Poutine reçoit Erdogan à Saint-Pétersbourg
La rencontre entre les deux chefs d'Etat ce mardi 9 août à Saint-Pétersbourg scelle une réconciliation entre deux anciens empires qui s’opposent en Syrie, mais ont des liens économiques très forts.
Archive : Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, à Sotchi, dans la résidence du président russe, le 18 juillet 2005. (AFP) |
Un temps au bord de la guerre, la Turquie et la Russie se réconcilient. Symbole de la fin de la brouille : la rencontre, le 9 août, des présidents turc et russe, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine. Les relations entre les deux puissances s’étaient fortement détériorées après que la défense anti-aérienne turque avait abattu, fin novembre 2015, un bombardier russe près de la frontière turco-syrienne. Mais le 27 juin dernier, le leader turc, en froid avec l’Union européenne, avait présenté des excuses à Moscou pour la destruction de l’avion de chasse russe, ouvrant la voie à une normalisation.
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Rivaux géopolitiques du temps des tsars et de l’Empire ottoman, pas moins de onze guerres russo-turques, du XVIe au XXe siècle, ont opposé à intervalles rapprochés ces deux empires pour la domination des Balkans, la Crimée et l’accès aux "mers chaudes". Ennemis pendant la guerre froide (la Turquie étant dans l’Otan), les deux pays sont cependant devenus des partenaires économiques importants après l’effondrement de l’Union soviétique.
Ankara, 2e client de Gazprom
Mais le conflit syrien a ravivé les tensions géopolitiques et a eu raison de la bonne entente entre ces deux voisins. Car si Moscou soutient fermement le régime du Syrien Bachar al-Assad, Ankara est farouchement opposée au dictateur de Damas et a vu d’un très mauvais œil l’engagement militaire de Poutine en Syrie, en septembre dernier.
En représailles à l’incident du bombardier Sukhoï détruit par les Turcs, Moscou avait pris un train de sanctions économiques contre Ankara. Mais les deux pays avaient beaucoup à y perdre. La Turquie a évalué ses pertes issues des sanctions à 9 milliards de dollars par an, soit environ 1,2% de son PIB. Et selon les estimations russes, les sanctions ont réduit les échanges de plus de 11 milliards de dollars.
Car les deux puissances sont liées par de nombreux intérêts économiques. Ankara reste le deuxième client du géant russe Gazprom derrière l’Allemagne. L’année dernière, Gazprom a livré à la Turquie 26,9 milliards de mètres cubes de gaz en satisfaisant 55% de ses besoins. En outre, Gazprom et la société turque Botas ont signé, en décembre 2014, un mémorandum prévoyant la construction d’un deuxième et important gazoduc, passant par le fond de la mer Noire – Turkish Stream – d’une capacité de 63 milliards de mètres cubes de gaz par an.
Faire bloc face à l'Occident
Suspendu, le projet vient d’être relancé. Les actifs étrangers les plus importants de Sberbank, la plus grande banque publique de Russie, sont situés en Turquie. En juin 2012, Sberbank avait acheté le turc Denizbank pour 3,5 milliards de dollars. Destination touristique préférée des Russes, la Turquie est aussi leur principal fournisseur de fruits et légumes. Les Turcs ont aussi réalisé plusieurs grands projets à Moscou : la société Enka a modernisé le siège de la Douma, la chambre basse du parlement russe, tandis que Renaissance Construction élèvera à Saint-Pétersbourg le siège de Gazprom.
Face aux Occidentaux, qui critiquent les dérives autoritaires des régimes de Poutine et d’Erdogan, les deux leaders font bloc. Au néo-impérialisme russe dans son "étranger proche", notamment en Ukraine, font écho les ambitions néo-ottomanes d’Ankara au Proche-Orient. Quant à l’Union européenne, si la Russie considère que cette construction est vouée à l’échec, les Turcs lui en veulent toujours de lui avoir fermé la porte et entendent lui faire payer le prix.
Jean-Baptiste Naudet
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