Lutte contre le radicalisme religieux : Aux Comores, chiite et sunnite se réunissent pour la première fois
L’initiative vise à sensibiliser contre toute forme de radicalisme religieux pour éviter que les Comores ne tombent dans ce gouffre, mère de différentes formes de violences. Tel est le souhait de la commission de droit de l’homme et des libertés (Cndhl) qui, en collaboration avec la présidence de la République, a réuni autour d’une même table les différents courants religieux dans le pays pour débattre sur cette problématique.
Une grande première ! Chiites, sunnites, ahmadiyya, tidjaniyya…autour de la même table, mardi dernier au palais du peuple. L’objectif de ce séminaire, comme le souligne la Cndhl, était d’aborder sans tabou la problématique du radicalisme religieux « qui conduit souvent à des actes de barbarisme et terrorisme ». « Les Comores ne sont pas encore dans le bain du terrorisme mais mieux vaut prévenir que guérir », explique à La Gazette des Comores Ahmed Mohamed Allaoui, président de la Commission.
Lutter contre l’intégrisme, c’est aussi accepter le choix des uns comme des autres en matière de foi, comme le soulignera dans son intervention Mohamed Mladjao, un des rares chiites à assumer publiquement leur choix. Les ulémas comoriens qui ne sont que des sunnites, sont-ils prêts à vivre en cohésion avec les chiites pour garantir une paix durable ?
Au cours de leurs interventions, on n’a pu que constater un déferlement de violence verbale contre les chiites. Rien que les chiites ! Nourdine Bacha, enseignant à l’université des Comores et prédicateur de renom, avait d’abord dit que « la solution idoine pour lutter contre l’intégrisme religieux est la tolérance ». Y compris celle à l’égard des chiites ?
Connaissant la position des ulémas sur cette question, La Gazette et Al-watwan vont interroger en aparté celui qui a parlé de « tolérance » pour qu’il mette les points sur les « i ». Sa réponse est sans surprise. Notre pays, dira-t-il, peut cohabiter avec « toutes les religions sauf le chiisme ». Pour lui, cette branche de l’islam est un « danger » pour la stabilité.
Si les ulémas ne voient que du « danger » chez les chiites et prétendent que chaque citoyen a l’obligation d’être musulman, sunnite de surcroit, en évoquant la constitution, ce n’est guère ce qu’a consacré la loi, encore moins la position de la Commission de droit de l’homme : « La croyance est une liberté individuelle. Certes la constitution dit que l’islam est la religion de l’Etat mais ça, justement, c’est l’affaire de l’Etat. Quant au citoyen, chacun est libre de sa croyance », nous répondra M.Allaoui.
Le président de la Cndhl constatera qu’au pays les méfaits de l’intégrisme religieux ne sont pas encore notables dans le pays malgré quelques indices à Anjouan. Pour lui, si on ne prévient pas, « ça va encore devenir grave au fil du temps ». « Tout le monde a intérêt à promouvoir et de cultiver la cohésion nationale pour vivre en sécurité et en toute quiétude ».
A contrario, Youssouf Mohamed Boina ancien candidat à l’élection gubernatoriale, veut que l’Etat décide une seule voie à suivre. En d’autres termes, bannir le chiisme. Même tonnerre pour Kaambi Roubani. Cet ancien ambassadeur des Comores à Washington pour qui la paix qui règne aux Comores depuis avant l’arrivée de l’islam au 7ème siècle, est un acquis « qu’on ne doit pas laisser saboter ». Encore faut-il entendre par là que le chiisme, cette branche de l’islam il faut le dire, n’a pas sa place aux Comores, pays d’obédience sunnite.
La nécessité d’une bonne intégration et du refus de concessions excessives (à l’égard des chiites, surtout) n’est plus à prouver. Force est malheureusement de constater que ce sont les ulémas qui brandissent les hostilités. Quitte à se passer de la constitution ! Attitude qui inquiète les chiites. « J’aurais aimé qu’on nous définisse ce que c’est qu’un uléma », demandera, sur le ton de l’ironie, Mohamed Mladjao, ce chiite à qui le modérateur ne laissera pas beaucoup de temps, comme les autres, pour s’exprimer. Il faut dire que Mladjao n’est pas sans connaitre le comportement hostile des ses « frères » à l’égard du chiisme.
Toufé Maecha, journaliste à La Gazette des Comores