Malgré la répression, les Guinéens résistent et sont décidés à faire échouer le projet de révision constitutionnelle destinée à ouvrir la...
Malgré la répression, les Guinéens résistent et sont décidés à faire échouer le projet de révision constitutionnelle destinée à ouvrir la voie à un 3e mandat.
Après la semaine de manifestation meurtrière qu'a connue le pays, les Guinéens ne veulent rien lâcher. Mercredi, alors que les femmes ont défilé en blanc pour dire stop aux violences policières, le pays est entré dans une dangereuse effervescence. Jeudi, les opposants ont pris le relais dans les rues de la capitale Conakry et d'autres villes du pays. Vêtus de rouge (la couleur du sang des victimes), ils étaient bien des centaines de milliers de personnes selon des journalistes locaux – un million selon les organisateurs, 30 000 selon le gouvernement – à marcher sur plusieurs kilomètres aux cris de « amoulanfe » (« ça ne passera pas » dans la langue locale) ou « à bas la dictature », sans heurts malgré une forte et discrète présence policière.
Manifestations monstres
« Nous sommes fatigués des mensonges, des fausses promesses et surtout (du fait) qu'il (Alpha Condé) ne soit plus en mesure de répondre aux attentes de la population. Alors, dix ans, ça suffit », a dit à l'Agence France-Presse Souleymane Kamagathe, boulanger. Les Guinéens ont manifesté ailleurs, à Labé, Mamou ou Pita (centre), où, selon le gouvernement, les protestataires ont lancé des pierres sur un commissariat, seul incident rapporté de la journée.
La Guinée, pays de 13 millions d'habitants, pauvre malgré d'importantes ressources minières, est en proie depuis le 14 octobre à une intense contestation. Au moins huit manifestants (dix selon l'opposition) et un gendarme ont été tués, des dizaines d'autres blessés, des dizaines arrêtés et jugés. Cinq dirigeants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui a pris l'initiative du mouvement, ont été condamnés mardi à des peines allant de six mois à un an de prison ferme.
Les défenseurs des droits humains dénoncent une répression visant à faire taire l'opposition. Le FNDC, coalition de partis d'opposition, de syndicats et de membres de la société civile, a appelé à marcher « contre la présidence à vie » dans la capitale et ailleurs dans le pays. Il est résolu à faire barrage au projet prêté au président de briguer sa propre succession en 2020 et de changer à cette fin la Constitution qui l'empêche de concourir à un troisième mandat.
La communauté internationale, inquiète, s'est contentée d'appeler au dialogue et au respect des droits. Seul le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a appelé à une « transition du pouvoir démocratique et honnête » en Guinée. Pour sa part, dans un apparent souci de réduire la pression, le gouvernement a joué l'apaisement et a autorisé la marche de jeudi. Mais il a validé un parcours éloigné des lieux du pouvoir.
Alpha Condé reste sur sa ligne
La personne d'Alpha Condé est au cœur de l'agitation. Opposant historique qui connut l'exil et la prison, il a été le premier président démocratiquement élu en 2010, réélu en 2015. Son avènement a marqué l'instauration d'un gouvernement civil après des décennies de régimes autoritaires et militaires. Mais, après une évolution encourageante, les défenseurs des droits rapportent une régression ces derniers mois et une interdiction de fait de toute manifestation depuis juillet 2018. L'opposition dénonce une dérive « dictatoriale » d'Alpha Condé, à l'instar de nombreux leaders africains.
« Depuis l'avènement de monsieur Alpha Condé à la présidence, la démocratie, la protection des droits humains et les règles d'un État de droit ne sont pas respectées en Guinée », confiait au Point Afrique Cellou Dalein Diallo, président de l'UFDG. « Il (Alpha Condé) ne travaille pas avec le droit ni avec la Constitution de la Guinée, mais avec son humeur. Par exemple, depuis qu'il est arrivé, les élections législatives ou locales ne sont pas organisées à de bonnes dates. Les droits de l'opposition ne sont pas respectés, on a déjà tué plus de 103 jeunes manifestants sans qu'une enquête soit ouverte et que des sanctions soient prises contre les auteurs de ces crimes. »
À 81 ans, Alpha Condé préfère continuer à maintenir le suspense coûte que coûte. En déplacement à Boffa, à l'intérieur du pays, il a dit : « Le train de la Guinée a bougé et personne ne peut l'arrêter. Nous le dirigerons jusquau jour où Dieu le voudra. » Alors qu'aucune sortie de crise n'est en vue, le FNDC appelle à se rassembler de nouveau le 30 octobre et à deux journées villes mortes les jours précédents. L'énumération des points toujours litigieux – « consultations nationales sur une éventuelle modification du texte fondamental ; report sine die des législatives du 28 décembre (initialement prévues en 2018) ; organisation d'un référendum pour réviser la Constitution » – donne d'ailleurs l'impression que rien n'est réglé.
Par Viviane Forson et Malick Diawara ©lepoint.fr
COMMENTAIRES