Réflexion sur le régime d’imposition applicable aux entreprises coopératives - Cas de là MECK-Moroni Introduction La Mutuelle d’Epar...
Réflexion sur le régime d’imposition applicable aux entreprises coopératives - Cas de là MECK-Moroni
Introduction
La
Mutuelle d’Epargne et de Crédit ya Komor (MECK-Moroni), de par son caractère
non lucratif, n’était pas soumis aux impôts commerciaux (impôt sur les
sociétés, taxe sur les consommations, etc.) depuis sa création en 1997. Mais
avec le développement de ses activités économiques confondues à celles des entreprises
commerciales qui, pour elles, dénoncent une concurrence déloyale sur le marché,
l’institution serait contrainte par l’administration fiscale à payer « l’impôt
sur les sociétés », à compter de la période 2014.
La
présente note de contribution a pour but de mettre en évidence la spécificité d’une
entreprise coopérative (1), suivant l’exemple de la MECK-Moroni, qui rend
nécessairement une fiscalité dérogatoire à ses activités mutualistes (2), eu
égard le code général des impôts.
Première partie : Caractères spécifiques d’une entreprise coopérative
Une société coopérative a pour
principal but de satisfaire les besoins économiques de ses membres[1].
L’optimisation
de la satisfaction des membres priment sur la recherche du bénéfice de la
société, de telle sorte que le prix des services et produits proposés[2]
doit s’approcher au mieux du coût de production. Une société coopérative peut
être :
-
soit de type « mutuelle », lorsque
la participation à ses activités est exclusivement réservée aux sociétaires étant
propriétaires-usagers de la société ;
-
soit de type « hybride », lorsque,
en plus de ses activités mutuelles, elle exerce des activités commerciales
ouvertes à des tierces personnes ou « clients ».
Avant
de déterminer les mesures d’exemption fiscale accordée aux sociétés coopératives
ou mutualistes, il serait nécessaire d’examiner dans cette première partie la
nature des activités (a) et le mode de création et de répartition de richesses
créées au sein de ces structures (b).
a) Nature des activités de coopérative
Les
entreprises commerciales qui se livrent à des activités à caractères lucratives
sont seules à être assujetties à l’impôt sur les sociétés, selon le Code
générale des impôts (Article 5). Il convient alors d’analyser les critères
d’appréciation de la non-lucrativité des activités d’une entreprise coopérative.
En
effet, le caractère lucratif des activités d’une entreprise coopérative est
déterminé lorsque ces activités sont d’abord de nature commerciale. Par
activités commerciales, on entend les opérations définies à l’article 5 alinéa
2 du code général des impôts, effectués par une société avec des tierces
personnes (non sociétaires), moyennant un prix ou à titre onéreux. Ceci dit que
les activités effectuées à l’intérieur d’une société coopérative ne sont pas de
nature commercial et donc ne peuvent être considérées comme des activités lucratives.
Néanmoins,
toute activité commerciale effectuée par une entreprise coopérative n’est pas
systématiquement lucrative, sauf que celle-ci est en situation de concurrence
avec les entreprises commerciales. A l’inverse, une activité lucrative d’une
société coopérative est forcement commerciale.
En
principe, si toutes les activités exercées par une société coopérative sont non
lucrative, la société n’est pas soumise aux impôts commerciaux. Si la société
exerce une ou plusieurs activités lucratives en plus de ses activités non
lucratives, il est soumis aux impôts commerciaux. Toutefois, l’assujettissement
à l’impôt porte sur ses activités
lucratives.
La MECK-Moroni étant une société coopérative de type « mutuelle », ses activités principales s’effectuent à l’intérieur de la société, elle-même (personne morale) ou entre ses sociétaires (propriétaires-usagers). Pour cette raison, les activités de la MECK-Moroni ne sont pas de nature commerciale. Or, il n’y a que les activités commerciales qui peuvent remettre en question le caractère lucratif et donc le bénéfice d’exonération de « l’impôt sur les sociétés ».
