Barrages routiers, rues désertées, magasins fermés et déjà un mort, tué lors d'une manifestation. Depuis trois semaines, Mayotte est par...
Barrages routiers, rues désertées, magasins fermés et déjà un mort, tué lors d'une manifestation. Depuis trois semaines, Mayotte est paralysée par un mouvement de contestation contre la vie chère mené par les organisations syndicales. Les magasins ont dû tirer leurs rideaux de fer sous la pression des manifestants.
La population, elle, a été obligée de recourir au système D pour s'alimenter. Quelques supermarchés ont bien tenté d'ouvrir leurs portes, mais les militants les ont fait fermer manu militari, tandis que d'autres étaient pillés. Cette révolte mahoraise n'est pas sans rappeler le combat guadeloupéen en 2009.
« À la Réunion, douze yaourts coûtent 2,50 €. À Mayotte pour le même prix, vous en avez quatre », peste Salim Nahouda (CGT), un des leaders de la contestation. Les organisations à l'origine du mouvement (syndicats CGT, CFDT, FO et associations de consommateurs) exigent la réduction des prix d'une dizaine de produits de première nécessité (riz, viande, huile, gaz etc.).
« Mayotte est le département d'Outre-mer où le coût de la vie est le plus élevé alors que le niveau de vie est le plus bas ! Ça ne peut plus durer », enrage Riffay Hamidouni de l'Association des consommateurs mahorais. La population est remontée. « Les distributeurs s'enrichissent sur notre dos en prenant des marges exorbitantes.Eux, ils roulent en 4x4 et nous, on est à pied. Quand je travaille, je nourris toute ma famille avec mon salaire », fulmine Dala, 22 ans.
« La cherté de la vie est un prétexte, mais ces manifestations sont un cri d'alerte de la population pour dire "occupez-vous de nous, faites qu'il n'y ait pas des Français à deux vitesses" », analyse Hamidou Madi M'Colo (FO). Parmi les manifestants, beaucoup de jeunes sans travail et sans perspective d'avenir.
DÉSILLUSIONS
Ce malaise social est l'expression d'une des premières désillusions nées de la récente départementalisation. En mars dernier, Mayotte a fait son entrée officielle dans la liste des départements français. Social, économie, foncier, éducation : le changement statutaire entraîne un alignement sur la législation républicaine. Une aubaine pour ce bout de France dont le PIB est cinq fois moins élevé qu'en métropole.
« Les Mahorais veulent être français pour avoir de l'argent », résumait à l'époque un conseiller général. Pourtant, si le RSA devrait être mis en place au 1er janvier 2012 (il a été instauré mi-2009 en métropole), il ne représentera qu'un quart du montant en vigueur dans l'Hexagone et l'égalité ne sera atteinte qu'en 2030 ou 2040. Un scandale pour le député Abdoulatifou Aly (Modem). « Il n'y a pas de département au quart ou à la moitié. On veut être français à 100 %. »
Pour le gouvernement, il s'agit de ne pas déstabiliser une économie locale déjà fragile. Taux de chômage qui dépasse les 25 %, secteur privé embryonnaire, travail clandestin généralisé dans l'agriculture et le BTP, insuffisances en matière de santé, éducation etc. Mayotte accuse d'importants retards de développement. Toute l'économie est basée sur des investissements de l'État. Seuls deux secteurs d'activité exportent : l'aquaculture et l'essence d'ylang-ylang (utilisée en parfumerie). Mayotte importe vingt fois plus qu'elle n'exporte.
Aujourd'hui, le salaire minimum représente 85 % du Smic hexagonal. Mais le fort taux d'inactivité (seulement 35 000 personnes travaillent sur une population de 200 000) et les différences de salaires entre résidents et expatriés cristallisent les frustrations dans une île où l'allocation chômage est quasi absente et où les prestations sociales (notamment les allocations familiales) sont moindres.
