Corruption : quand la côte d’alerte est atteinte
D’abord le constat. Les Comores restent le second pays le plus pauvre du monde, en termes de Pib, après Sao Tomé-et-Principe. La croissance ne bougera pas en 2011, selon les prévisions. Trente cinq ans après l’indépendance, nous vivons de la vanille, du clou de girofle et de l’ylang-ylang, l’économie du temps des sultans. Le pays est maintenu en état de coma prolongé par l’injection financière de la diaspora qui soutient activement l’économie et le pouvoir d’achat des familles.
Le président Ikililou, élu à la tête du pays, classé parmi les vingt Etats les plus corrompus, ne se trompe pas de cible en promettant de mener une croisade contre ce fléau. La corruption généralisée maintenue et entretenue par les délinquants en col blanc est visible. A Moroni, on pavoise dans les rues, avec de belles voitures de luxe qui dépassent le salaire de vingt ans de carrière, des maisons édifiées sans prêts bancaires, ni ressources complémentaires, des entreprise privées bâties sur l’argent public.
Crochets express
Les directeurs généraux des sociétés d’Etat comme les hydrocarbures, Comores télécoms, Snpsf, Onicor etc,… manipulent par an plus de 20 milliards, dans une discrétion totale, échappant à tout contrôle, et même de celui de leurs ministères de tutelle et déclarent n’avoir de compte à rendre qu’au seul président de la République, violant, ainsi, toutes les procédures de gestion et de contrôle. A chaque fin d’année, le bilan est le même : les patrons de ces patrimoines nationaux s’en servent, se remplissent leurs poches, redistribuent des pots de vins pour s’assurer des soutiens des institutions civiles et de l’Etat.
Les pouvoirs publics sont contraints, à chaque début de mandat de l’exécutif, de mettre la main à la poche pour renflouer les caisses de ses entreprises et se porter caution pour engager le pays sur des projets importants comme la fibre optique ou des investissements internes comme la construction des citernes des hydrocarbures. Malgré cet état de véritable déliquescence, ces malversations avérées des hommes publics, personne n’est véritablement inquiétée, ni placée sous contrôle judiciaire. La prison centrale grouille de quelques pickpockets notoires, des voleurs de meubles, des revendeurs de drogue….
Les cols blancs n’y entrent que pour en ressortir quelques semaines plus tard, blanchis, avec l’assurance de se la couler douce. Les saisies ordonnées pour faire bonne figure ne sont jamais exécutés. La question est : Comment des ministres des Finances de l’Union peuvent, devant le peuple et la Nation, affirmer haut et fort, que des sommes astronomiques tirées de la taxe unique sur les hydrocarbures, par exemple, n’ont pas été versées au trésor public. Comment peut-on, avec une totale quiétude, affirmer que des Impôts sur les bénéfices divers (Ibd), qui se chiffrent en milliards, n’ont pas été honorés. Comment, enfin et surtout, peut-on après laisser la gabegie perdurer tranquillement?
Comment, qui et pourquoi?
Depuis le fameux rapport qui situait la Sch au fond du gouffre, de profondes restructurations ont été opérées, en commençant par la cession de l’unité d’embouteillage de gaz butane, devenu Gazcom, la vente des stations services à Moroni et la libéralisation de la distribution des hydrocarbures, avec comme corollaire la vente du bateau Nyumachoua. Dès le 24 juillet 1997, le parlement autorise, par la loi N° 97-003/AF, le gouvernement à engager la privatisation de la Société comorienne des hydrocarbures (Sch), “soit par transfert de la gestion, soit par cession de tout ou partie des actions au profit de personnes physiques ou morales de droit privé“.
