L'élection du Président Azali arrive à un moment, pour les comoriens épris d'un autre avenir et pour tirer un trait avec un passé p...
L'élection du Président Azali arrive à un moment, pour les comoriens épris d'un autre avenir et pour tirer un trait avec un passé peu glorieux. Il convient de rappeler que les quinze années que nous venons de vivre étaient le fruit de la mise en œuvre des accords de Fomboni de 2001 et de la nouvelle constitution qui introduisit le principe d'une présidence tournante, dispositions approuvées par référendums dans nos îles qui seraient " last but not least" dorénavant dotées d'une large autonomie.
Pour comprendre le sens des accords de Fomboni il n'est pas inutile de remonter un peu le temps et de rappeler les trois années de désordre qui venaient de marquer l'Histoire d'Anjouan et qui avaient traumatisé une grande majorité de comoriens.
Il convient donc d'observer la situation actuelle et il est clair que le système de présidence tournante n'a pas permis d'améliorer les conditions de vie du peuple comorien. Le cas le plus signifiant est celui du mandat du Président Sambi, premier président anjouanais à bénéficier du système. En fait on doit retenir qu'il décida notamment d'imposer à la Cour Constitutionnelle de porter à 5 ans la durée de la mandature présidentielle et que durant cette période il autorisa une corruption d'ampleur jusque là inégalée, il y avait donc le mépris de l'état de droit, il y aura encore l'introduction du chisme, en un mot le désordre fut général. Pour la première fois de son histoire les Comores a en outre bradé sa nationalité, les opérations de vente de la citoyenneté économique et la vente massive de passeports aux bidouns du Koweit et des Emirats Arabes Unis est d'autant plus scandaleuse qu'à ce jour, les centaines de millions de dollars de droits payés ne sont toujours pas parvenus dans les caisses du Trésor comorien.
Les pratiques mises en œuvre ont constitué une faillite morale et un retour en arrière, nous nous sommes éloignés des principes élémentaires de la bonne gouvernance, l'abandon d'un état de droit, l'oubli de l'ardente obligation de voir nos institutions publiques consolidées ne sont qu'un aspect d'une faillite générale quand les fonds de l'état étaient souillés par la mise en oeuvre de projets de corruption massifs.
L'élan avait donc était donné pour une régression organisée et de 2011 à 2016, le Président Ikililou renforça cette tendance. Il toléra les détournements de fonds publics et poussa le pays dans la catégorie des états faillis. La démonstration de l'échec fut totale. Les services publics de base n'ont cessé de se détériorer, les coupures d'électricité et un réseau de distribution d'eau défaillant ont causé des dommages considérables à notre économie nationale. Et ce n'est pas tout, les services de santé, les hôpitaux ont été abandonnés, les écoles publiques oubliées.
Nos relations avec les institutions financières ont été très décevantes en raison d'escroqueries inimaginables dans un Etat de droit. Les immatriculations internationales sous pavillon comorien, Galawa, Handouli et la concession de 40 ans dans un domaine aussi stratégique que le gaz et le pétrole accordée à une compagnie privée Boulle Mining, sous le manteau, sans que le gouvernement ou l'Assemblée Nationale en soient informés, témoigne simplement d'un système de corruption généralisée.
Dans le même temps les administrations autonomes d'Anjouan ont échoué dans leur mission essentielle qui était d'améliorer les conditions économiques et sociales de leur population. L'émigration de la jeunesse vers les autres îles de notre archipel, plus particulièrement Mayotte et Grande Comore n'est que la conclusion de l'insécurité et de conditions de vie difficiles, de l'absence d'avenir et de dignité.
Comment oublier que ces problèmes migratoires sont à l'origine de la plus grande catastrophe humanitaire qui se soit jamais produite dans l'Océan Indien, quand la misère fait fuir des comoriens à bord d'embarcations de fortunes, les kwasa kwasa, qui en chavirant conduisent à la mort par noyade chaque année des milliers d'anjouanais.
Les leaders anjouanais sont aussi comptables de ces disparus, ils sont silencieux devant leurs échecs car ils n'ont rien offert à leur population, c'était leur devoir que de permettre aux anjouanais d'avoir un espoir de vivre dans la dignité sur leur île mais ils ont préféré la voie de l'enrichissement personnel par la corruption.
