Depuis le 21 avril, l’opposition malgache conduit des manifestations à Antananarivo pour protester contre l’adoption de force d’une loi éle...
Depuis le 21 avril, l’opposition malgache conduit des manifestations à Antananarivo pour protester contre l’adoption de force d’une loi électorale, préalable à l’organisation du scrutin présidentiel de novembre.
La police disperse une manifestation contre les nouvelles lois électorales, à Tananarive, le 21 avril 2018. / Clarel Faniry Rasoanaivo/Reuters |
La chercheuse Mireille Razafindrakoto, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et co-auteure de l’ouvrage L’énigme et le paradoxe : Économie politique de Madagascar (IRD Éditions, 2017), explique les ressorts de la situation.
La Croix : Qu’est ce qui se joue dans les manifestations à Madagascar en ce moment ?
Mireille Razafindrakoto : C’est un éternel recommencement, la population n’est pas vraiment prise en compte et fait le jeu d’une oligarchie divisée. Les principaux chefs de l’opposition, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, sont de vieux frères ennemis, tous deux anciens présidents ayant noué une alliance de circonstance. Ils utilisent la population comme un tremplin pour leurs ambitions personnelles, même si, en partie, ils protestent à juste titre, parce que la loi électorale est passée en force.
Comme d’habitude, les dirigeants ont taillé un dispositif à leur mesure. La loi risque de restreindre les candidatures en favorisant le pouvoir en place. Un passage en particulier fixe un seuil d’éligibilité : Marc Ravalomanana, président de 2002 à 2009, ne pourra ainsi plus se présenter car son casier judiciaire n’est pas vierge. Il y a aussi des conditions restrictives dans l’utilisation des médias, qui affectent plus particulièrement Andry Rajoelina – au pouvoir de 2009 à 2014 – qui est à la tête d’une chaîne de télévision et de radio, et voudrait les utiliser à son avantage, comme par le passé.
En tout cas, le mécontentement est réel au sein de la population ; il est même en augmentation. Il n’y a pas de manipulation pure mais les responsables politiques surfent sur cette vague de mécontentement. Peut-être que l’actuel président, Hery Rajaonarimampianina, a atteint des sommets en termes de dérives, mais si les opposants arrivaient au pouvoir, ils ne procéderaient probablement pas de manière bien différente. La population, elle, demeure la grande oubliée. Sa principale préoccupation est la pauvreté qui s’aggrave alors que le pays détient d’énormes richesses.
Y a-t-il malgré tout des signes positifs permettant de penser que les choses peuvent s’améliorer ?
M. R. : On est encore loin de progrès dans la lutte contre la corruption et pour plus de transparence. Selon certains membres de l’opposition, des députés auraient été payés lors du vote de la loi électorale. Mais les gens ont quand même conscience qu’il ne faut pas retomber dans une quatrième crise politique (après celles de 2002, 2009 et 2014). Les opposants au pouvoir en place disent d’ailleurs qu’ils n’ont pas l’intention d’agir contrairement à la constitution et ne veulent pas pousser au coup d’État. Ils demandent simplement la démission du président.
Ce que je ressens, et c’est une très bonne chose à souligner, c’est que l’armée s’est placée de manière très claire dans un rôle d’arbitre. D’habitude elle se contente d’un retrait. Là c’est plus que ça, elle n’a pas pris parti, et a décidé d’encadrer les manifestations sans les empêcher.
Quelles sont les causes profondes de cette crise ?
M. R. : Il y a un énorme clivage entre les élites et le reste de la population, à l’origine d’un problème de gouvernance et de structuration de la société.
Cette dernière est très fragmentée et a peu de moyens de se mobiliser. Il y a des raisons géographiques à cela : la densité est faible et une grande majorité de la population vit en milieu rural, où les gens sont concentrés sur la survie. De plus, les corps intermédiaires sont totalement atrophiés : il y a très peu de personnes qui sont membres d’associations ou proches de partis. Les attentes de la population sont donc difficilement relayées en hauts lieux.
L’oligarchie, elle, se débrouille très bien. Mais elle est atomisée, sans véritable organisation, ce qui favorise les trajectoires individuelles, les retournements de veste et les coalitions de fortune dont l’alliance entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina est une parfaite illustration.
À côté de cela, la société est encore extrêmement hiérarchisée, avec une structure de classes qui n’est pas abolie, les nobles d’antan ayant encore leur place. Les gens n’osent pas sortir de ce système qui ordonne à chacun de rester à sa place.
La situation est réellement complexe. Le pays chute alors qu’il est riche en ressources. Le paradoxe, c’est que chaque fois que quelque chose va un peu mieux, une crise survient. Tous les ingrédients sont encore là pour que ça se reproduise.
Eddie Rabeyrin @La croix