A 30 ans, la journaliste Faïza Soulé Youssouf vient de sortir son premier roman. Intitulé "Ghizza" paru aux éditions Coelacanthes...
A 30 ans, la journaliste Faïza Soulé Youssouf vient de sortir son premier roman. Intitulé "Ghizza" paru aux éditions Coelacanthes, ce livre de cette militante active de la société civile parle d'une jeune fille amnésique, solitaire, perdue... Dans cette fiction, la romancière nous raconte les "7 derniers jours" de Ghizza, le nom de l'héroïne.
La sortie de Ghizza a suscité une certaine polémique que cette ancienne enseignante de Français à l'Alliance de Moroni nous parle à coeur ouvert. Cette jeune écrivaine formée au Maroc se confie pour la première fois après la sortie du livre et en exclusivité sur Salwa Mag.
De quoi parle-t-on dans ce roman?
« Ghizza » parle d’une jeune fille ayant perdu son père, un peu perdue, solitaire, amnésique et qui ne se rappelle pas de son nom , et qu’on doit la marier à un homme qu’elle ne connaît pas. A l’annonce de ce mariage, elle décide de profiter des 7 jours qui « lui restent à vivre », puisqu’elle considère, que c’est une autre forme de mort que d’épouser un homme que l’on n’aime pas.
Pourquoi ce titre ?
Sur les réseaux sociaux, il y a eu une polémique concernant le titre du roman. Certains estimaient qu’au vu de mon militantisme, mon roman serait axé sur ce dernier, que ce titre était « trompeur ». Que j’allais y parler des délestages quotidiens. Qu’on se le dise, cela ne fait pas encore 5 ans que j’ai commencé à militer. 5 ans, ce n’est rien, en comparaison avec une vie.
Pour ceux qui ont lu le livre, ils ont dû se rendre compte que « Ghizza », est le prénom que l’héroïne du livre s’est donnée parce qu’elle trouve que cela lui va mieux. Rappelez-vous, elle se sent incomprise, seule, et est en proie à de nombreux tourments. A la fin du livre, elle se souviendra de son prénom mais selon elle, ce prénom ne reflète pas la réalité de sa vie. Ce qui la caractérise, c’est « Ghizza, », l’obscurité, d’où le nom du livre.
Autre polémique, toujours concernant mon roman, c’est la scène de sexe qui se déroule à la plage. Cette scène a heurté plus d’un. Elle serait contraire « à nos valeurs ». Cette chanson, je l’ai entendue, il y a longtemps déjà. Quand j’avais 17 ans, avec d’autres copines de l’école, dont Chadia, nous aimions chanter. Cheikh Mc, nous a offert cette opportunité avec la Cheikh Prod. Et ben, on m’a interdit de chanter parce que j’étais « mwana anda ». J’avais 17 ans, dépendante de ma famille. La guerre était perdue d’avance, je crois. 13 ans après, certains veulent me dicter, ce que j’ai à écrire. Pendant combien de temps, serai-je considérée comme une mineure sans cervelle ?
Nous sommes dans une société où on ne dit pas les choses. Où l’on [next] fait semblant. J’ai écrit un roman. La réalité est autrement plus dure, il n’y a qu’à aller au Palais de Justice, pour s’en rendre compte. Nous sommes dans un pays où les violeurs épousent leurs victimes, parce que la famille « veut laver la honte ». Il faudrait un jour, qu’on en parle, yeux dans les yeux. Combien de scandales, réels eux, étouffés au nom de la bien-pensance ? Je refuse de m’y soumettre, c’est aussi simple que cela.
Et puis, disons-le, sans sexe, ni vous ni moi, ne serions nées. Pourquoi en faire un tollé ? Parce que je suis comorienne ? Parce que je suis une femme ? Said Ahmed Said Tourqui, ( Sast) use d’un langage « fleuri » et je n’ai pas souvenir d’avoir entendu une polémique de cette ampleur. Devais-je me censurer ? Je ne crois pas. Etre lapidée pour une fiction ? J’en connais beaucoup qui seraient aujourd’hui manchots, dans la vie réelle, si on devait appliquer la Charia. Est-ce parce que je suis une femme ? Il faudrait arrêter de nous infantiliser. Je ne me considère pas comme faisant partie du sexe dit « faible ». Je suis une femme au même titre qu’un homme est un homme. Pourquoi devrait-on être plus permissif avec l’homme et « protecteur » vis-à-vis de la femme ? En se basant sur quoi ? Au risque de me répéter, je ne pratiquerai jamais la censure, en tout cas dans mon travail de romancière.
Quand j’écris, je ne me sens ni homme, ni femme, ni comorienne, ni rien. J’écris et puis c’est tout. Ceux qui ont lu le livre ont dû remarquer que je n’y parle pas des Comores, encore moins de Moroni. L’héroïne aurait pu provenir de Djibouti ou du Maroc . Et c’est peut-être le cas puisqu’il n’est mentionné nulle part que « Ghizza » est comorienne.
Pourquoi avez-vous choisi un roman ?
C’est Toufhat Mouhtare-Mahamoud, qui m’a donnée envie de me jeter à l’eau. Elle a publié en 2011, « Ames suspendues ». Nous avons fait la même école, je la connais depuis longtemps et sais à quel point, elle est impressionnante d’intelligence. Je pense même qu’elle était la première de sa classe. Là où elle était posée, douce, moi je recevais tout le temps des avertissements sur mes bulletins scolaires. J’étais assez agitée.
Pour en revenir à votre question, c’est à la suite de sa publication que j’ai eu envie d’écrire. Au début, ce devait être un recueil de nouvelles mais finalement, la première nouvelle était trop longue pour en être une. D’où Ghizza. C’est génial, qu’une comorienne comme moi, un peu plus jeune m’ait donné envie de me jeter à l’eau. J’ai toujours su que j’allais écrire un jour. Cela étant, j’ai sauté le pas grâce à Touhfat. Pour l’éternité je lui en sais gré.
Avec Said Soilihi Biheri, qui a préfacé « Ghizza » écrire a toujours été un rêve d’enfant. J’ai réalisé notre rêve. Je dis « notre » parce que sans elle, je ne pense pas que ce livre aurait vu le jour. Et je suis certaine, qu’elle se lancera, c’est une question de temps.
A qui s'adresse ce livre?
J’ai envie de dire au monde entier. Je l’adresse à tous ceux qui aiment lire les romans un peu « noirs».
Un message aux lecteurs?
Pour ceux qui ont les moyens de l’acheter, ou de l’emprunter, lisez Ghizza. Faites vous votre propre opinion. Je n’ai pas peur des critiques, je les attends, j’y suis attentive et même attachée. J’ai envie de dire aux Comoriens, nous sommes dans un petit pays, entouré par l’eau. Lisez, lisez car c’est le moyen le moins onéreux de s’ouvrir au monde. Le monde ne s’arrête pas à notre archipel. Lisez, cultivez-vous, instruisez-vous, allez au-delà de l’océan qui nous sépare du reste de la planète, si vous n’avez pas les moyens de voyager, lisez. L’ouverture d’esprit commence par là.