La MECK-Moroni étant une société coopérative de type « mutuelle », ses activités principales s’effectuent à l’intérieur de la société, elle-même (personne morale) ou entre ses sociétaires (propriétaires-usagers). Pour cette raison, les activités de la MECK-Moroni ne sont pas de nature commerciale. Or, il n’y a que les activités commerciales qui peuvent remettre en question le caractère lucratif et donc le bénéfice d’exonération de « l’impôt sur les sociétés ».
b) Mode de création et de répartition des richesses au sein de coopérative
La
poursuite de l’activité d’une société coopérative avec ses sociétaires crée une
richesse, qui correspond à la plus-value générée par l’activité elle-même. En
l’absence d’un but lucratif propre, la coopérative peut redistribuer à ses
membres une partie de ce surplus de valeur, qu’ils ont eux-mêmes généré. Cette
redistribution prend classiquement la forme d’une ristourne[3],
laquelle correspond au « bénéfice » partageable entre les associés[4]
d’une société commerciale.
En
effet, la MECK-Moroni est un organisme à but non lucratif car elle ne partage
pas de « bénéfice » entre ses membres sociétaires. Ainsi, les
excédents réalisés, voire temporairement accumulés, sont destinés à faire face
à des besoins ultérieurs ou à des projets entrant dans le champ de son objet
non lucratif. Contrairement aux autres sociétés commerciales dont le but est la
recherche du bénéfice ou « profit » à partir des apports en capital
investis par les « associés », ce sont des sociétés de capitaux.
Ainsi,
la gestion d’une société coopérative est désintéressée[5],
ce qui écarte toute compétition de profits individuels entre les membres sociétaires.
Le caractère désintéressé de la gestion d’un organisme sans but lucratif est
avéré si les conditions suivantes sont remplies :
-
l’organisme
est géré et administré à titre bénévole[6],
-
l’organisme
ne procède à aucune distribution de bénéfice,
-
les
membres de l’organisme ne peuvent pas être déclarés attributaires d’une part
quelconque de l’actif, sous réserve du droit de reprise des apports.
Ces
conditions sont garanties par l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des
sociétés coopératives et réitérées dans les statuts de la MECK-Moroni.
Cependant,
dans la société coopérative où l’individu prime sur le capital, les
coopérateurs ne peuvent par contre pas investir directement dans leurs
coopératives, afin de ne pas rompre avec l’idéal de gestion démocratique
égalitaire de la coopérative (« un membre = une voix », et non
« une action = une voix » comme dans les sociétés des capitaux).
Ainsi, les structures coopératives présentent l’inconvenant d’être
sous-capitalisées et dépend uniquement aux apports en capital faits par ses sociétaires[7]
pour s’autofinancer et développer ses activités. Ce bas niveau de capital crée certains
problèmes pratiques de trésorerie et de solvabilité que le droit fiscal des
coopératives cherche à résoudre.
A
cet effet, les coopératives sont légalement contraintes de conserver une grande
partie de ce surplus de valeurs au sein de la coopérative sous forme de réserve[8]
. Cette obligation se justifie généralement par la nécessité d’offrir à la
coopérative une plus grande assise financière, que les seuls apports au capital
ne peuvent combler, afin de garantir le droit de gage général des ses
créanciers. En raison de cet objectif, cette réserve ne peut faire l’objet d’un
partage entre coopérateurs.
Ces
réserves impartageables consistent
en effet en l’accumulation de ristournes que les coopérateurs décident de
laisser à la disposition de la coopérative.
La MECK-Moroni qui fonctionne sur le modèle « mutualiste » se distingue de la société commerciale, en ce que les coopérateurs ne peuvent s’approprier les revenus du capital. La plus-value mise en réserve impartageable, s’apparente à un apport à la société, donc à une augmentation de capital, laquelle ne fait généralement pas partie de l’assiette de l’impôt sur le revenu car l’impôt sur les sociétés impose, en effet, les revenus produits grâce au capital et non le capital lui-même.
Deuxième partie : exemption de la mesure fiscale accordée aux sociétés coopératives
Afin de répondre aux spécificités de
la société coopérative, le législateur a adopté des mesures spécifiques, dont peuvent
bénéficier ses membres.
