À Mayotte, la lutte contre l’immigration clandestine est l’une des principales préoccupations de la préfecture : plus de la moitié des exp...
À Mayotte, la lutte contre l’immigration clandestine est l’une des principales préoccupations de la préfecture : plus de la moitié des expulsions en France se font depuis Mayotte, parfois au détriment de la loi. Moustafid en a été victime.
La petite ampoule suspendue aux fils électriques peine à éclairer la pièce où
sont réunis Moustafid et sa famille. Assis à même le sol, appuyés contre des
murs en parpaing, ils partagent un goûter pour fêter le retour de l’adolescent
à la maison.
«J’ai cru qu’ils allaient m’envoyer à Anjouan et que je n’allais jamais
revenir !» confie le jeune de 15 ans. Sourire aux lèvres, sa mère affiche son
soulagement : «Je n’arrivais plus à dormir ces dernières nuits. Je me
demandais comment j’allais faire pour le ramener à Mayotte s’ils le
renvoyaient, sachant que je n’ai pas assez d’argent…Heureusement, il a pu
sortir !»
Le lundi 7 juin, pendant l’une de ses patrouilles quotidiennes, la police aux
frontières (PAF) interpelle Moustafid. Le lycéen était en route pour
Mamoudzou, à une vingtaine de kilomètres de chez lui, pour chercher un stage
censé commencer une semaine plus tard. «J’étais à moto avec quelqu’un qui
m’avait pris en stop quand ils nous ont arrêtés», précise-t-il.
Sans pièce d’identité sur lui, l’élève de seconde, et installé à Mayotte
depuis 2016, montre sa convention de stage. «Je voulais prouver que j’étais
mineur, mais ils ne m’ont pas cru. Ils ont dit que n’importe qui pouvait faire
une fausse convention et se balader avec. Alors ils m’ont mis les menottes et
m’ont embarqué. Ça me faisait très mal.» De son côté, Nathalie Gimonet, la
sous-préfète chargée de la lutte contre l’immigration clandestine (LIC) avance
qu’«une convention de stage n’est pas un document certifié.»
Alors qu’il est dans la camionnette de la police, Moustafid demande à appeler
sa famille pour qu’elle lui apporte ses papiers, en vain. La PAF refuse et
poursuit sa tournée de l’île avec le jeune homme à bord du véhicule. «J’étais
très bavard. Je répétais que j’étais mineur pour qu’ils me laissent partir.
Mais à un moment, l’un des policiers a frappé devant moi un homme qu’il était
en train d’interroger… J’ai eu peur. Je n’ai plus rien dit», se souvient-il.
L’hypothèse d’un stratagème
La loi française interdit de placer en rétention en vue d’une expulsion, tout
mineur étranger qui n’est pas accompagné de sa famille. Pourtant, Moustafid
passe trois jours au centre de rétention administrative (CRA) de l’île. Dans
cet espace où sont enfermés les étrangers avant leur éloignement, une
obligation de quitter le territoire « français » (OQTF) sans délai lui est
notifiée.
Sur le document que Libération a pu consulter, la préfecture lui intime de
quitter le territoire et mentionne qu’il est né le 4 décembre 2000. Soit cinq
ans avant la date inscrite sur son acte de naissance, aussi consulté par
Libération. En quelques heures, le jeune de quinze ans devient un adulte de
vingt ans. Aux yeux de la préfecture, il est désormais majeur, et expulsable.
La sous-préfète à la LIC réfute toute falsification d’âge : «Si sur l’OQTF, il
est marqué «né en 2000», c’est que la personne l’a déclaré. Quand il n’y a pas
de preuve, c’est sur déclaration. On n’invente pas de date de naissance.» Elle
avance l’hypothèse d’un stratagème pour «se faire expulser volontairement car
c’est une façon d’aller gratuitement à Anjouan.» Un scénario régulièrement mis
en avant par la préfecture pour justifier les cas similaires à celui de
Moustafid.
Deux nuits au CRA
Maître Marjane Ghaem, l’avocate du jeune homme, enrage : «C’est la réponse
facile ! S’il voulait partir, pourquoi a-t-il refusé de signer les papiers
avec la fausse date de naissance ? Pourquoi a-t-il appelé ses proches pour
qu’ils le sortent de là ?» C’est grâce à la mobilisation de trois de ses
professeurs que l’adolescent échappe au «voyage gratuit» à Anjouan. Dès son
placement en rétention, Moustafid profite des téléphones du CRA pour alerter
sur sa situation.
Il appelle Chloé Laboisne, enseignante en UPE2A, unité pédagogique pour les
élèves allophones arrivants, qui l’a eu en classe pendant deux ans. Sans trop
tarder, elle témoigne avec deux de ses collègues pour attester de la minorité
de son élève. «C’est rare que des professeurs s’impliquent autant ici»,
s’enthousiasme maître Ghaem.
Mais malgré une ordonnance de mainlevée de la part du juge des libertés et de
la détention, l’adolescent passe deux nuits au CRA. Un problème technique
aurait empêché de transmettre la notification au centre de rétention.
Moustafid n’en sort que le mercredi 9 juin dans l’après-midi. Dès le lendemain
matin, il repart à la recherche de son stage, cette fois avec sa pièce
d’identité en poche…
Par Yasmine Sellami, Correspondance de Libération à Mayotte - photo
d’illustration
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