Banditisme, redditions et processus de paix à Madagascar Questions à Nicolas Courtin , doctorant à l’université Paris VII et spécialiste d...
Banditisme, redditions et processus de paix à Madagascar
Questions à Nicolas Courtin, doctorant à l’université Paris VII et spécialiste de l’histoire de Madagascar. Il a co-dirigé Maintenir l’ordre colonial.
A
la fin de la dernière saison sèche, de septembre à novembre 2014,
plusieurs redditions de milliers de dahalo (voleurs de bœufs, bandits
armés) furent organisées dans le Sud de Madagascar par les autorités
malgaches, et en particulier le premier ministre.
Les « dahalo », ou « malaso » en langue Bara, sont perçus par une majorité des citadins des Hautes Terres de Madagascar comme de vulgaires voleurs de zébus, des bandits de grands chemin, des criminels avérés, voire des rebelles - certains titres de presse filent même la métaphore terroriste, « les dahalo pires que les djihadistes », titrent-ils. Ils pillent les villages et massacrent les villageois, volent les zébus, et font régner la terreur dans des zones entières mises en coupes réglées (14 régions sur 22 sont officiellement touchées en 2014 par le phénomène dahalo).
Ces images dépréciatives véhiculent d’anciennes perceptions de ces populations du Sud au mode de vie bien éloigné du quotidien urbain de la capitale. Elles reprennent les stéréotypes du dernier quart du XIXe siècle sur les « fahavalo » (les ennemis), les dahalo de l’époque. Les conditions de reddition, à savoir aucune poursuite judiciaire et pénale, ont provoqué d’intenses ressentiments dans l’opinion publique malgache qui a dénoncé par médias interposés l’impunité et l'« amnistie de fait » de ces « bandits », et la méconnaissance des lois et des dommages causés aux victimes des dahalo.
De multiples raisons peuvent expliquer ces redditions de 2014. L’une d’elles serait, après l’emploi de la manière forte et la répression des forces de l’ordre avec le lancement des opérations de sécurisation Tandroka I et II (opération « Coup d’arrêt » I et II) en novembre 2012, l’ouverture de négociations, impulsées par les services de l’ex-premier ministre, entre les forces de l’ordre, les notables locaux, les dahalos et leurs émissaires.
Avons-nous des exemples de « redditions collectives » de dahalo dans l’histoire contemporaine de Madagascar ?
Les redditions individuelles ou collectives, organisées sous la forme de cérémonie de soumission par le pouvoir politique central, ne doivent pas surprendre. L’histoire montre qu’elles sont présentes dans le répertoire politique malgache depuis la royauté merina du XIXe siècle, et peut-être avant.
Ces redditions reprennent un registre ancien de techniques de pouvoir utilisées par les autorités successives, royale, coloniale et postcoloniale à Madagascar pour réguler les phénomènes ruraux d’insécurité politique et sociale. Au travers de cérémonies de soumission de groupes humains entiers, que nous qualifions de « société du refus », non pas exclue du corps social, mais exclue du tanindrazana (la « terre des ancêtres et par extension de la Patrie), le pouvoir central réintègre symboliquement dans la Nation des « égarés volontaires » de la trajectoire nationale.
Des « sociétés du refus » aux contre-sociétés de criminels, ces « collectifs du refus » Dahalo incarnent un mode de vie semi-nomadisant, en brousse, qu’ils souhaitent maintenir. Le leitmotiv de tous les pouvoirs, encore aujourd’hui, est ainsi de les réintégrer dans une « société normalisée », de les fixer dans un territoire et qu’il abandonne leur mode de vie.
A l’époque coloniale, refus du travail forcé, de l’impôt et des prestations, refus de la vie sédentaire forcée et du regroupement des populations, ces groupes composés d’hommes, de femmes et d’enfants refusent l’acculturation, la connexion et encore plus l’interconnexion avec le nouvel arrivant (français) et le rapport de domination forcément inégale qu’il souhaite imposer.
