Des rescapées tutsies du génocide hutu affirment qu'elles ont été systématiquement violées par des militaires français dans les camps co...
Des rescapées tutsies du génocide hutu affirment qu'elles ont été systématiquement violées par des militaires français dans les camps contrôlés par la force Turquoise. Info ou intox ?
Femme devant un camp de réfugiés rwandais sous protection de la force Turquoise, au Rwanda en juin 1994 (Nicloas Jose/SIPA) |
"Parfois, il y avait jusqu'à une dizaine de militaires français qui me violaient [...] pendant que d'autres faisaient la même chose juste à côté. [...] On se retrouvait toutes dans les tentes des militaires. [...] C'était comme un repas quotidien. [...] Cela a commencé une semaine après leur arrivée, jusqu'à leur départ." C'est sur ce témoignage sidérant que s'ouvre le journal de 8 heures de France-Inter, le 28 juin. La femme qui parle est une Rwandaise tutsie, qui avait été placée dans un camp de réfugiés sous la responsabilité des soldats français de l'opération Turquoise, de juin à août 1994. "Ils nous ont violées parce que nous étions tutsies", poursuit une autre rescapée des génocidaires hutus, qui avait trouvé refuge dans un autre camp sous protection française. "Ils étaient persuadés que nous n'allions pas survivre."
Elles sont trois à s'être rendues à Paris, fin juin, pour être entendues par le juge d'instruction du Tribunal aux armées de Paris. C'est devant cette instance qu'avait été déposée, en leur nom, en octobre 2009, une plainte contre X pour crime contre l'humanité.
A entendre, le soir même, deux d'entre elles, serrées l'une contre l'autre sur le canapé d'un petit appartement parisien, raconter une énième fois, jusqu'aux larmes, leur épouvantable histoire, on reste perplexe. Devant leur incontestable douleur. Et devant l'énormité de l'accusation. Cette affaire, qui soulève une nouvelle fois la question des responsabilités de la France dans le génocide rwandais, dégoupille une grenade de plus dans les relations déjà minées entre Paris et Kigali.
Plusieurs versions
C'est en juin 2004 que le docteur Annie Faure recueille les témoignages de ces femmes, qui ont servi de base aux plaintes. Or, à la lecture des documents, leur contenu s'avère sensiblement différent du discours qu'elles ont tenu devant les médias, il y a quinze jours. Dans les versions de 2004, Françoise* affirmait avoir été violée une fois par un soldat français, Olive* disait avoir été victime de viols collectifs à deux reprises, au cours desquels les militaires de l'opération Turquoise avaient "inspecté" et photographié son sexe. Et Diane* aurait subi des violences de la part de miliciens hutus aidés par des soldats français. Mais elles ne disaient nulle part que d'autres femmes avaient subi de tels sévices, ni que ces exactions étaient quasi quotidiennes. On ne trouve pas non plus d'allusion à une pratique systématique du violpar les militaires français.
Amplification fantasmatique du traumatisme ? Stratégie pour mobiliser la justice ? Il est vrai que la procédure n'est pas près d'aboutir, puisque le Tribunal aux armées doit disparaître en fin d'année et qu'il faudra attendre la création du "pôle génocide" au TGI de Paris pour connaître le sort de ce dossier. Autre hypothèse : une manipulation de la part de Kigali ? Ou peut-être s'agit-il de ce que l'avocat Antoine Comte appelle "le temps du génocide, qui fait que les choses remontent très lentement à la surface tant le crime est inconcevable". Dans ce dossier inextricable, l'avocat admet avoir fait "une erreur" lorsque les témoignages lui ont été apportés en 2004 : il avait déposé plainte devant une mauvaise juridiction (le tribunal de grande instance) et sous une autre qualification (viols en réunion et enlèvement). "J'ai laissé le dossier se perdre dans les sables de la bureaucratie", confesse-t-il.
Viols isolés... ou systématiques
Quoi qu'il en soit, c'est sa thèse du "temps du génocide" que retiennent Annie Faure et l'avocate qui a repris le dossier, Laure Heinich-Luijer, pour expliquer la nouvelle version des Rwandaises. Mais les plaintes de 2004 avaient été jugées assez crédibles par la juge d'instruction Florence Michon, alors en charge du dossier, pour estimer, en avril 2010, que "la qualification de crime contre l'humanité ne [pouvait] être écartée a priori". Elle s'était aussi appuyée sur les témoignages de trois miliciens hutus qui dénonçaient une collaboration active des militaires français à l'extermination des Tutsis et confirmaient des viols systématiques. Dépositions, il est vrai, sujettes à caution : elles avaient été recueillies en prison, où les miliciens attendaient leur jugement.
Ancien commandant de l'opération Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade rejette l'accusation de viols systématiques. Mais il n'exclut pas "des viols isolés qui auraient échappé aux enquêtes internes conduites dans chaque unité à la fin de l'opération". Une conviction que partage l'universitaire Gérard Prunier. "Cependant, met en garde ce familier du bourbier rwandais et de ses mensonges, j'ai peut-être tort et ces viols systématiques ont peut-être eu lieu..."
*Les noms de ces trois femmes, qui veulent garder l'anonymat, sont des pseudonymes
Sarah Halifa-Legrand - Le Nouvel Observateur
Cet article a été publié dans Le Nouvel Observateur daté du 13 juillet 2011.
Source:nouvel Obs
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