Mayotte serait-elle devenue la mauvaise conscience de la France, sa honte, sa dissimulation ? Faire place nette, nettoyer (au “karcher”4), faire le vi
Mayotte Place Nette. Vers un monde inhabitable
Mahaburini, Kaweni, octobre 2014. © daniel gros |
Mayotte serait-elle devenue la mauvaise conscience de la France ? L’État y ritualise des Wuambushu annuels sous le label de « Place nette ». Le principe est le même : nettoyer Mayotte des étrangers, des délinquants et des mal-logés. Tour à tour, autorités, élus, habitants privilégiés se relaient pour déplacer ceux qui ne comptent pas, auxquels n'est accordée aucune place dans un monde inhabitable.
Mayotte serait-elle devenue la mauvaise conscience de la France, sa honte, sa dissimulation ? Le pire s’y passe tranquillement. Bien qu’y adviennent les événements les plus tragiques, les plus infamants et de fait les plus moralement discutables, les citoyens se réclamant Français et revendiquant la France pour leurs intérêts, expriment peu leur trouble quant aux maux infligés aux populations pauvres, qui composent tout de même la grande majorité des habitants de l’ile.
Pire encore, les citoyens les mieux traités récriminent contre le pouvoir et surenchérissent sur sa brutalité envers les plus pauvres, catégorie à laquelle appartiennent également les migrants.
Il devient particulièrement difficile de chroniquer les événements qui se chassent les uns les autres. Comment évaluer leur gravité tant le dernier épisode excède le précédent et accentue le harcèlement permanent dont sont affligés les indésirables désignés ?
Une population insulaire dont 80% vit sous le seuil de pauvreté ne peut se plier aux dictats d’une législation soucieuse de promouvoir les conditions de vie répondant aux critères du confort bourgeois. Des règles d’éligibilité aux prestations sociales qui excluent près de la moitié de la population, un marché de l’emploi qui n’occupe que le tiers des individus en âge de travailler, un cout de la vie supérieur à celui observé en métropole : voilà au moins trois conditions qui se combinent pour astreindre les laissés-pour-compte à se débrouiller avec les moyens à leur portée, opportunités qui ne font pas bon ménage avec la légalité. Puisque l’État les écarte de la solidarité nationale, ils n’ont d’autres choix que de se confiner dans l’économie informelle où ils puisent toutes les ressources nécessaires à la survie.
Depuis la mise en application de la loi Elan qui permet au préfet de Mayotte, et à celui de la Guyane, de détruire l’habitat insalubre, illégal ou indigne, adjectifs permutables en fonction de la justification souhaitée, 33 arrêtés de démolition sous couvert de la loi Elan ont été publiés et exécutés délogeant 11 585 personnes1.
L’opération Wuambushu 2, inaugurée le 16 avril par la démolition de 220 habitations dans le quartier de Doujani 2, doit se poursuivre jusqu’à la fin du mois de juin et durer onze semaines. Comme l’an passé, rien n’a été préparé sauf les prétentions affichées : détruire 1300 cases en tôle durant cette période bien qu’un seul arrêté ait été publié à ce jour contre un quartier de Sada, village côtier sur le littoral ouest, que les services de la préfecture n’ont pas pris la peine de recenser. L’adjudant qui signe le rapport de gendarmerie annexé à l’arrêté confirme sans gêne qu’il « n’existe pas de recensement précis de la population dans ce village vu la nature des constructions, souvent illégales, et abritant des personnes en situation administrative irrégulière sur le territoire français2 ».
Mais qu’importe puisque les gens ne sont pas le souci de l’administration. On ne les compte pas parce qu’ils ne comptent pas.
L’atteste la nouvelle appellation dont le Gouvernement affuble le Wuambushu nouveau à la périodicité printanière : « Mayotte Place nette ».
L’expression « place nette » est devenu récemment la marque de fabrique de toutes les actions de politique urbaine : ainsi l’opération « Place nette XXL » à Marseille vise à « renforcer la lutte contre la délinquance et plus particulièrement le trafic de stupéfiants3 », même refrain à Strasbourg, à Nantes, dans le Nord. Le pouvoir exécutif règle son action sur la dimension régalienne, la seule pour laquelle il semble avoir encore un peu d’imagination lexicale comme l’emploi à toutes les sauces du terme “réarmement” et les préfixes en “R” (refondation, révolution...) particulièrement affectionné par le président de la République, franchement belliqueux.
Pour Mayotte où s’applique depuis longtemps déjà une politique répressive sans alternative, la formule exprime toutes les menaces déclinées par le dictionnaire le Robert : « faire place nette, vider les lieux et fig. renvoyer d’une maison, d’une entreprise, tous ceux dont on veut se débarrasser ; rejeter ce dont on ne veut plus ».
Faire place nette, nettoyer (au “karcher”4), faire le vide, tel est le programme de coups de torchon périodiques promu en lieu et place d’une politique sociale solidaire et redistributive. Pareil traitement n’est pas réservé au petit confetti lointain perdu dans l’océan indien, dont la relation avec la France s’est transformée d’ancienne colonie à nouveau département sans que son sort en soit pour autant amélioré. Par population pauvre il faut de toute évidence comprendre les nationaux et les migrants dont les maltraitances administratives et gouvernementales finissent par s’équivaloir : harcèlements, accumulation d’atteintes aux droits et aux protections, travail forcé ou emplois dégradés, dénonciation d’une nationalité supposément extorquée, la liste reste à la mesure de l’imagination des dominants.
Outre la politique extrême de démolition des quartiers pauvres, dite à présent « décasages5 », les deux autres volets complètent inlassablement le dispositif mis en place depuis des décennies dont l’inefficacité patente conduit les autorités à l’amplifier ad nauseam.
La lutte contre l’immigration clandestine imagine purger Mayotte des habitants venus des autres iles de l’archipel sans que les mesures mise en œuvre depuis des lustres n’aient la moindre incidence sur une démographie dont les données sont devenues un enjeu de lutte6. Contester les données de l’INSEE procure des avantages dans le rapport de force avec l’État français : les personnes non comptées figurant implicitement des hordes menaçantes de clandestins par définition cachés, les activistes des collectifs de citoyens et les élus font valoir une sous-estimation de la population pour aggraver la politique anti-comorienne et plus généralement anti-migratoire. La théorie du complot est appelée à la rescousse : obsessionnellement, les deux député·es fantasment et remâchent sur une offensive délibérée de l’État des Comores pour convaincre du grand remplacement en cours et radicaliser toutes les relations quotidiennes avec les migrants.
Et cela fonctionne au-delà de toute espérance : le gouvernement manipule la nationalité des habitants sans retenue, promet de supprimer ce qu’il reste d’un Droit du sol bien attaqué depuis la loi Asile de 2018 et concentre toute sa politique sur le rejet et le harcèlement des habitants venus des autres iles quel que soit leur statut administratif ; tout ceci au détriment de mesures favorables au développement et à l’intérêt général.
Immigration, délinquance, habitat insalubre. Guerre aux migrants, aux jeunes, et aux pauvres. La nouvelle entreprise baptisée « Mayotte, place nette », ritualisée dans une répétition annuelle de deux mois environ d’avril à juin, célèbre des politiques simplistes qui ne...Lire la suite sur Médiapart
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