réelles perspectives d’avenir... À l’évidence, ce type de situation présente un risque. » Et la situation semble mériter d’autant plus d’attention que la dynamique négative dans laquelle est entrée l’île ces toutes dernières années est d’une inquiétante nouveauté. « Le chômage de masse est devenu la perspective des jeunes formés, constate Philippe Fabing. C’est une situation inédite à la Réunion. On attaque une phase inconnue de notre histoire. C’est la première fois depuis l’après-guerre que se combinent, et sans doute pour longtemps, une croissance du chômage de masse des jeunes et une jeunesse majoritairement formée. » Comment, dans de telles conditions, garder un regard optimiste sur l’avenir ? « L’enjeu pour la société réunionnaise, c’est de redonner confiance à ses jeunes, affirme Philippe Fabing. Et, pour cela, de leur trouver une place dans la société. » Une place autre que celle des pages faits divers de la presse locale.
Dossier Séverine Dargent
Source: clicanoo
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