Dans mon précédent article intitulé " Le 4e Sommet de la COI :demi succès ou acte manqué pour les Comores ? ", je disais que ...
Dans mon
précédent article intitulé " Le 4e Sommet de la COI :demi succès ou acte manqué pour les Comores ? ", je disais que
le fait même d'avoir pu organiser ce Sommet est en soit méritoire. J'ajoute que
c'est d'autant plus méritoire que, malgré le fait que c'était notre tour, je
crois savoir que certains membres de la COI n'adhéraient pas totalement à l'idée
d'organiser ce sommet aux Comores. Maurice, par exemple, qui est candidat à la
succession du Sénégal au sommet de l'OIF, se voyait bien recevant le Sommet
pour conforter ses chances. Et la France qui fait tant pour nous discréditer,
voyait d'un mauvais oeil notre pays mis en valeur. Il faut donc, pour cela,
rendre hommage au président Ikililou Dhoinine, mais aussi à notre Ministre des
Affaires Etrangères, car son prédécesseur n'avait pas cherché à contrarier ces
velléités de boycott. En effet, le ministre a su convaincre et gagner la
confiance du président Ikililou, dont le soutien était capital pour vaincre les
obstacles à l'échelle régionale. L'engagement du Ministre l'était tout autant
pour surmonter les problèmes locaux de logistique et d'intendance. C'était une
question d'honneur et il fallait relever le défi !
Je disais
également que président français a fait preuve de mépris et d'humiliation à
l'endroit de notre président, de par ses déclarations faites la veille du
Sommet à Mayotte et du fait de parler d'"immigration
clandestine", au Palais du Peuple des Comores, pour
désigner les Comoriens des 3 autres îles se rendant à Mayotte. Certains nous
disent que c'est sans importance, car Ikililou a dit ce qu'il fallait. Non, je
ne le crois pas. Notre président n'a pas dit ce qu'il fallait, pas même
diplomatiquement, face à cette agression frontale de son hôte de marque. Il a
ouvert une porte et l'a tout de suite refermée. En effet il a appelé à l'aide
ses homologues de la COI,− dont le soutien nous est indispensable, l’organisation du monde étant construite sur les grands ensembles régionaux − mais il a immédiatement signifié que le contentieux franco-comorien sur l'île comorienne de Mayotte ne peut trouver sa résolution que dans un cadre bilatéral. Ce "bilatéralisme" constitue un gros point de désaccord avec certains Comoriens qui soutiennent la posture du président Ikililou et qui estiment pouvoir, en démocratie, exprimer leur seule opinion sur des sujets vitaux pour le pays, sans tenir compte des sensibilités et de la compréhension d’autres compatriotes !
Le huis-clos mortifère
Après la
signature, l'an dernier, de la "Déclaration de Paris sur
l'amitié et la coopération entre la France et les Comores", le
président Ikililou et son entourage proche se sont ingéniés à présenter leur
nouvelle approche diplomatique comme une innovation. Si la Question de Mayotte
pouvait être réglée par voie internationale, disaient-ils, elle le serait déjà.
C'est pourquoi ils préfèrent les négociations bilatérales. Nous disons que non
seulement ils n'ont innové en rien, mais qu'en plus cet enterrement de
l'arbitrage international nous est fatal. Il est notoirement connu que la
France n'a jamais voulu l'intervention d'une tierce partie, y compris l'ONU,
dans les conflits l'opposant à d'autres États, les plus faibles en particulier.
Sachant qu'elle n'a pas le droit de son côté et que l'État en face,
économiquement faible, est incapable de supporter les pressions diverses et
variées qu'elle lui fera subir (les méthodes étant , notamment, diviser pour
régner, la carotte et le bâton, les éliminations politiques, les assassinats…).
Mais quand on avance de tels arguments, il y a toujours des experts comoriens
en diplomatie qui nous sortent des lapalissades du genre "la diplomatie ne
se fait pas dans la rue". Circulez, vous n'y comprenez rien, nous font-ils
comprendre. Mais qu'en est-il du constat ?