Un retraité vit en moyenne avec 300 à 700 euros mensuels. Les Mahorais ont hâte. Hâte de trouver des emplois et de jouir d'un meilleur pouvoir d'achat. La départementalisation était censée leur apporter ces aides, mais pour le moment, ils ne voient rien venir. Et s'impatientent.
MÉTAMORPHOSE
Tout le monde l'admet : la crise actuelle était prévisible. « La départementalisation s'est faite dans une grande violence administrative. On a dit aux Mahorais " vous êtes français, mais pas tout à fait ". La contravention à Mayotte coûte le même prix qu'à Limoges alors que les salaires et les prestations sociales sont plus faibles que partout ailleurs. On est dans un schéma inégalitaire », analyse David Guyot, sociologue installé depuis 15 ans à Mayotte.
« On a tous les inconvénients du département, mais aucun avantage », résume Ahmed, commerçant. « Les gens commencent à regretter d'avoir voté oui au département quand ils comprennent ce que cela implique sur leur porte-monnaie », observe Saïd Omar Oili, ancien président de la collectivité.
En quelques années seulement, intégration dans le droit commun oblige, la société mahoraise a subi une véritable métamorphose. Interdiction de la polygamie, disparition de la justice cadiale (basée sur les droits musulmans et coutumiers, la population de Mayotte est musulmane à 95 %), révision de l'état civil, âge du mariage relevé à 18 ans au lieu de 15, mise en place d'une fiscalité similaire à celle pratiquée dans l'Hexagone, intégration des agents de la fonction publique…
La population a par ailleurs été absorbée très rapidement par la société de consommation et ses excès. « En 10 ou 20 ans seulement, Mayotte est passée du Moyen Âge au monde moderne et d'une société de subsistance à une société consumériste. Aujourd'hui, si un Mahorais voit la nouvelle voiture de son voisin, il va en acheter une à son tour, quitte à s'endetter… Les gens ont perdu leurs repères », regrette Zamir, jeune chef d'entreprise.
« Avec l'influence de la société occidentale, les Mahorais estiment qu'ils doivent manger des produits occidentaux, qu'ils ont le droit de partir en vacances à Maurice, etc. Mais ils n'en ont pas les moyens. Certains s'endettent pour vivre dans les mêmes conditions que les m'zungus (les métropolitains, ndlr) », analyse le syndicaliste Hamidou Madi M'Colo. Il n'est pas rare en effet de voir certains foyers s'équiper d'une antenne parabolique avant le réfrigérateur. En témoignent les chiffres du recours au crédit à la consommation. En 10 ans, ils sont passés de 23 à 116 millions d'euros soit une augmentation de 500 %.
ÉTINCELLES
Les inégalités cristallisent également les frustrations. « On ne demande pas grand-chose, juste d'être considéré comme des Français à part entière », enrage Mraati, fonctionnaire au Conseil général. Un fossé sépare effectivement Mahorais et « m'zungus ». « J'ai fait mes études en France, comme mes collègues métropolitains, mais je ne suis pas indexé. Je gagne donc moins qu'eux alors qu'on vit sur la même île. C'est révoltant », proteste Mouhamadi, jeune éducateur de 28 ans.
Salim Nahouda, syndicaliste CGT, dénonce une situation néocoloniale. « L'économie de Mayotte est détenue par les m'zungus. Le développement de Mayotte est dicté par des gens qui ne sont pas d'ici pendant que nous obéissons à leurs ordres. Il faut inverser la tendance. »
« Si j'emploie un fonctionnaire expatrié, il va gagner deux fois plus que moi alors que je suis son chef », s'indigne de son côté son collègue FO. « Nous sommes les oubliés du système, lâche furieux, Soulah, manifestant de la première heure. Nous n'avons pas les mêmes droits qu'en métropole. Pourtant, nous sommes français ».