Par exemple, Rabezavana et Rainibetsimisaraka, deux chefs de guerre de l’insurrection menalamba font soumission le 29 juillet 1897 devant le gouverneur général Joseph Gallieni (voir photo). Bien loin de « l’expression banale d’un cérémonial de souveraineté », cette cérémonie de soumission correspond à la représentation la plus aboutie, la plus théâtralisée et la plus prise en images, de l’acte de soumission en situation coloniale à Madagascar.
Dans le contexte historique de la fin du XIXe siècle à
Madagascar, cette cérémonie, qualifiée de « mascarade » pour mieux
dénoncer l’orchestration et la mise en scène de cette matinée, n’est ni
une supercherie politique ni un marché politique de dupe. La cérémonie
de soumission de Rabezavana et Rainibetsimisaraka, du 29 juillet 1897,
est l’acmé théâtrale de la politique de « pacification » menée par
Gallieni. Mais, ces cérémonies de soumission transcendent les périodes
historiques. On les retrouve en situation coloniale, postcoloniale et
jusqu’à nos jours.
Les dernières cérémonies de soumission des dahalo apparaissent
comme le passage obligé d’un pouvoir qui se construit à travers la
ritualisation de sa propre domination sur les populations du Sud.
Cherchant une légitimité, le nouveau pouvoir malgache, en construction
après cinq années de transition, marque les esprits des populations en
sacralisant sa supériorité et sa domination. Grâce à la mise en scène de
la démonstration de sa force, accompagnée par un discours persuasif de «
clémence », le pouvoir malgache assoit son autorité.
Pouvons-nous considérer ces redditions collectives comme un préalable à une réconciliation nationale globale ?
Oui, je pense. La soumission scelle, non pas l’après des engagements armés et des violences, mais l’acte final de la guerre, la paix du vainqueur. En contexte colonial à Madagascar, la pax gallica suit théoriquement la capitulation et la soumission, temporaire dans certains cas, du vaincu.
Mais en situation coloniale, comme aujourd’hui, pour ce dernier, la reddition et la soumission officielle peuvent aussi être considérée comme le «dernier recours» dans la stratégie de lutte, afin d’échapper à son exécution physique ou à l’extermination de son groupe, de ses troupes, de toutes personnes en armes contre les forces de l’ordre. A travers un acte ici solennel (une cérémonie), célébré publiquement et avec apparat, l’adversaire (vaincu militairement) se doit de reconnaître publiquement sa faute (avoir osé résister), se repentir, dénoncer ses méfaits et aussi reconnaître la supériorité (militaire, politique, culturelle et au final raciale) du pouvoir dominant.
Questions à Nicolas Courtin, doctorant à l’université Paris VII et spécialiste de l’histoire de Madagascar. Il a co-dirigé Maintenir l’ordre colonial.
Depuis le XIXe siècle, des «bandits» armés voleurs de bétail, les dahalo,
sévissent dans l’ouest et le sud de Madagascar. Ce phénomène, extrême
encore en 2014, a connu un développement exponentiel au cours de la
dernière crise politique de 2009 à 2014. Quelles réponses le pouvoir
central d’Antananarivo a-t-il apporté pour résorber le phénomène dahalo ?
Les « dahalo », ou « malaso » en langue Bara, sont perçus par une majorité des citadins des Hautes Terres de Madagascar comme de vulgaires voleurs de zébus, des bandits de grands chemin, des criminels avérés, voire des rebelles - certains titres de presse filent même la métaphore terroriste, « les dahalo pires que les djihadistes », titrent-ils. Ils pillent les villages et massacrent les villageois, volent les zébus, et font régner la terreur dans des zones entières mises en coupes réglées (14 régions sur 22 sont officiellement touchées en 2014 par le phénomène dahalo).
Ces images dépréciatives véhiculent d’anciennes perceptions de ces populations du Sud au mode de vie bien éloigné du quotidien urbain de la capitale. Elles reprennent les stéréotypes du dernier quart du XIXe siècle sur les « fahavalo » (les ennemis), les dahalo de l’époque. Les conditions de reddition, à savoir aucune poursuite judiciaire et pénale, ont provoqué d’intenses ressentiments dans l’opinion publique malgache qui a dénoncé par médias interposés l’impunité et l'« amnistie de fait » de ces « bandits », et la méconnaissance des lois et des dommages causés aux victimes des dahalo.
