Mayotte, un drame de la Françafrique

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La colonisation de Mayotte par la France date de 1841, suivie par la conquête des autres îles de l’archipel des C.Mayotte, un drame de la Françafrique

Mayotte, un drame de la Françafrique

Ces dernières semaines, Mayotte, «101e département français à l’autre bout du monde, dans l’océan Indien, a dû faire face à des épisodes de violence jamais connus auparavant. Des centaines de jeunes s’y affrontent désormais à coups de machette, sur fond de rivalités inter-villageoises. Certains y ont trouvé la mort, sans que l’État français puisse fournir un réel bilan. D’autres ont été grièvement blessés, y compris des habitants qui se sont trouvés là au mauvais moment, au mauvais endroit. Darmanin s’y est rendu pour le réveillon… Ses seules réponses face à cette situation dramatique ? La répression, toujours plus de répression : centres éducatifs fermés pour les jeunes, maintien du RAID, envoyé en novembre sur l’île, et nouveau durcissement du « droit du sol ». Non seulement les promesses de la départementalisation ne sont pas tenues, mais la réalité tourne au cauchemar… Comment l’île de Mayotte en est-elle arrivée là ?

Histoire d’une création de frontière


La colonisation de Mayotte par la France date de 1841, suivie par la conquête des autres îles de l’archipel des Comores. En 1946, les Comores deviennent un territoire d’outre-mer, qui connaît par la suite une indépendance tardive : en 1974, la France organise une consultation dont le résultat est sans appel : 95 % des Comoriens se prononcent pour l’indépendance. Mais, découpant les résultats du scrutin île par île, la France considère que seules la Grande Comore, Anjouan et Mohéli peuvent prendre leur indépendance, alors que Mayotte, qui a voté à 65 % pour rester française, doit rester dans son giron [1]. La France est condamnée par l’ONU à plusieurs reprises, car en droit international, on ne peut pas décoloniser en découpant un territoire. 

Elle s’assoit sur ces condamnations, soutenue par les élites mahoraises qui misent sur le séparatisme vis-à-vis des Comores et font miroiter à la population de l’île les bienfaits de la départementalisation. Dès 1995, Balladur, alors ministre de l’Intérieur, crée un visa obligatoire pour circuler entre Mayotte et les autres îles de l’archipel comorien, restreignant ainsi considérablement les déplacements entre des îles qui ont toujours été en lien. C’est le début des kwassa-kwassas, ces pirogues qui relient clandestinement les autres iles des Comores et Mayotte, et de leurs lots de noyades : une étude estime qu’il y aurait eu entre 7 000 et 12 000 morts entre 1995 et 2012. Depuis, il n’y a plus d’estimations : autant de morts invisibilisées...

La dernière étape de la création de frontière, la départementalisation, a lieu en 2011. Mayotte devient le 5e département d’outre-mer et le 101e département français. Cette ultime étape à l’intégration suscite de nombreuses attentes parmi une population très pauvre.

La catastrophe de la départementalisation


La réalité sera tout autre, elle conduit à une dégradation de la vie quotidienne des Mahorais, une véritable descente aux enfers dont témoignent les terribles faits divers de ces dernières semaines.

L’application du droit français à la société mahoraise se traduit tout d’abord par de nombreuses expropriations et destructions de maisons situées à moins d’une certaine distance du littoral. De manière générale, l’inexistence d’un cadastre a lésé des Mahorais installés depuis des générations, à qui on contestait soudain la réalité de leur propriété. La réforme du statut personnel a ensuite éclaté toute la société traditionnelle, la faisant passer d’une société communautaire, avec ses oppressions (religion, polygamie) mais aussi ses solidarités, à une société d’individus… sans aucune aide de l’État français. En 2018, selon l’Insee, 77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté national. 