Habituellement si fatalistes, les Mahorais ont surpris tout le monde en se mobilisant en masse contre le coût de la vie. Mais aujourd'hui, ils se sentent oubliés et pour eux, la coupe est pleine. Selon le sociologue, David Guyot, ce n'est que le début de l'explosion. « Un conflit d'une telle ampleur devait arriver, c'est une évidence. Mais les frustrations sont telles que l'étincelle va se rallumer à la moindre crispation sociale. » source: témoignages
La population, elle, a été obligée de recourir au système D pour s'alimenter. Quelques supermarchés ont bien tenté d'ouvrir leurs portes, mais les militants les ont fait fermer manu militari, tandis que d'autres étaient pillés. Cette révolte mahoraise n'est pas sans rappeler le combat guadeloupéen en 2009.
« À la Réunion, douze yaourts coûtent 2,50 €. À Mayotte pour le même prix, vous en avez quatre », peste Salim Nahouda (CGT), un des leaders de la contestation. Les organisations à l'origine du mouvement (syndicats CGT, CFDT, FO et associations de consommateurs) exigent la réduction des prix d'une dizaine de produits de première nécessité (riz, viande, huile, gaz etc.).
« Mayotte est le département d'Outre-mer où le coût de la vie est le plus élevé alors que le niveau de vie est le plus bas ! Ça ne peut plus durer », enrage Riffay Hamidouni de l'Association des consommateurs mahorais. La population est remontée. « Les distributeurs s'enrichissent sur notre dos en prenant des marges exorbitantes.Eux, ils roulent en 4x4 et nous, on est à pied. Quand je travaille, je nourris toute ma famille avec mon salaire », fulmine Dala, 22 ans.
« La cherté de la vie est un prétexte, mais ces manifestations sont un cri d'alerte de la population pour dire "occupez-vous de nous, faites qu'il n'y ait pas des Français à deux vitesses" », analyse Hamidou Madi M'Colo (FO). Parmi les manifestants, beaucoup de jeunes sans travail et sans perspective d'avenir.
DÉSILLUSIONS
Ce malaise social est l'expression d'une des premières désillusions nées de la récente départementalisation. En mars dernier, Mayotte a fait son entrée officielle dans la liste des départements français. Social, économie, foncier, éducation : le changement statutaire entraîne un alignement sur la législation républicaine. Une aubaine pour ce bout de France dont le PIB est cinq fois moins élevé qu'en métropole.
« Les Mahorais veulent être français pour avoir de l'argent », résumait à l'époque un conseiller général. Pourtant, si le RSA devrait être mis en place au 1er janvier 2012 (il a été instauré mi-2009 en métropole), il ne représentera qu'un quart du montant en vigueur dans l'Hexagone et l'égalité ne sera atteinte qu'en 2030 ou 2040. Un scandale pour le député Abdoulatifou Aly (Modem). « Il n'y a pas de département au quart ou à la moitié. On veut être français à 100 %. »
Pour le gouvernement, il s'agit de ne pas déstabiliser une économie locale déjà fragile. Taux de chômage qui dépasse les 25 %, secteur privé embryonnaire, travail clandestin généralisé dans l'agriculture et le BTP, insuffisances en matière de santé, éducation etc. Mayotte accuse d'importants retards de développement. Toute l'économie est basée sur des investissements de l'État. Seuls deux secteurs d'activité exportent : l'aquaculture et l'essence d'ylang-ylang (utilisée en parfumerie). Mayotte importe vingt fois plus qu'elle n'exporte.
Aujourd'hui, le salaire minimum représente 85 % du Smic hexagonal. Mais le fort taux d'inactivité (seulement 35 000 personnes travaillent sur une population de 200 000) et les différences de salaires entre résidents et expatriés cristallisent les frustrations dans une île où l'allocation chômage est quasi absente et où les prestations sociales (notamment les allocations familiales) sont moindres.
Un retraité vit en moyenne avec 300 à 700 euros mensuels. Les Mahorais ont hâte. Hâte de trouver des emplois et de jouir d'un meilleur pouvoir d'achat. La départementalisation était censée leur apporter ces aides, mais pour le moment, ils ne voient rien venir. Et s'impatientent.
