Madagascar : enquête sur une famine passée sous silence. Une fois de plus, Madagascar est touchée par la famine. La plus dramatique depuis des décenni
Une fois de plus, Madagascar est touchée par la famine. La plus dramatique depuis des décennies. Un demi-million d'enfants âgés de moins de 5 ans vont souffrir de malnutrition, surtout dans le sud de l'île, ont alerté le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Unicef en juillet 2021, et plus d'un million de personnes sont en état d'insécurité alimentaire grave. Pourtant, le pays jouit de plus de cinq climats différents et de productions suffisantes, voire excédentaires, pour les habitants locaux dans certaines régions. Alors, comment expliquer la famine qui touche le pays ?
La région touchée par la famine actuellement est celle qui souffre d'un climat des plus arides, au sud du pays. Mais rien n'est réellement nouveau : « la zone géographique concernée est frappée depuis très longtemps par des problèmes alimentaires. C'est un triangle de sécheresse ancien avec un fort déficit de précipitations », affirme Sylvie Brunel, géographe. En bref, le réchauffement climatique ne fait qu'aggraver un problème déjà existant. La véritable cause de ces famines semble avoir une autre origine.
Un problème politique
Le problème malgache de la famine se situe à un niveau politique. Comme le montre Bastien Serre dans une thèse soutenue en 2017, la corruption fait rage dans ce pays et la lutte contre cette dernière est un véritable parcours du combattant. En effet, selon Sylvie Brunel, le problème de cette région n'est pas immuable : « la question pourrait être réglée par des aménagements agricoles et hydrauliques mais le gouvernement malgache est totalement défaillant. L'état désastreux des routes fait que les populations concernées sont enclavées. Par conséquent, le rééquilibrage avec les régions excédentaires et l'aide ne peuvent pas se faire. » Les famines successives qui frappent cette région de Madagascar ne sont donc pas vraiment un problème de faisabilité technique mais bien de volonté politique.
Cette île souffre d'abord d'une quasi-absence d'État : administration, police et justice, éducation et santé, infrastructures de transport sont exsangues ou inexistantes, et la corruption règne à tous les niveaux. Résultat, les rendements agricoles sont dramatiquement bas. Concernant la nourriture principale, en moyenne 2,45 tonnes de riz à l’hectare (contre huit tonnes en Égypte !), et le pays n'a pas les moyens d'en importer suffisamment ni de mettre les rares stocks à disposition dans les zones reculées - alors même qu'il existe sur place des techniques à très faible investissement, comme les systèmes dits de « riziculture intensive » qui permettent de produire localement cinq tonnes à l'hectare.
Au-delà du climat terrestre
S'il ne fait aucun doute que le problème climatique entrave l'autonomie de ces régions touchées par les épisodes de famine, des infrastructures adaptées, tant au niveau agricole (pour lutter contre la sécheresse) qu'au niveau logistique (pour permettre une importation des ressources par les autres régions et l'aide internationale) pourraient le résoudre en partie. Se pose alors la question de la situation politique du pays. Cette dernière est encore loin d'être stable, comme le décrit Solofo Randrianja, Professeur d'histoire à l'université de Toamasina à Madagascar, dans The Conversation.
De l'utilisation de méthodes extraconstitutionnelles par le gouvernement en exercice, aux supposées tentatives de putsch, le climat politique est tendu. Surtout lorsqu'on sait que des doutes planent dans la façon dont le Président malgache actuel a acquis le pouvoir. Certains des investissements économiques du gouvernement posent également question (par exemple, la construction de salles de sport qui ne reflètent en rien les besoins vitaux de la population pauvre). Sa gestion de la pandémie de Covid-19, en vantant l'efficacité de remèdes dont l'efficacité n'est pas supportée par un faisceau de preuves suffisant, a également été désastreuse.
Malnutrition : une prévalence qui croît dangereusement
Si le problème de la famine existe depuis longtemps, il s'aggrave. Les organismes humanitaires décrivent une situation inédite et un taux de malnutrition qui ne fait qu'augmenter chez les enfants. Médecins sans frontière mène actuellement des campagnes de dépistage et de prise en charge chez les personnes qui en souffrent.
Néanmoins, cela sera loin d'être suffisant face aux prévisions attendues. En effet, selon le programme alimentaire mondial, la malnutrition devrait quadrupler d'ici peu à cause du manque de ressources et de l'aide internationale insuffisante. La collaboration des acteurs humanitaires et du gouvernement malgache à long terme est essentielle si l'on souhaite voir les habitants pauvres de ce pays sortir de ce calvaire qui semble se répéter inéluctablement.
Par Julien Hernandez, Journaliste scientifiquePublié le 16/10/2021
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