Quant aux aides sociales, leurs montants sont inférieurs à ceux versés dans l’Hexagone ou dans les autres départements d’outre-mer : ainsi le RSA versé à Mayotte représente 50 % du montant versé dans les autres territoires français. Et il suffit d’avoir plus de 280 euros de revenus par mois pour une personne seule pour ne plus pouvoir le toucher : les conditions d’éligibilité et les nombreux documents à fournir écartent de nombreuses personnes des allocations auxquelles elles pourraient avoir droit. C’est ce qui explique qu’à Mayotte, les prestations sociales ne représentent que 17 % du revenu moyen des familles pauvres, contre 63 % en Guyane, département le plus pauvre après Mayotte.

La destruction de la société traditionnelle a provoqué une augmentation du chômage, car bien peu d’emplois ont été créés. Les services publics ne sont pas non plus à la hauteur, avec un seul hôpital sur l’île et un manque d’écoles primaires qui contraint les enfants à aller à l’école soit le matin, soit l’après-midi, pour assurer la rotation des bâtiments. Le secondaire est surchargé. En 2018, 73 % des Mahorais âgés de 15 ans ou plus sont sortis sans aucun diplôme qualifiant du système scolaire, contre 28 % dans l’Hexagone. Les écarts se creusent entre une minorité (élites mahoraises et expatriés) qui a accès aux emplois publics et donc à des salaires revalorisés de 40 % (prime de vie chère, versée dans les départements d’outre-mer) et une majorité paupérisée, qui ne peut pas accéder à la société de consommation introduite par la France.

Les « immigrés » comoriens, boucs-émissaires de tous les maux


Face à ces frustrations légitimes, la bourgeoisie mahoraise et l’État français distillent la xénophobie : tout serait la faute du fameux « appel d’air » représenté par Mayotte au sein des îles plus pauvres. C’est l’argument pour refuser d’aligner les minimas sociaux sur ce qui est versé en métropole, c’est aussi l’argument pour refuser de mener une politique sociale digne de ce nom dans une île qui n’est riche que par comparaison avec un des pays les plus pauvres au monde, les Comores et qui n’est française que pour servir les intérêts de la France.

Du côté de l’État français, la réponse à cette situation, c’est la multiplication des expulsions : actuellement plus de 20 000 par an, soit près de 10 % de la population présente à Mayotte. Le centre de rétention administrative de Mayotte comporte autant de personnes retenues (26 900 en 2019) que ceux de toute la France métropolitaine. L’État français déroge au droit des étrangers national : pas de droit à l’AME (aide médicale d’État) à Mayotte, des expulsions réalisées le jour même où l’OQTF est notifiée, sans laisser le temps d’introduire les recours auxquels les personnes ont droit, des expulsions de mineurs dont on modifie la date de naissance, des expulsions de parents laissant à Mayotte de nombreux mineurs isolés.

De manière générale, Mayotte est un département français, mais les lois n’y sont pas les mêmes qu’en France, ce qui paraît pour le moins inconstitutionnel. Appliqué seulement à Mayotte depuis 2019, un nouveau droit du sol conditionne l’obtention de la nationalité française à l’âge adulte pour un enfant né à Mayotte au fait qu’un de ses parents soit en situation régulière depuis au moins trois mois avant sa naissance. Le gouvernement parle actuellement de porter ce délai à un an de présence régulière… De même, les conditions d’accès à une carte de séjour sont encore plus drastiques qu’en métropole.

De leur côté, les élites comoriennes, personnel politique et notables locaux, soufflent elles aussi sur les braises de la xénophobie. Le Codim (collectif de défense des intérêts de Mayotte) mène des opérations de « décasage » : des « clandestins », ou considérés comme tels, sont chassés de leur habitation ou livrés aux forces de police, des enfants empêchés de se rendre dans leur classe par des milices. En 2018, des femmes se sont relayées jour et nuit pour empêcher les étrangers de faire leurs démarches en préfecture. La percée du vote pour le Rassemblement national témoigne de cette atmosphère : 2,77 % en 2012, 27,28 % en 2017 et 42,68 % en 2022. Le sous-développement de...Lire la suite sur Convergences révolutionnaires

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