Alors qui empêche la privatisation et pour quel but? La raison réside dans les dilapidations qui profitent à certaines dignitaires qui peuvent, avec l’argent public, s’acheter des voitures privées, se construire des belles maisons, financer des campagnes électorales, etc. Les réquisitions, procédure budgétaire exceptionnelle de dépense, est devenue la règle dans le cas des hydrocarbures. Parce que loin de perdre de l’argent, le schéma de la privatisation présenté depuis treize ans déjà, pronostiquait des gains additionnels de près 3 milliards 600 millions de francs comoriens. Alors pourquoi et comment ?
Il ne faut pas que les grand “Oraux“ de la présidence, initiés par la président Sambi et poursuivis aujourd’hui, continuent de ressembler à des arènes de gladiateurs où l’on vient faire montrer l’adrénaline, et, au bout du compte, faire croire au peuple qu’on fait quelque chose pour lui. Pendant ce temps, bizarrement, le parlement dont la loi autorise à monter des enquêtes parlementaires, ne bouge pas et des élus font partie des conseils d’administration.
Nous vivons tous les jours le traitement approximatif par la justice des affaires de corruption, entretenant collectivement ce sentiment de justice à deux vitesses. La justice financière n’existe pas. L’embryon qui s’en occupe, n’est ni forte, encore moins indépendante pour garantir l’égalité de tous devant la loi. “Citoyenneté économique“, “Vocalpad“, gestion des dons du Japon et des fondations arabes, passations de marchés de gré à gré, graves détournements avérés révélés par les audits de la dette intérieure par les agents publics, les détournements maquillés en dérapages salariaux, la gestion opaque des sociétés d’Etat, les sociétés étrangères à forte présomption de blanchiment, etc., sont autant de dossiers qui passent sous la barbe de la justice ou remis entre leurs mains et qui finissent dans les tiroirs poussiéreux des affaires classées.
Sous la barbe…
Mais pour lutter contre la corruption, il faut que la justice commence par chasser ses propres démons, en administrant la preuve d’une gestion saine, de ses propres recettes et de mettre en place les institutions qui en assureront la moralité et la probité de ceux qui sont chargés de dire le droit. La question est la suivante : la volonté du chef de l’Etat de lutter contre la corruption va-t-elle s’accompagner de moyens en ressources humaines et en financement pour juger les responsables des affaires de corruption, même si elles mettent en cause des intérêts politiques, économiques, ou diplomatiques?
Il est aujourd’hui difficile de mesurer la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions. Elle est plus forte, parce justifiée. Au niveau de la police et de la gendarmerie, on constate un désintérêt pour le traitement des “affaires“ économiques et financières. L’affaire Bic-Nicom, la plus récente, est tellement entachée d’actes irréguliers qu’elle suffit à elle seule à démonter les faiblesses et les abus des institutions privées mais aussi des pouvoirs publics. Tout au long de ce procès, des juges ont été limogés, soupçonnés de corruption, des montants d’indemnisations astronomiques ont été accordés, et au finish, un arrangement à l’amiable, dont tout le monde ignore les termes.
Le poids de la hiérarchie?
Rares sont les déclenchements des poursuites décidées par les magistrats, sans intervention des pouvoirs publics, avec des objectifs qui ne sont pas toujours louables. Est-ce parce que les enquêtes sont conduites par les procureurs, soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif, plutôt que par des juges d’instruction indépendants. Le constat est amer : les malversations imputables à des ministres en exercice ne sont jamais sanctionnées. Il est temps de rompre le lien direct qui existe entre le pouvoir exécutif et le ministère public.
La nomination à la tête du parquet d’une haute personnalité indépendante de l’exécutif permettrait de garantir la séparation des pouvoirs et de réduire à néant la suspicion liée à l’intervention du pouvoir politique dans les affaires sensibles. Dans certains pays démocratiques, on s’achemine vers la création d’un procureur général de la Nation nommé par le président de la République sur une proposition conforme du parlement adoptée à une majorité qualifiée pour une durée de cinq à six ans. L’indépendance de la justice, c’est des actes, pas des paroles en l’air.
Ahmed Ali Amir: alwatwan