Sur
le plan du droit fiscal, la taxation du revenu de l’entreprise s’opère de
manière unique, soit au niveau de la société à titre d’impôt sur les sociétés,
soit au niveau des personnes associées à titre d’impôt sur les revenus.
Le
code général des impôts envisage l’impôt sur les revenus pour les sociétés de
personnes[9].
A ce titre la coopérative se rapproche des sociétés de personnes, en ce que ce
model est conçu en premier lieu pour servir les besoins des personnes membre de
la coopérative.
Par
analogie, il est envisageable de transposer ce régime d’imposition à la
MECK-Moroni, qui partage d’un point fiscal de nombreux points communs avec la
société de personnes au niveau de la création et la répartition de richesse. La
plus-value générée par l’activité est calculé au niveau de la société de
personne, selon sa catégorie (bénéfice ou ristourne), puis repartis entre les
associés en fonction de quotes-parts déterminées par le pacte social, de telle
manière que seul l’enrichissement qui s’opère au niveau des patrimoines des
associés sera en définitive imposé à titre d’impôt sur le revenu.
Les
revenus des valeurs mobilières incluent (article 61 du CGI) :
-
les
produits des actions, parts de capital et revenus assimilés
-
les
revenus des obligations
-
les
revenus des créances, dépôts, cautionnements et compte courant.
Ces
mesures d’exemption fiscale ont pour but d’inciter les membres de coopératives
d’investir[10],
par l’apport en capital et le dépôt d’épargne en compte courant, dans leur
propre coopérative.
Le régime de « l’impôt sur les sociétés » que l’administration fiscale soumettrait à la MECK-Moroni ne correspond pas à la réalité économique de cette structure et viole ainsi les dispositions du code générale des impôts qui précise, à l’article 6 alinéa 3, que les l’impôt sur les sociétés ne peut être valable que s’il est accepté par tous les associés.
Par
ailleurs, bien que les prestations de la MECK-Moroni puissent être ouvertes à
des usagers non membres (tout comme les associations sans but lucratif), les
conditions d’exercice de ses activités ne sont pas similaires à celles des
entreprises commerciales évoluant dans le secteur financier.
En
effet, la MECK-Moroni est une institution de microfinance agrée au tire
d’Institution Financière Décentralisée (IFD) et ayant pour mandat[11]
de collecter l’épargne de ses membres en leur consentant des prêts à des
conditions convenables. Ses activités économiques sont d’utilité sociale[12]
et tendent à satisfaire un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou
qui l’est de façon peu satisfaisante. La distribution des micro-crédits à
destination du secteur agricole et rural permettant de financer des micro-projets d’entreprise à risque élevé
et de créer alors des revenus et des emplois en faveur des personnes démunies
ou vulnérables, exclu du système bancaire classique, contribue à l’exercice
d’une mission d’intérêt général, voire de service public.
Pour
favoriser un développement économique durable et équitable, cette notion
d’utilité sociale et d’intérêt public est bien prise en compte par le Code
général des impôts qui, par son article 7, accorde une exonération de « l’impôt
sur les sociétés » en faveur notamment :
-
les
sociétés coopératives de production, transformation, conservation et vente de
produits agricoles et d’élevage, et leurs unions, sauf pour les « opérations
effectuées par les sociétés coopératives ou unions susvisées avec des non
sociétaires »
-
les
caisses de crédit agricole mutuel
-
les
sociétés ou organisme reconnus d’utilité publique chargée du développement
rural.
En
accordant cette exonération à ces structures économiques, l’Etat vise à
promouvoir certaines politiques
économiques de l’emploi, de l’inclusion financière et du développement rural
que poursuivent les coopératives, tel que définies par la Stratégie de Croissance
Accélérée et de Développement Durable (SCA2D). Cette politique consiste
à réduire la pauvreté en mettant l’accent sur le secteur productif notamment la
filière agricole basée en zone rural dont les mains d’œuvre employés
représentent la population majoritairement pauvre. Ceci par l’intervention des
Institutions Financières Décentralisé (IFD).
