Un rappel banal : les partis politiques sont traditionnellement des espaces de débats (particulièrement les partis progressistes) et surtou...
Un rappel banal : les partis politiques sont traditionnellement des espaces de débats (particulièrement les partis progressistes) et surtout des redoutables machines de guerre destinées à la recherche et à la conservation du pouvoir dans l’intérêt, bien entendu, idéalement, de l’intérêt général des pays. Ils sont donc indispensables à la démocratie ; ils constituent même le fondement de la démocratie représentative. Mais aux Comores, ils revêtent une dimension singulière, car en fin de compte, après la religion et la langue, ils sont les seuls lieux capables de coaliser tous les Comoriens qui restent un peuple morcelé en quartiers, villages, régions et îles.
Les Comoriens se trouvent aujourd’hui dans une vraie anomalie démocratique : ils ont élu, très démocratiquement, un président de la République minoritaire dans le pays ! La faute, bien entendu, au mode de désignation de ce dernier sur lequel il faudra au demeurant, inévitablement, s’interroger tôt ou tard… Mais avant cette clarification constitutionnelle nécessaire au fonctionnement de notre démocratie, le locataire de Beit Salam doit urgemment répondre aux attentes des Comoriens dont certaines nécessiteront des réformes douloureuses qui devront être portées et assumées par des hommes et des femmes, partageant les mêmes valeurs et convictions, assumant la même histoire politique, unis et dévoués à l’intérêt général. D’où l’utilité (voire même la nécessité) d’un parti fort de gouvernement.
Trois schémas semblent probables. Le Chef de l’Etat pourrait renforcer la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC) et en faire une véritable machine de guerre qui lancerait les débats intellectuels et politiques, formulerait des propositions au gouvernement et soutiendrait l’action de ce dernier. La CRC dispose des reins suffisamment solides pour porter cette charge puisqu’elle est très bien organisée, dotée de militants dynamiques, de cadres bien formés et expérimentés. C’est aussi une formation qui a une histoire puisqu’elle a douze ans d’existence : deux au pouvoir (2004-2006), dix dans l’opposition (2006-2016) et la voilà, debout, revenue aux affaires, après avoir essuyé une scission conduite par Aboudou Soefo et Houmed Msaidié en 2013 et une dissidence dirigée par Maoulana Charif fin 2015. La CRC reste, incontestablement aujourd’hui (et peut-être pour de nombreuses années), le parti le plus performant et le plus solide du paysage politique national.
Le Président de la République pourrait également consolider l’alliance CRC/Juwa. Une telle formule aboutirait, à moyen ou long terme, à une très grande restructuration de la vie politique nationale qui profiterait largement au pays : la CRC et Juwa s’allieraient ainsi durablement pour garantir au pays une majorité politique durable à même de conduire les lourdes réformes nécessaires dont le pays a cruellement besoin. Ce montage demeure théoriquement envisageable mais très complexe à mettre en pratique car, en fait, les deux partis se disputant légitimement le leadership du pays, la confiance serait difficile à instaurer.
Un troisième schéma n’est pas à exclure. Un tout nouveau parti pourrait naître des cendres de la CRC, de Juwa et de l’UPDC. L’idée semble très séduisante sur le papier car si elle venait à se réaliser, elle offrirait au Colonel Azali une très large majorité dans toutes les assemblées (nationale et insulaires) et dans l’opinion publique. Mais cet assemblage rencontrerait au moins deux écueils. D’une part, il regrouperait tous les opportunistes du pays puisqu’il s’agirait de rejoindre, à peu de frais, les « délices » du pouvoir. Et d’autre part, un tel rassemblement risquerait d’exploser à la moindre tempête : une grande manifestation qui secouerait le gouvernement, un Azali usé politiquement après plusieurs années d’exercice du pouvoir, des législatives ratées en 2020 ou encore l’élection présidentielle perdue en 2021. Il y a, chez nous, un fait historique têtu : presque tous les partis politiques formés au pouvoir explosent dans l’opposition (sauf bien sûr la CRC !).
Quelle que soit l’option retenue par Beit Salam, elle ne restera qu’un moyen. Car la finalité est d’introduire dans les esprits comoriens en général et dans la fonction publique en particulier l’éthique du travail et de responsabilité, la culture du résultat et le goût de la performance sans lesquels les résultats, pourtant urgents à obtenir, attendront bien longtemps. Car, in fine, la tâche du Président de la République consiste à offrir aux Comoriens, à court et moyen terme, des salaires réguliers (et si possible rehaussés), du travail, des écoles correctes, des hôpitaux fonctionnels, des routes praticables, de l’électricité et un horizon dégagé. Et à long terme de conduire le pays vers la voie de l’émergence. Et pour relever ces défis, il lui faut préalablement une stabilité politique inaccessible sans un parti fort de gouvernement.
Nassurdine Ali Mhoumadi
Docteur ès Lettres, politologue