Styliste reconnue, Sakina M’Sa ne se contente pas de créer des vêtements. Pour elle, mode doit rimer avec partage et solidarité. Avec sa soc...
Styliste reconnue, Sakina M’Sa ne se contente pas de créer des vêtements. Pour elle, mode doit rimer avec partage et solidarité. Avec sa société d’insertion, elle aide des personnes en difficulté professionnelle à retrouver un emploi. Et anime des ateliers de médiation culturelle ouverts à toutes les origines sociales, les âges... Rencontre.
C’est dans une optique de mode responsable que Sakina a
décidé, en 2009, de transformer sa société, Trevo, en entreprise
d’insertion. En collaboration avec le Pôle emploi, elle embauche des
hommes et des femmes -deux actuellement-, issus du secteur de la mode,
qui rencontrent des difficultés à trouver un travail. Pendant deux ans,
elle les forme. Objectif : qu’ils s’approchent d’un savoir-faire plus
créateur, plus couture. Car la styliste a une conviction : « C’est en
faisant de belles choses que l’on parvient à insérer de l’intérieur ».
C’est ce qu’elle appelle « l’insertion par le beau et l’excellence ». A
l’issue de leur contrat, son entreprise leur déniche un emploi dans une
maison de couture. Mais Sakina se défend d’être une « assistante sociale
» : « De l’insertion, tout le monde en fait. A sa manière et tous les
jours. J’ai simplement voulu trouver un modèle économique qui soit
proche de mes valeurs. » S’il y a bien un mot qu’elle a banni de son
vocabulaire, c’est le mot « aide » : « Je n’aide pas : j’accompagne, je
partage. Et je donne autant que je reçois », dit-elle de sa voix douce.
Débordante d’énergie, la créatrice à la crinière noire est sur tous les fronts. Avec l’association Daïka, qu’elle a fondée en 2006, elle anime également des ateliers de médiation culturelle, autour du vêtement et de l’imaginaire. Leur prix : entre 1 et 4 euros, selon les revenus. Très prisés, ces rendez-vous se déroulent deux fois par semaine, au sous-sol de sa petite boutique, située dans le quartier populaire de la Goutte d’or (18ème), à Paris. Le principe : s’inspirer d’une exposition -actuellement, celle consacrée à Yves Saint-Laurent, au Petit Palais- pour ensuite créer un vêtement ou un objet muséal. Parmi les participants : des mamas du quartier, des écrivains, des profs aux Beaux-Arts, des femmes au foyer... Un melting-pot que Sakina apprécie. Elle qui exècre toute forme de clivage et de stigmatisation de public : « Aujourd’hui, on gère le social en cloisonnant : selon le milieu, le sexe, l’origine... Ce n’est pas une bonne solution. C’est important de faire se rencontrer des gens très différents. Cela apporte une vraie richesse... ».
Ses premiers ateliers du « tissu social », la styliste en a eu l’idée en 1992. Diplômée d’une école de mode à Marseille, elle monte à Paris pour trouver un stage dans une maison de couture. Mais ne parvient pas à se faire embaucher. Elle décide alors de proposer aux gamins de son quartier, à Bagnolet (93), des « ateliers de l’imaginaire ». L’objectif ? « Les intéresser à (s)es pratiques, à la façon dont le vêtement peut être fondateur de signes, vecteur de valeurs humaines et de vie ». Rapidement, Sakina étend ses ateliers à d’autres publics : mamans, personnes âgées... Pour elle, ces expériences ont été « une véritable nourriture ». « Cela m’a permis d’arriver à cette réflexion d’entreprise d’insertion. Je n’avais pas envie d’être dans un travail de mode qui ne s’intéresse qu’à un projet esthétique. Mais qui soit capable de s’ancrer aussi dans un projet de société ».
2009 : son entreprise est reconnue « entreprise d’insertion » par le ministère du Travail
Née aux Comores, Sakina y vit, avec sa grand-mère, jusqu’à ses sept
ans. Ses parents ayant décidé de rejoindre la France pour trouver du
travail. Étrangement, elle avoue ne pas en avoir souffert : « Pour eux,
ça a été un véritablement déchirement. Mais moi, je l’ai reçu comme un
cadeau très courageux. » Sa capacité à transformer les obstacles en
force, Sakina la doit à sa grand-mère. « Un être exceptionnel ».
Abandonnée par son mari, elle fait le choix de ne jamais se remarier.
Chose impensable pour l’époque et pour les gens de son village. A sa
petite-fille, elle transmet « son goût du combat, sa capacité à
construire coûte que coûte. Et à transformer ce qui peut être interprété
comme un poison en élixir… ».
