Après avoir vu « ndizo mgu ya ndzao » ou ce que Dieu veut, un autre phénomène caractérise très bien le côté cruel de la dimension cachée ...
Après avoir vu «ndizo mgu ya ndzao» ou ce que Dieu veut, un autre phénomène caractérise très bien le côté cruel de la dimension cachée du royaume de l’émergence submergée: le mwidzi mtukufu ou voleur honoré.
Cette appellation n’est autre qu’un oxymore qui définit un individu voulant accéder à «l’honneur social»(c’est ce que les Comoriens appellent le «sheo» ou prestige social) par le vol.
Ce vol peut être public(un détournement de fonds publics) ou widzi wadawula (l’immense artiste Salim Ali Amir décrit très bien ce phénomène dans sa chanson, Usiwu). Il peut aussi s’agir des malversations financières d’ordre privé, notamment une escroquerie auprès d’un particulier(un membre de la famille ou des amis), d’un groupe de gens(l’argent de tontine) ou d’une institution financière(la banque).
Mais ce mwidwi mtukutufu, qui est un vrai paradoxe et une dichotomie en société musulmane de rite chafiite, mérite une réflexion analytique pour expliciter et définir les causes profondes d’un phénomène assez complexe. De ce fait, nous mettons en exergue la course effrénée pour accéder à l’honneur (S. Chouzour, Le pouvoir de l'honneur. Tradition et contestation en Grande Comore, 1997). Mais vu l’étendue et la complexité du phénomène, nous nous limitons dans les domaines social et politique.
Dans un chant décontracté et une voix envoûtante, le chanteur atypique Maalesh nous parle de «riba na ibada», c’est-à-dire une acquisition malhonnête qui s’accommode très bien avec un esprit pieux. Cette contradiction saisissante nous renvoie à la quintessence de notre problématique. Un individu d’apparence honnête fait tout le temps les cinq prières de la journée. Il est directeur général d’une société d’État.
Il prend l’argent de l’ État pour organiser un grand mariage fastueux. Un de ses amis reste admiratif: «Le grand mariage de mon ami était fastueux et splendide! Il a bien fait de de profiter du système.» Un autre exemple est celui d’un jeune qui a dérobé de l’argent d’un mtzango (l’argent des tontines) d’une tante et escroqué des amis pour faire «un grand grand mariage» dans son village. La plupart de ses villageois l’honorent. Un grand notable, ami de sa famille, est fier de lui:«Il n’a fait un grand mariage honorifique qui glorifie sa famille.»
En politique, le système corruptible instauré et institutionnalisé par la plupart des régimes a donné naissance au mwidzi mtukufu. En effet, certains hommes politiques acquirent de la respectabilité et de l’honneur auprès des citoyens en détournant de fonds publics. Ils se servent de ces fonds pour pratiquer le système ya urenda zema ou la politique de la bienfaisance. Autrement dit, ils donnent des enveloppes remplies d’argent à des citoyens influents(certains grands notables, des chefs religieux, des jeunes de grandes gueules, etc) pour corrompre les autres. Souvent, dans certaines cérémonies coutumières ou religieuses, les citoyens corrompus placent leurs corrupteurs au premier rang.
De plus, parfois, ils interviennent dans l’organisation de ces cérémonies pour que les noms des corrupteurs soient prononcés d’une façon élogieuse par les animateurs: «Un soir, j’anime une cérémonie de madjilis, un ami du régime me donne un peu d’argent pour que j’annonce, à haute voix, sa présence à cet évènement.» C’est ce qu’il appelle, avec aisance, le «haiba» (la splendeur).
Par conséquent, le mwidzi mtukufu fait partie intégrante des points fondamentaux qui caractérisent la corruption aux Comores. Puis, le mwidzi mtukufu permet de comprendre la transformation des droits des citoyens en un système de faveur et de bienfaisance. Enfin, l’investiture en grande faste de celui qui a fait le hold up de la présidentielle du 24 mars constitue le paroxysme de notre étude de cas: le mfauwume mwidzi mtukufu ou le président-voleur-honoré.
Par Ibrahim Barwane
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