Le grand mariage est sans doute un des piliers de la culture...Plaidoyer pour des « grand mariages » qui sont plus que des festivités aux Îles Comores
Plaidoyer pour des « grand mariages » qui sont plus que des festivités aux Îles Comores
Le grand mariage est sans doute un des piliers de la culture comorienne. Il a été savamment conçu par nos ancêtres et s’est transmis sans relâche de générations en générations. Il est fait d’une suite très bien orchestrée de rites précis qui sont limités dans un temps précis et qui culminent en une dizaine de jours de festivités.
Plus que le fait d’unir deux personnes, il est aussi un moment de festivités collectives, d’union entre les familles, les villages, les régions mais aussi d’élévation des personnes impliquées dans la société.
Cette élévation venait aussi avec des responsabilités en ce sens qu’on s’attendait à ce que le nouveau « notable », titre qu’on acquière au terme du grand mariage, soit en mesure, entre autres, de participer aux discussions de « Mwedeleho » de leur village où ville. Ainsi, la personne anoblie devient une référence à qui on fait appel, entre autres, pour contribuer à la résolution des conflits et aux réflexions sur l’amélioration des conditions de vie de la population de sa contrée.
Cette tradition, telle que conçue par nos aïeux, a résisté à l’usure du temps. En effet, malgré la colonisation et après l'indépendance, la définition de la notabilité continuait à revêtir son sens communautaire avec des bases bien définies comme le respect de l'aîné, des habitants des quartiers, des autres villes et villages etc., bref une certaine sagesse avérée qui rimait avec une bonne utilisation de sa matière grise. Les aînés accordaient l'importance à l'éducation, au savoir-être, au savoir-faire, à la sagesse, le tout au service de l'essor de la communauté et du pays.
Au fil des années, malheureusement, le grand mariage qui était l’accomplissement d’un cheminement de toute une vie, ponctué des actes contributeurs à l’avancement de la communauté, a été l’objet des mutations qui l’ont réduit à la recherche effrénée d’en mettre plein la vue à la communauté. Les familles rivalisent pour être celles qui y ont consacré le plus d’argent au village, en ville, ou à travers toute la région, même s’il faut s’endetter et croupir dans la misère après le mariage.
Cette recherche de reconnaissance communautaire à tout prix, a amené les gens (jeunes et moins jeunes) à faire tout pour atteindre ce summum qu’est le « Anda ». Le grand mariage, de plus en plus dénué de sa substance initiale, voit des détourneurs de fonds dans le pays, des membres de la diaspora qui s’adonnent à des activités contraires à toutes les valeurs véhiculées jadis par le grand mariage tel que conçu par nos aïeux, le faire et être adulés par la communauté. Ainsi, le grand mariage devient de plus en plus réduit aux Machouhoulis au détriment de la contribution à l’élévation de la communauté à travers les réflexions qui contribuent au développement durable des communautés et du pays.
Lorsque l’on sait que les îles Comores peinent à se positionner sur le chemin de son développement durable, il n’est pas étonnant que certains observateurs soutiennent que les dépenses relatives à l’organisation des grands mariages se font au détriment des investissements dans l’éducation, la santé, et autres services sociaux des familles, des communautés, du pays.
De là, certains ne manquent pas d’affirmer que le Anda contribue à la lente marche du pays sur le chemin de son développement durable. Personnellement, je suis convaincue que le grand mariage en tant que tel et tel que conçu par nos aïeux, était et peut toujours constituer un élément moteur et accélérateur du développement.
Premièrement parce que toutes les valeurs sur lesquelles il porte sont des facteurs contributeurs au développement : éducation, savoir-être, savoir-faire, sagesse etc.
Deuxièmement, les dépenses relatives au grand mariage, si bien canalisées avec des politiques idoines de la part du gouvernement, peuvent contribuer à l’essor économique du pays à travers des effets multiplicateurs. Par exemple, la plupart des biens de consommation durant ces festivités sont importées, allant de l’or jusqu’au riz, en passant par les boissons.
S’il y avait des mécanismes pour encourager des petites entreprises comoriennes à offrir ces biens sur place au pays, cela aurait des retombées économiques importantes, sans oublier le matériel de construction des maisons des nouveaux mariés.
Par ailleurs, le grand mariage a été travesti et on l’utilise pour toute sorte de positionnement. En effet, il y a souvent une confusion entre ce qui est supposé être un choix de deux individus et leurs familles respectives de s’unir avec les choix collectifs, ceux d’une communauté.
Certaines personnes en manque de reconnaissance ont ramené le grand mariage à un instrument qui leur permet d’atteindre ce qu’elles n’ont pas pu réaliser. Ainsi, quelqu’un qui n’a pas pu faire ses études considère le fait d’avoir fait le grand mariage comme une façon de combler ce manque. Pour ce faire, on utilise le fait d’avoir fait le grand mariage pour minimiser ceux qui ont étudié et qui n’ont pas eu ou pas encore l’occasion de faire le grand mariage.
Le Anda devient quelque chose qui absout de tout et donne accès à toute place dans les instances décisionnelles, que ce soit au village, en ville, ou dans l’administration. Il va falloir dissocier cet acte culturel de grande envergure qu’est le Anda avec le reste. Par exemple, le Anda n’est pas un acte intellectuel ou ne fait pas de quelqu’un un expert dans les différents domaines qui contribuent à l’avancement de la société.