Lorsqu’à sept ans, elle doit quitter le pays, Sakina refuse catégoriquement. Sa grand-mère la rassure. « Elle m’a dit que si elle venait à mourir avant que je la revoie, il fallait que je donne ce que j’avais de plus cher à la terre ». Ce qu’elle fera, à 19 ans, lorsque son aïeule décédera. A l’époque, ce qu’elle a de plus précieux, c’est un tissu. « Je l’ai enfoui dans mon jardin. Mais quinze jours plus tard, notre chien l’a déterré. La matière avait vieilli, patiné. » Un procédé qui est devenu sa marque de fabrique : aujourd’hui encore, elle enfouit des pièces dans la terre qu’elle laisse mûrir comme du bon vin.
A 14 ans, Sakina prend une décision : plus tard, elle sera styliste. Adolescente rebelle, elle arbore un look punk. « Ma révolte passait par le vêtement. J’ai compris le pouvoir que ce petit objet en tissu d’apparence superficielle pouvait avoir sur la société. Combien il était une passerelle entre soi et les autres. Combien il pouvait exclure ou inclure… » Son premier défilé, elle l’organise au collège. Et confectionne les vêtements à partir des torchons et des nappes en plastiques de sa mère... A l’époque déjà, Sakina ne recule devant rien : elle envoie une lettre à la femme du maire de Marseille pour l’inviter à son spectacle. Son culot paye : « Elle est venue et elle a beaucoup ri ! ». Cette audace et cette originalité lui permettront de se faire remarquer quelques années plus tard. En 2000, elle propose un défilé à la gare Eurolines de Bagnolet. Sur le podium : les mamas, les ados, les personnes âgées, qui avaient participé à ses ateliers de l’imaginaire. Mais aussi, des mannequins d’agence. Dans la salle : l’acheteuse des Galeries Lafayette. Qui, séduite par sa collection, propose de la lui acheter. Le début du succès.
Pourtant, rien n’était joué d’avance. Lorsqu’elle annonce à son père, ouvrier boucher, et à sa mère, femme au foyer, qu’elle souhaite faire une école de mode, ces derniers refusent. « Ils avaient très peur. Peur que ce métier ne fasse pas partie de notre couche sociale. Que je ne réussisse pas. » Aujourd’hui, ils demeurent ses plus fervents supporters. De cet épisode, Sakina ne conserve aucune rancœur. Au contraire. « Grâce à leur opposition, j’ai appris à me battre pour ce que j’aime. » Sakina ou l’art de transformer le poison en élixir.
Avec psychologies.com
Elle cite Mandela et Rimbaud. Conçoit la mode comme une grande
affaire sociologique. Raccommode les déchirures du « tissu social »…
Sakina M’Sa n’est pas une styliste comme les autres. Parti de rien, ce
petit bout de femme pétillant, né aux Comores il y a 38 ans, a lancé, en
2002, sa marque de prêt-à-porter féminin haut de gamme. Depuis, la
créatrice a réussi à se faire un nom dans l’univers fermé de la mode.
Elle a reçu de nombreuses distinctions -dont le Grand prix de la
création de la ville de Paris en 2007-. Exporte ses vêtements dans le
monde entier. A habillé les comédiennes Eva Mendès ou Ludivine Sagnier.
Ses défilés sont pris d’assaut. Sa mode, chic et éthique, est à son
image : généreuse et solidaire.
Pas une assistante sociale
Une entreprise d’insertion (EI) aide des personnes en situation
difficile (demandeurs d’emploi, handicapés…) à construire un parcours
professionnel durable. Il en existe, aujourd’hui, 1000 en France. C’est
le ministère du Travail qui délivre le label.
L’importance du mélange
Débordante d’énergie, la créatrice à la crinière noire est sur tous les fronts. Avec l’association Daïka, qu’elle a fondée en 2006, elle anime également des ateliers de médiation culturelle, autour du vêtement et de l’imaginaire. Leur prix : entre 1 et 4 euros, selon les revenus. Très prisés, ces rendez-vous se déroulent deux fois par semaine, au sous-sol de sa petite boutique, située dans le quartier populaire de la Goutte d’or (18ème), à Paris. Le principe : s’inspirer d’une exposition -actuellement, celle consacrée à Yves Saint-Laurent, au Petit Palais- pour ensuite créer un vêtement ou un objet muséal. Parmi les participants : des mamas du quartier, des écrivains, des profs aux Beaux-Arts, des femmes au foyer... Un melting-pot que Sakina apprécie. Elle qui exècre toute forme de clivage et de stigmatisation de public : « Aujourd’hui, on gère le social en cloisonnant : selon le milieu, le sexe, l’origine... Ce n’est pas une bonne solution. C’est important de faire se rencontrer des gens très différents. Cela apporte une vraie richesse... ».