De multiples raisons peuvent expliquer ces redditions de 2014. L’une d’elles serait, après l’emploi de la manière forte et la répression des forces de l’ordre avec le lancement des opérations de sécurisation Tandroka I et II (opération « Coup d’arrêt » I et II) en novembre 2012, l’ouverture de négociations, impulsées par les services de l’ex-premier ministre, entre les forces de l’ordre, les notables locaux, les dahalos et leurs émissaires.
Photo de reddition dans le district d’Amboasary Sud, octobre 2014.
Les redditions individuelles ou collectives, organisées sous la forme de cérémonie de soumission par le pouvoir politique central, ne doivent pas surprendre. L’histoire montre qu’elles sont présentes dans le répertoire politique malgache depuis la royauté merina du XIXe siècle, et peut-être avant.
Ces redditions reprennent un registre ancien de techniques de pouvoir utilisées par les autorités successives, royale, coloniale et postcoloniale à Madagascar pour réguler les phénomènes ruraux d’insécurité politique et sociale. Au travers de cérémonies de soumission de groupes humains entiers, que nous qualifions de « société du refus », non pas exclue du corps social, mais exclue du tanindrazana (la « terre des ancêtres et par extension de la Patrie), le pouvoir central réintègre symboliquement dans la Nation des « égarés volontaires » de la trajectoire nationale.
Des « sociétés du refus » aux contre-sociétés de criminels, ces « collectifs du refus » Dahalo incarnent un mode de vie semi-nomadisant, en brousse, qu’ils souhaitent maintenir. Le leitmotiv de tous les pouvoirs, encore aujourd’hui, est ainsi de les réintégrer dans une « société normalisée », de les fixer dans un territoire et qu’il abandonne leur mode de vie.
A l’époque coloniale, refus du travail forcé, de l’impôt et des prestations, refus de la vie sédentaire forcée et du regroupement des populations, ces groupes composés d’hommes, de femmes et d’enfants refusent l’acculturation, la connexion et encore plus l’interconnexion avec le nouvel arrivant (français) et le rapport de domination forcément inégale qu’il souhaite imposer.
Par exemple, Rabezavana et Rainibetsimisaraka, deux chefs de guerre de l’insurrection menalamba font soumission le 29 juillet 1897 devant le gouverneur général Joseph Gallieni (voir photo). Bien loin de « l’expression banale d’un cérémonial de souveraineté », cette cérémonie de soumission correspond à la représentation la plus aboutie, la plus théâtralisée et la plus prise en images, de l’acte de soumission en situation coloniale à Madagascar.
Soumission Rabezavana et de Rainibetsimisaraka, Base Ulysse des Archives nationales d’outre-mer (ANOM), cote FR ANOM 8Fi2/106.
Photographie de l’Agence ANTA, VM1, N°757 et VM1 N°758, Cérémonie de soumission dans la région de Tamatave, 8 août 1947.
Pouvons-nous considérer ces redditions collectives comme un préalable à une réconciliation nationale globale ?
Oui, je pense. La soumission scelle, non pas l’après des engagements armés et des violences, mais l’acte final de la guerre, la paix du vainqueur. En contexte colonial à Madagascar, la pax gallica suit théoriquement la capitulation et la soumission, temporaire dans certains cas, du vaincu.
Mais en situation coloniale, comme aujourd’hui, pour ce dernier, la reddition et la soumission officielle peuvent aussi être considérée comme le «dernier recours» dans la stratégie de lutte, afin d’échapper à son exécution physique ou à l’extermination de son groupe, de ses troupes, de toutes personnes en armes contre les forces de l’ordre. A travers un acte ici solennel (une cérémonie), célébré publiquement et avec apparat, l’adversaire (vaincu militairement) se doit de reconnaître publiquement sa faute (avoir osé résister), se repentir, dénoncer ses méfaits et aussi reconnaître la supériorité (militaire, politique, culturelle et au final raciale) du pouvoir dominant.