Par exemple, on doit toute la reconnaissance à Said Soilihi de nous avoir légué son savoir par son livre « Chikomori » ou Soprano qui fait connaître son pays d'origine à travers le monde entier par son talent ou encore les jeunes joueurs de football des « Cœlacanthes » qui ont littéralement mis notre pays sur la carte du monde avec leur participation historique à la coupe d’Afrique des nations.
Ces derniers, bien que n’ayant pas ou pas encore fait le Anda contribuent à l’essor du pays. Il est difficile de comprendre pourquoi certains Comoriens prennent le grand mariage comme une découverte méritant un prix d'appréciation collectif. On ne fait plus la différence entre notabilité et éducation, profession, fonction etc., ce qui importe pour être reconnu est d’avoir fait les machouhoulis.
La seule contribution reconnue est le grand mariage et ceux qui ne l’ont pas encore fait ne sont pas considérés quel que soit leur contribution au développement ou au rayonnement du pays.
Sur le plan économique, le grand mariage peut contribuer à l’essor économique du pays notamment en le combinant avec le développement du tourisme international. Il s’agit d’une richesse culturelle unique qui a un potentiel d’attirer les touristes de partout au monde à l’instar du carnaval de Rio qui attire chaque année des millions de touristes avec des retombées économiques qui représentent une bonne portion du PIB du Brésil.
Les populations brésiliennes en bénéficient énormément avec des retombées dans tous les secteurs. En ce sens, nous devrions considérer inscrire le [next] grand mariage au patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Des personnalités comoriennes comme Soprano et Imani peuvent être des ambassadeurs de cette richesse culturelle.
Les Îles Comores par sa beauté naturelle peuvent être un pôle d’attraction touristique dans l'océan Indien compte tenu de la qualité et de la diversité de son potentiel culturel et environnemental.
Force est de constater qu’aujourd’hui le grand mariage qui offre de multiples opportunités économiques non exploitées, n’est réduit qu’aux dépenses non productives par manque d'organisation et de stratégie. Par ailleurs, les Îles Comores constituent un véritable creuset de culture ayant fait partie d’une route commerciale de l'océan Indien qui a fait l’histoire.
Son influence a été très marquante pour l’avènement de langue Swahili, une dérivée de la fusion des langues africaines et l'arabe, porté par un Comorien d'origine. En plus des essences naturelles qui ont conféré le nom « d'archipel aux parfums » aux Comores, le grand mariage peut attirer de nombreux touristes l'été car en moyenne, il y a environ une centaine de mariages en été de juin à août.
Les Îles Comores sont aussi les lieux des réserves de biosphère, de nombreux sites archéologiques et ethnologiques non exploités. Les activités touristiques potentielles autour du grand mariage, si bien formulées, c’est non seulement les "Andatistes", mais aussi tous les Comoriens qui vont en bénéficier sur le plan économique et non seulement de la consommation et des festivités.
Elles peuvent être créatrices d’emplois et d’opportunités pour les jeunes et constituer une source de revenus pour l’État dont la pression fiscale est très faible, bref un contributeur au développement durable.
Pour aller dans ce sens, il faudra par contre investir dans les infrastructures d’accueil, la sécurité des zones touristiques et l’hospitalité des populations, la variété des zones culturelles mais aussi celle de la nature.
Quelques pistes de solutions:
A. D'une part, le grand mariage peut être utilisé comme une activité culturelle encourageant le tourisme comme par exemple le carnaval de Rio, le festival d’été de musique de la ville de Québec; le "Buhe", le "Meskel" en Éthiopie; la fête du "Biano" et la « Cure salée » au Niger.
B. Encourager l'investissement au pays : il sera intéressant que les économistes et statisticiens Comoriens travaillent avec les organismes internationaux pour réaliser une étude chiffrée pour évaluer l’ampleur des dépenses relatives au grand mariage notamment ce qui va en investissement et ce qui n’est que de la pure consommation, les différentes rubriques des dépenses, ce qui est importé et ce qui est acheté sur place.
C. Selon plusieurs études, les transferts des migrants comoriens représentent environ 22% du PIB du pays. Malheureusement, ce chiffre impressionnant est majoritairement n’est dirigé majoritairement que vers les dépenses de consommation des ménages. Le gouvernement devrait s’atteler à explorer les possibilités de diriger une partie de ces transferts vers des investissements dont bénéficieraient les migrants eux-mêmes ainsi que l’économie. Des exemples sont légion sur le continent dont les Comores peuvent s’inspirer notamment au Mali, au Sénégal et à l’Île Maurice.
D. Il faut amorcer une forte prise de conscience quant au rôle de la culture et du tourisme par l'intermédiaire du grand mariage dans le développement durable et la lutte contre la pauvreté, notamment à travers la conservation et la valorisation du patrimoine, l’art et l’artisanat.
E. Lutter contre l'ignorance intellectuelle qui lie le grand mariage à l'intelligence, à la réussite, à l'éducation, à l’expertise et à la profession. La valorisation des connaissances est primordiale pour un développement durable.
F. Il faut préserver et encourager la belle culture du "Anda" tout en minimisant les effets pervers potentiels sur les générations futures au pays et à l'étranger.
Par Marie Ahamada
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