Ses premiers ateliers : une nourriture
Ses premiers ateliers du « tissu social », la styliste en a eu l’idée en 1992. Diplômée d’une école de mode à Marseille, elle monte à Paris pour trouver un stage dans une maison de couture. Mais ne parvient pas à se faire embaucher. Elle décide alors de proposer aux gamins de son quartier, à Bagnolet (93), des « ateliers de l’imaginaire ». L’objectif ? « Les intéresser à (s)es pratiques, à la façon dont le vêtement peut être fondateur de signes, vecteur de valeurs humaines et de vie ». Rapidement, Sakina étend ses ateliers à d’autres publics : mamans, personnes âgées... Pour elle, ces expériences ont été « une véritable nourriture ». « Cela m’a permis d’arriver à cette réflexion d’entreprise d’insertion. Je n’avais pas envie d’être dans un travail de mode qui ne s’intéresse qu’à un projet esthétique. Mais qui soit capable de s’ancrer aussi dans un projet de société ».
Transformer le poison en élixir
Dates clés 1972 : Naissance de Sakina aux Comores
1979 : arrivée à Marseille
1992 : monte à Paris et lance ses premiers ateliers à Bagnolet
2002 : crée l’entreprise Trevo
2006 : fonde l’association Daïka
2009 : son entreprise est reconnue « entreprise d’insertion » par le ministère du Travail
Lorsqu’à sept ans, elle doit quitter le pays, Sakina refuse catégoriquement. Sa grand-mère la rassure. « Elle m’a dit que si elle venait à mourir avant que je la revoie, il fallait que je donne ce que j’avais de plus cher à la terre ». Ce qu’elle fera, à 19 ans, lorsque son aïeule décédera. A l’époque, ce qu’elle a de plus précieux, c’est un tissu. « Je l’ai enfoui dans mon jardin. Mais quinze jours plus tard, notre chien l’a déterré. La matière avait vieilli, patiné. » Un procédé qui est devenu sa marque de fabrique : aujourd’hui encore, elle enfouit des pièces dans la terre qu’elle laisse mûrir comme du bon vin.
Toutes les cultures du monde
Quand la petite comorienne, encore enivrée par les senteurs des arbres ylang-ylang de son village, débarque à Marseille, le dépaysement est total. « Je trouvais que ça sentait mauvais. Il y avait plein d’odeurs de fromage ! » Parmi les souvenirs gravés dans sa mémoire : les rendez-vous du dimanche avec les gamins du quartier. « Là où je vivais, il y avait toutes les cultures du monde. Avec les copains, on avait construit notre propre langage : un mélange de mots comoriens, français, arabes… C’était magnifique. » Un mariage des cultures que Sakina a souhaité retrouver en installant son entreprise à Barbès : « J’ai besoin d’être dans une ambiance de vie. Où les enfants sont dehors et les rires omniprésents. »Le vêtement : une passerelle entre soi et les autres
A 14 ans, Sakina prend une décision : plus tard, elle sera styliste. Adolescente rebelle, elle arbore un look punk. « Ma révolte passait par le vêtement. J’ai compris le pouvoir que ce petit objet en tissu d’apparence superficielle pouvait avoir sur la société. Combien il était une passerelle entre soi et les autres. Combien il pouvait exclure ou inclure… » Son premier défilé, elle l’organise au collège. Et confectionne les vêtements à partir des torchons et des nappes en plastiques de sa mère... A l’époque déjà, Sakina ne recule devant rien : elle envoie une lettre à la femme du maire de Marseille pour l’inviter à son spectacle. Son culot paye : « Elle est venue et elle a beaucoup ri ! ». Cette audace et cette originalité lui permettront de se faire remarquer quelques années plus tard. En 2000, elle propose un défilé à la gare Eurolines de Bagnolet. Sur le podium : les mamas, les ados, les personnes âgées, qui avaient participé à ses ateliers de l’imaginaire. Mais aussi, des mannequins d’agence. Dans la salle : l’acheteuse des Galeries Lafayette. Qui, séduite par sa collection, propose de la lui acheter. Le début du succès.
Pourtant, rien n’était joué d’avance. Lorsqu’elle annonce à son père, ouvrier boucher, et à sa mère, femme au foyer, qu’elle souhaite faire une école de mode, ces derniers refusent. « Ils avaient très peur. Peur que ce métier ne fasse pas partie de notre couche sociale. Que je ne réussisse pas. » Aujourd’hui, ils demeurent ses plus fervents supporters. De cet épisode, Sakina ne conserve aucune rancœur. Au contraire. « Grâce à leur opposition, j’ai appris à me battre pour ce que j’aime. » Sakina ou l’art de transformer le poison en élixir.
Avec psychologies.com
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