MÉTAMORPHOSE
Tout le monde l'admet : la crise actuelle était prévisible. « La départementalisation s'est faite dans une grande violence administrative. On a dit aux Mahorais " vous êtes français, mais pas tout à fait ". La contravention à Mayotte coûte le même prix qu'à Limoges alors que les salaires et les prestations sociales sont plus faibles que partout ailleurs. On est dans un schéma inégalitaire », analyse David Guyot, sociologue installé depuis 15 ans à Mayotte.
« On a tous les inconvénients du département, mais aucun avantage », résume Ahmed, commerçant. « Les gens commencent à regretter d'avoir voté oui au département quand ils comprennent ce que cela implique sur leur porte-monnaie », observe Saïd Omar Oili, ancien président de la collectivité.
En quelques années seulement, intégration dans le droit commun oblige, la société mahoraise a subi une véritable métamorphose. Interdiction de la polygamie, disparition de la justice cadiale (basée sur les droits musulmans et coutumiers, la population de Mayotte est musulmane à 95 %), révision de l'état civil, âge du mariage relevé à 18 ans au lieu de 15, mise en place d'une fiscalité similaire à celle pratiquée dans l'Hexagone, intégration des agents de la fonction publique…
La population a par ailleurs été absorbée très rapidement par la société de consommation et ses excès. « En 10 ou 20 ans seulement, Mayotte est passée du Moyen Âge au monde moderne et d'une société de subsistance à une société consumériste. Aujourd'hui, si un Mahorais voit la nouvelle voiture de son voisin, il va en acheter une à son tour, quitte à s'endetter… Les gens ont perdu leurs repères », regrette Zamir, jeune chef d'entreprise.
« Avec l'influence de la société occidentale, les Mahorais estiment qu'ils doivent manger des produits occidentaux, qu'ils ont le droit de partir en vacances à Maurice, etc. Mais ils n'en ont pas les moyens. Certains s'endettent pour vivre dans les mêmes conditions que les m'zungus (les métropolitains, ndlr) », analyse le syndicaliste Hamidou Madi M'Colo. Il n'est pas rare en effet de voir certains foyers s'équiper d'une antenne parabolique avant le réfrigérateur. En témoignent les chiffres du recours au crédit à la consommation. En 10 ans, ils sont passés de 23 à 116 millions d'euros soit une augmentation de 500 %.
ÉTINCELLES
Les inégalités cristallisent également les frustrations. « On ne demande pas grand-chose, juste d'être considéré comme des Français à part entière », enrage Mraati, fonctionnaire au Conseil général. Un fossé sépare effectivement Mahorais et « m'zungus ». « J'ai fait mes études en France, comme mes collègues métropolitains, mais je ne suis pas indexé. Je gagne donc moins qu'eux alors qu'on vit sur la même île. C'est révoltant », proteste Mouhamadi, jeune éducateur de 28 ans.
Salim Nahouda, syndicaliste CGT, dénonce une situation néocoloniale. « L'économie de Mayotte est détenue par les m'zungus. Le développement de Mayotte est dicté par des gens qui ne sont pas d'ici pendant que nous obéissons à leurs ordres. Il faut inverser la tendance. »
« Si j'emploie un fonctionnaire expatrié, il va gagner deux fois plus que moi alors que je suis son chef », s'indigne de son côté son collègue FO. « Nous sommes les oubliés du système, lâche furieux, Soulah, manifestant de la première heure. Nous n'avons pas les mêmes droits qu'en métropole. Pourtant, nous sommes français ».
Habituellement si fatalistes, les Mahorais ont surpris tout le monde en se mobilisant en masse contre le coût de la vie. Mais aujourd'hui, ils se sentent oubliés et pour eux, la coupe est pleine. Selon le sociologue, David Guyot, ce n'est que le début de l'explosion. « Un conflit d'une telle ampleur devait arriver, c'est une évidence. Mais les frustrations sont telles que l'étincelle va se rallumer à la moindre crispation sociale. » source: témoignages
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