Philippe Lacoste a fini sa mission aux Comores, et un grand ami du pays s'en va. Si j'avais à exprimer un avis personnel sur ...
Philippe Lacoste a fini sa mission aux Comores, et un grand ami du pays s'en va.
Si j'avais à exprimer un avis personnel sur le départ de l'Ambassadeur Philippe Lacoste, qui a dignement représenté la France aux Comores pendant 3 ans, comme le veut la tradition diplomatique française, je dirais une seule chose: ce départ, qui entre dans l'ordre naturel des choses dans la diplomatie des pays institutionnellement développés, provoque en moi un pincement au cœur. Je n'ai pas eu le plaisir et le privilège de rencontrer l'Ambassadeur Philippe Lacoste, mais en suivant ses activités même de loin, je sais qu'il a été un grand chef de mission diplomatique à Moroni.
Tous les spécialistes qui connaissent les exigences du métier d'Ambassadeur savent que ce chef de mission diplomatique a rempli sa fonction dans les meilleures conditions qui soient, dans la discrétion et l'efficacité qui ont fait la réputation des grands diplomates que la France a l'habitude d'accréditer auprès de pays qui ne sont pas nécessairement les plus faciles. Car, être Ambassadeur de France aux Comores n'est jamais une sinécure, compte tenu du différend territorial qui oppose les deux États au sujet de Mayotte, une île qui a choisi librement de rester sous administration française, pour vivre dans une dignité qu'elle n'avait pas constatée lors de la période de l'autonomie interne, quand les Comores étaient placées sous l'autorité de Comoriens, sous supervision de la France. Le débat demeure ouvert sur l'interprétation qu'il faut faire des résultats controversés du référendum d'autodétermination du 22 décembre 1974 à l'issue duquel Mayotte avait exprimé son choix de rester sous administration française. Mais, en bon diplomate qui sait aller de l'avant, l'Ambassadeur Philippe Lacoste a refusé de tomber dans le piège des polémiques stériles et nocives, pour privilégier des actions qui sont à l'avantage des Comores, dans le cadre d'une coopération saine, sereine et intelligente avec la France.
Quand on est objectif et sérieux, quand on évite la haine et la détestation pavloviennes envers la France parce qu'elle a été la métropole des Comores et quand on n'oublie pas qu'elle demeure le principal partenaire des Comores, on doit reconnaître que l'Ambassadeur Philippe Lacoste a favorisé de nombreuses actions positives aux Comores: apaisement des relations officielles entre les Comores et la France après la douloureuse et pitoyable parenthèse de la présidence d'Ahmed Sambi (2006-2011), rejet de toute forme de dogmatisme stérile dans la coopération entre les Comores et la France, annulation de dettes contractées par les Comores, promotion de l'activité socioéconomique dans plusieurs secteurs d'activités, financement et soutien de projets de protection de l'environnement, redéploiement de la coopération entre les deux États en matière de Défense, etc. Au surplus, il n'y a eu personne pour dire que l'Ambassadeur Philippe Lacoste a un jour heurté la sensibilité et la susceptibilité des Comoriens, soit par des paroles, soit par des actes. Il a été d'un tact et d'une discrétion qu'on ne retrouve que chez les diplomates de la Vieille École française, celle qui privilégie un sens aigu de l'honneur et du respect, quand la plupart des diplomates avaient des noms à particule et étaient nés dans des familles dans lesquelles époux et épouse se vouvoient quand ils sont en public, là où les bonnes manières étaient la pierre de touche des relations officielles entre États souverains ayant basé leurs rapports officiels sur l'égalité souveraine, quel que soit le niveau qu'ils ont atteint en matière de développement économique et social. Or, plus on oublie ces bonnes manières, plus les relations interétatiques se portent mal, victimes qu'elles sont des mauvaises manières de ceux qui ne veulent pas comprendre ce que disait l'ancien Président états-unien Richard Nixon quand il affirmait que «la diplomatie n'est pas un bazar d'Orient». «On» me reproche la reproduction de cette citation, mais je continue à en faire usage constant. Elle fait partie de mon enseignement à l'Université Mohammed V de Rabat et de la Sorbonne.
De fait, voir l'Ambassadeur Philippe Lacoste faire ses adieux au Président Ikililou Dhoinine – qui l'a élevé au rang de Chevalier de l'Ordre du Croissant Vert des Comores, le lundi 25 août 2014 – et au gouvernement comorien a quelque chose de triste et d'attristant car le diplomate qui part vers d'autres horizons diplomatiques a beaucoup aimé et respecté les Comores et les Comoriens. On ne lui connaît ni gaffe, ni scandale aux Comores. Il n'a piétiné la dignité de personne. Il n'a eu aucun désaccord avec les autorités et la population des Comores. Il s'est comporté en bon père de famille. Il a été un des artisans de la réussite totale de la conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de la Commission de l'océan Indien (COI), à Moroni, le samedi 23 août 2014. Cela, seuls les initiés le savent. Et sa contribution pour le succès de cette conférence fort utile pour la crédibilité internationale des Comores n'est pas celle d'un proconsul, mais celle d'un vrai ami des Comores. De surcroît, il a beaucoup fait pour la mémoire des Comoriens morts pour la France au cours de la Grande Guerre ou Première Guerre mondiale (1914-1918).
Contrairement à d'autres, je ne vais pas demander à l'Ambassadeur Philippe Lacoste de faire lire au Président François Hollande des «lettres ouvertes» à l'introuvable intelligence et l'utilité douteuse, mais de rendre aux Comores deux services: d'une part, faire confiance aux Comoriens pétris de bonnes manières et qui savent ce qu'est la diplomatie quand ils lui promettent de garder son nom dans leur cœur et dans leur mémoire, et d'autre part, gratifier la France et les Comores, entre autres pays, d'un livre sur son expérience comorienne, comme l'a déjà fait l'Ambassadeur Alain Deschamps. Comme on dit à Mohéli, «ce n'est pas le pays qui marche, mais les hommes». Et des hommes qui marchent se revoient toujours. Incha Allah. Au revoir, Monsieur l'Ambassadeur, et bonne chance à vous, partout où vous serez. Vous ne serez jamais oublié dans notre pays, qui est aussi le vôtre, dans la pure tradition comorienne.
Par ARM
© www.lemohelien.com – Samedi 6 septembre 2014.