Force et faiblesse de la tournante aux Comores
On parle d’instabilité politique dans un pays, lorsque les institutions rentrent dans un cycle de changements réguliers fréquents ou de coup d’état et tentatives de coup d’état.
Depuis 1975, les Comores ont connu une très forte instabilité politique dont la forme la plus dramatique fut celle des coups d’état suivis d’assassinats de chefs d’état. Cette situation a eu des conséquences graves à la fois sur le plan social, politique et surtout économique.
Depuis, une prise de conscience est née et a conduit les responsables comoriens à chercher des solutions plus pérennes. La loi organique numéro 05-009/AU du 4 juin 2005 relative aux conditions d’éligibilité du président de l’union…, demeure comme une des voies vers la stabilité politique des Comores. Cette solution est appelée communément la tournante dont nous essayons de démontrer ici les forces et les faiblesses.
Les forces
La tournante présente plusieurs aspects positifs :
- jusqu’ici elle a été un moyen démocratique et pacifique pour sauvegarder l’unité politique du pays;
- elle a permis le maintien d’une paix sociale depuis plus de dix ans ;
- elle a favorisé le développement du multipartisme malgré la dernière loi mise en vigueur ;
- elle a fait naître le sentiment d’équité politique en laissant la possibilité à chaque île de diriger à son tour le pays au moins une fois dans l’histoire des Comores ;
- elle a donné la chance à certains Comoriens de diriger un jour le pays alors que si la tournante n’existait pas, ces hommes et femmes ne seraient probablement pas présidents,
- la courte durée de la tournante demeure en soit un filet de sécurité pour le pays en cas de mauvais président.
Ce sont autant de points positifs, qui ne sont sans doute pas les seuls, mais que nous pouvons qualifier de forces de la tournante. Mais cette dernière n’est pas sans faiblesses ou points d’amélioration.
Les faiblesses
- alors que dans d’autres pays (qui ont les moyens) la courte durée des mandats politiques reste un bon timing (4 ans aux USA, 5 ans en France…), aux Comores ce système pose le problème de l’efficacité et de la stabilité de l’Etat. L’exécutif n’a pas les moyens et donc le temps nécessaire pour mener à terme les politiques qu’il a mises en place ;
- le temps de faire le bilan et réparer les dégâts d’un précédent pouvoir, le mandat en cours est déjà à moitié ;
- elle prive la nation, en cas de réelles avancées sociales et économiques, d’un bon président disposant du temps nécessaire en étant réélu par la suite pour développer le pays;
- elle présente le risque pour le pays qu’une personne incompétente devienne président uniquement par ses origines insulaires ;
- elle crée indirectement (et involontairement ?) une gestion clanique du pouvoir en ce sens qu’on entend souvent dire « c’est le nôtre » (en comorien : yinu ndé yatru) ;
- elle multiplie les superstructures avec comme principale conséquence : une explosion des dépenses publiques ;
- elle renforce certaines institutions et en affaiblit certaines autres ;
- elle donne l’impression d’une superposition des rôles ou d’un télescopage des fonctions.
Que ce soit pour cette partie ou pour la précédente, la tournante demeure un sujet de réflexion fondamentale pour l’avenir des Comores. Par ses « forces », elle justifie l’idée d’une partie de l’opinion publique pour laquelle cettetournante a toutes ses raisons d’exister. Et par ses « faiblesses », elle pose la problématique de l’efficacité de notre système politique. Face à une telle dichotomie, il serait hasardeux pour nous de privilégier une position par rapport à une autre.
Cependant, certaines interrogations demeurent légitimes à nos yeux :
- - quelles seraient les conséquences sociales et politiques suite à une suppression de la tournante ?
- - si la tournante doit prendre fin, faut-il le faire maintenant, après le tour d’Anjouan ou après un second et dernier tour pour Mohéli ?
- - l’unité nationale restera-t-elle plus forte avec ou sans la tournante ?
- - si la tournante devrait rester, sa forme actuelle est-elle adaptée aux moyens économiques et aux réalités sociales du pays ou faut-il l’améliorer ?
- - avec l’autonomie de chaque île sur laquelle il y a un gouverneur élu, un vice-président élu, un gouvernement central et un gouvernement local… la gestion politique du pays est-elle structurée et canalisée ?
Ce sont autant de questions qui doivent faire converger les Comoriens vers la recherche d’une efficacité dont les résultats seront le renforcement de la paix sociale, l’assainissement des pratiques politiques, l’amélioration des structures socioéconomiques qui sont tous les bases de l’émergence des Comores.
MOHAMED CHANFI