Dans
les pays de l’Afrique francophone et notamment l’espace UEMOA, la loi dite
« Parmec » qui régit les institutions de microfinance prévoie, à tire
d’incitation fiscale, un régime fiscale dérogatoire du droit commun en faveur
des Institutions Mutualistes ou Coopératives d’Epargne et de Crédit (IMCEC) et des
Systèmes Financières Décentralisés (SFD). Cette loi les exonère ainsi des
impôts commerciaux, en raison d’une part du but d’économie social poursuivi et
d’autre part de la forme coopérative que ces structures ont adopté. L’imposition des institutions de
microfinance en Union des Comores serait une exception dans les pays moins
avancé où la réduction de la pauvreté passe par le soutien des
structures décentralisées des organisations de financement solidaire. En Europe,
plus particulièrement en France, un régime fiscal préférentiel est accordé aux organismes
coopératifs ou mutualistes aussi bien que les associations à but non lucratif.
Conclusion
Une entreprise coopérative ne produit
de bénéfice imposable net, qu’en raison essentiellement des opérations
réalisées avec les coopérateurs eux-mêmes. Contrairement aux entreprises
commerciales dont les activités réalisées avec des tiers non coopérateurs
produisent de bénéfice qui vient rémunérer le capital investi à la coopérative.
Concrètement, la MECK-Moroni, étant
une personne morale du droit privé, ne disposent pas d’un avantage lorsqu’elles
ne doivent pas payer d’impôt, puisqu’un avantage fiscal procuré doit être
dépourvu de contrepartie de charge de service public susceptible d’entrainer un
déséquilibre financier au niveau du bénéficiaire.
Alors, un traitement fiscal égalitaire
défavorise la coopérative, dont le développement économique passe l’autofinancement
au moyen des plus-values mises en réserve impartageable entre les coopérateurs.
Enfin, dans les prochains mois, l’administration
fiscal devrait notifier à la MECK-Moroni de l’obligation de l’impôt sur les
sociétés d’un montant de 174 millions de francs, soit 35% du résultat
d’exercice de la période 2014, à verser entièrement au profit du Trésor public.
Cette mesure d’imposition qui considère l’ensemble des MECK de base comme des
banques commerciales et leurs membres respectifs comme des clients, est
contraire aux principes coopératifs et aux règles fiscales en vigueur. Par
conséquent, risque de réduire à néant la capacité des réseaux des IFD à faciliter
l’inclusion financière du pays où près de 80% de la population ne dispose pas
de compte bancaire.
Moroni, le 08 octobre 2015
[2] Le prix des services et produits est, en principe, fixé par les membres de la société coopérative en Assemblée Général
[3] La ristourne est la part de plus-value distribuée entre les membres coopérateurs en fonction de contribution de chacun dans l’activité de la coopérative. Par opposition, le dividende est la part de bénéfice des activités lucratives réalisées avec des clients non coopérateurs et attribuée aux associés en rémunération de leurs apports au capital social.
[4] « Associés » : la terminologie du droit des coopératives préfère utiliser le mot de « sociétaires ou coopérateurs » pour le distinguer de l’associé actionnaire.
[5] La gestion désintéressé d’un organise est un critère déterminant de la non-lucrativité de ses activités commerciales, selon le droit français.
[6] Le recours à un directeur salarié, qui peut participer à titre consultatif au conseil d’administration, n’est pas de nature à remettre en cause le caractère désintéressé de la gestion d’un organisme.
[7] La souscription de part se fait pour un montant nominal généralement fixé par les statuts.
[8] La loi prévoie la constitution de réserve d’au moins 20% des excédents nets d’exploitation sur la coopérative, contre 10% pour la société commerciale.
[9] L’article 6 du CGI reprend les différentes formes de sociétés sous la dénomination de société de personne : les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés en participation et les sociétés civiles.
[10] Par le droit fiscal, le coopérateur qui place de l’argent à la coopérative afin d’être gratifié par un taux d’intérêt est considéré comme un investisseur.
[11] La théorie classique associe même la coopérative à un mandataire à titre gratuit dans ses rapports aux coopérateurs.
[12] Le critère d’utilité sociale est attaché au « produit » proposé et au « public » visé.