Le gouvernement central doit veiller au respect par l'administration d'Anjouan de ses responsabilités afin que changent les conditions de vie de la population. Les leaders d'Anjouan aussi ont ce devoir d'Etat . Les autorités centrales doivent veiller à ce que les autonomies locales disposent des capacités pour diriger efficacement les administrations locales décentralisées. Anjouan est autonome mais ça ne signifie pas pour autant le droit de se défausser de ses responsabilités et de transférer aux autres îles ses propres problèmes.
La gravité des événements qui ont secoué l'île de Mayotte où des comoriens ont attaqué d'autres comoriens, loin d'être des privilégiés, traduit la gravité d'un problème qui peut se retrouver ailleurs demain si l'horizon continue d'être bouché.
L'accord de Fomboni et la Constitution qui nous gouverne ont maintenant 15ans, c'est un délai suffisant pour que nous nous interrogions sur la pertinence de toutes les dispositions. Un dialogue constructif doit s'ouvrir, il permettra de faire le bilan de ces 15 années de gouvernance, de passer au crible les actes des gouvernements qui se sont succédés et de regarder l'avenir avec plus de certitudes.
Les conclusions qui en seront tirées feront apparaître des erreurs et même aussi des fautes, leur analyse circonstanciée permettra d'éviter qu'elles se répètent, ce seront des repères pour le nouveau gouvernement qui pourra amender la Constitution afin de la rendre si nécessaire plus conforme aux intérêts du pays.
Il est grand temps d'ouvrir une nouvelle page de nos relations avec la France. Elles ne sont pas seulement fondées sur l'histoire mais marquées par le présent, n'oublions jamais que le monde a changé et des centaines de milliers de comoriens vivent en France, parfois ils sont bi-nationaux, parfois ils mènent de brillantes carrières mais
dans tous les cas ils n'oublient pas les Comores et les transferts financiers qu'ils ordonnent contribuent largement au fonctionnement du
pays. Sans cet apport la vie comorienne serait encore plus difficile qu'elle n'est aujourd'hui.
Une vision réaliste s'impose et un partenariat exemplaire doit se construire avec la France. Ce partenariat doit permettre de donner une solution positive au drame migratoire dont le coût humain est insupportable pour toute personne éprise de bon sens et d'humanité. Les milliers de morts lors des naufrages font mal, cette douleur nous affecte tous et il faut comprendre que ces morts affectent aussi la France et l'Europe. Nous n'avons pas le monopole du cœur. Mais justement sortir de ce drame exige des mesures de développement radicales, nous ne devons pas attendre car c'est le prix à payer pour éviter la répétition de ces tragédies humaines. Une discussion doit s'engager à partir de ces enjeux et le simple rappel de la mobilisation internationale pour donner des bribes de solution au problème migratoire en méditerranée, des sommes qui furent affectées là bas nous permet de penser avec force que les morts comoriens ont aussi leur lot de douleur, un lot de douleur qui impose une prise en compte internationale adéquate.
La vie n'a pas de prix, c'est pourquoi cette question et ses déclinaisons, humaines, économiques, financières, politiques doivent faire l'objet d'un débat sans concession avec tous nos partenaires et notamment avec la France et l’Europe. La question de Mayotte ne doit pas occulter un pragmatisme urgent. La mondialisation en marche se traduit aussi par une urgence absolue du développement, tout découlera aussi de cette prise de conscience et de sa traduction dans les faits. Notre devoir est de créer les conditions qui permettront demain la réunification des Comores.
Aux Comores, il convient de souligner que les femmes n'ont pas encore dans la vie économique et politique la place qu'elles doivent légitimement occuper et pourtant l'Etat est signataire des conventions y afférentes et de leur responsabilisation-empowerment. Il faudra y remédier et pour cela combattre en permanence nombre d'idées reçues et d'opinions rétrogrades. Ce ne sera pas facile mais c'est un combat indispensable à l'émergence du pays. On ne peut pas évoluer vers le développement si on laisse les femmes sur le côté de la route. Le politique devra montrer l'exemple. Bien sûr la parité qui est un objectif démocratique évident ne s'obtiendra jamais en un claquement de doigts mais il est clair pour autant que la nomination de femmes à des postes clés, à des fonctions ministérielles, à des responsabilités stratégiques démontrera avec enthousiasme que les Comores aussi sont sur la voie du changement et que celui ci intégrera la plus grande diversité de sensibilités. C'est le prix d'un avenir fécond.
Saïd HILALI
2 juin 2016