Le hâbleur professionnel Mnamadi s'ennuie de ne pouvoir se faire admirer par la ruse, la seule compétence qui lui est communément recon...
Le hâbleur professionnel Mnamadi s'ennuie de ne pouvoir se faire admirer par la ruse, la seule compétence qui lui est communément reconnue. Il demande à ses courtisans de lui organiser une audition publique avec un contradicteur assermenté. Il veut montrer combien il est habile en causerie et comment il sait manœuvrer l'opinion communautaire.
Une grande réunion publique est organisée et les membres distingués de la communauté sont invités pour assister à ce que Mnamadi promet un bon match de pingpong d'où il sortira certainement gagnant. Le crieur public a fait le tour du mdji pour aviser toutes les familles à ne pas rater l'évènement. Ce n'est pas la première fois que Mnamadi fait son show mais, cette fois-ci on attend de lui qu'il apporte des réponses à tous les mélimélos qu'il vient d'épandre volontairement. Il a la manie de s'entretenir avec les contradicteurs pour que les questions à lui poser soient faites de façon à ce que les réponses soient construites d'avance et la communauté n'a qu'admirer l'art de botter en touche les problèmes posés. Avant d'entamer l'audition, un de ses serviteur lui apporte un bon shilewo bien corsé pour qu'il soit à l'aise et sans froid aux yeux pour duper. C'est cette portion magique qui lui donne l'assurance de pourvoir les réponses qu'il a concoctées.
Par un fâcheux hasard, il se trouve que le contradicteur du jour est un inconnu venu des communautés lointaines et qui est réputé de non complaisance face à ses interlocuteurs. Comme une contrainte ne vient pas seule, le shilewo servi n'est pas du tout stimulant. Le serviteur a omis d'y mettre la feuille de tabac censée apporter la nicotine d'évasion capable de libérer les neurones pour relâcher la ruse. Mnamadi est donc astreint, pour une fois, à parler sans triche aucune
On l'installe dans un fauteuil si étroit qu'il ne peut se livrer aux gesticulations qui lui servent de se donner l'air de quelqu'un qui maitrise ses paroles. Le contradicteur ne lui laisse pas le temps de préluder par ses rictus habituels. Il attaque avec une hardiesse qui a surpris celui qui se croit le plus rusé de sa génération.
- Bonjour Monsieur, on vous accuse d'avoir trompé votre communauté parce que vous avez appelé à ce qu'on vous confie les biens communautaires pour les fructifier et les redistribuer. L'étable communautaire est sans cheptel, et le grenier est vide. Qu'avez-vous à dire ?
- Je n'ai rien volé, j'ai pris seulement ce qu'on m'avait confié. Fructifier et redistribuer des richesses, cela demande beaucoup de temps. Je vois bien que vous ignorez notre culture de l'impatience populaire.
- Où se trouvent ces richesses confiées ?
- Je sais où elles se trouvent mais je ne dis rien. Les gens sont tellement cupides qu'ils vont s'accaparer de tout. Je gère.
- Vous avez licencié tous les gardiens, les éleveurs et cassé tous les verrous. Pourquoi ?
- Parce que ils n'ont rien à faire. Je ne veux pas payer des gens pour ne rien faire.
- Vous leur avez donné du travail qu'ils n'assument pas ?
- Vous délirez ? Vous l'avez dit vous-même qu'il n'y a rien dans les étables et les greniers. Comment ils peuvent avoir à faire quelque chose ?
- Vous avez augmenté les rétributions de vos adulateurs en privant les membres de la communauté du minimum pour subsister.
- Bien sûr que charité bien ordonnée commence par soi-même. Mes courtisans sont beaucoup moins nombreux que les membres de la communauté et c'est pour cela que j'ai augmenté leurs appointements. Cela ne m'a pas ruiné.
- Mais votre rôle est de servir la communauté, ce n'est pas de vous servir.
- On ne vous a pas dit que j'ai décrété la gratuité de l'air et que l'on ne paie plus l'école de la rue ? Pourquoi vous ne dites pas ce que j'ai fait de bon ?
- Vos promesses sont donc des sornettes ?
- Je n'ai pas augmenté mon traitement mais je ne l'ai pas diminué. J'ai tout simplement accru mes frais de bouches et de voyage. Je me suis promis de ne rien manquer pour le restant de ma vie et c'est une promesse que je tiens à réaliser facilement.
Mnamadi s'adresse au public avec une colère acerbe.
- Oubliez les questions de ce maudit contradicteur, c'est dangereux pour vous.
Le jeune Karibangwe s'élève et sans froid aux yeux interpelle Mnamadi.
- On peut oublier les questions posées par votre contradicteur. Mais le danger réside dans vos réponses lesquelles deviennent des questions qui méritent des vraies réponses.
Tout le public entonne
Ye mfa Mnamadi tsi yariwuwa
Hariwuwa sontsi bo nanyawe.
Par Dini Nassur