La diplomatie comorienne concernant la Question de Mayotte
Sur cette
question, la diplomatie comorienne a connu plus de bas que de haut depuis 1975.
Deux succès diplomatiques ont été remarquables : le soutien quasi unanime de la
communauté internationale lors de l'admission des Comores à l'ONU, le
12/11/1975 et en février 1976 lorsque le président Ali Swalihi a provoqué, par
un simple télégramme et avec l'aide du groupe Afrique, la réunion du Conseil de
sécurité de l'ONU, suite à l'organisation d'un référendum à Mayotte par la
France. Il y a beaucoup à dire à ce sujet mais ce n'est pas l'objet de cet
article. La fameuse résolution de l'ONU n° 31/4 du 21/10/1976 s'inscrit dans
cette action. Je rappelle qu'elle condamnait le référendum et toute autre
consultation que la France pourrait être amenée à organisée dans l'île
comorienne de Mayotte.
Après Ali
Swalihi, nous avons eu la "guerre de la salive" de Ahmed Abdallah,
suivie de la stratégie de la balle à blanc utilisée par les Raïs qui l’ont
succédé. Elle consiste à s'adresser, en réalité, aux Comoriens, à partir de la
tribune de l'ONU, en proclamant haut et fort que Mayotte est comorienne, qu'on ne
lâchera pas, etc. Mais c'est juste pour amuser la galerie, car la question ne
sera pas débattue, donc pas de résolution, et ce à la demande de la partie
comorienne elle-même. Du bruit, que du bruit, pour contenter ceux des Comoriens
qui veulent entendre ces mots et la France à laquelle cette balle n'a causé
aucun dommage. Au passage, faut-il, peut-être, signaler l'action symbolique,
très significative, voulue par Djohar, et qui lui a probablement valu d'être
déporté à Burubwa : une manifestation d'état en
1995, en réaction à l'instauration du Visa Balladur. Elle n'a malheureusement
pas été organisée comme il fallait et n'a donc pas eu l'écho escompté à
l'époque.
La diplomatie
comorienne ne sait pas exploiter les opportunités diplomatiques ou politiques qui
s'offrent à elles, ni vis-à-vis de la France, ni vis-à-vis des pays et autres
organisations amis. Sinon peut-on nous expliquer ce qu'on a fait du soutien des
organisation internationales, des pays amis comme l'Iran, le Qatar, l'Algérie,
…? Qu'est-ce qui a été fait lors de la départementalisation et de la
Rupéisation, évènements qui n'étaient pas des surprises ? On a même été
incapable de saisir préventivement les pays de l'Union européenne et l'UE, qui
ont tous voté l'appartenance de Mayotte aux Comores, pour manifester notre
opposition à la rupéisation. Pas même après le vice de procédure soulevé par le
Royaume–Uni.
Aucun pays au monde, quel que
soit l'amour ou l'amitié qu'il a pour les Comores, ne prendra le risque de se
brouiller avec la France, pour une cause qui n'est pas la sienne, si les
Comoriens ne le sollicitent pas, ne font rien pour l'impliquer et sabordent
eux-mêmes leur navire.
Le "bilatéralisme" en question
Les Comores
n'ont pas sollicité un arbitrage international depuis plusieurs années, n'en
déplaisent à Boléro et consorts qui veulent nous vendre vessie pour lanterne.
L'explication donnée à l'ONU pour justifier le retrait de la Question de
Mayotte au débat, est que les deux parties, France et Comores, ont convenu de
régler leur différent dans un cadre bilatéral. Pendant ce temps, la France
départementalise et rupéise sans aucune inquiétude. Voilà où nous ont mené les
négociations bilatérales.
Jugez-en par
un des derniers exemples. La lettre n° 05-756/MIREX/H.I/i.a, datée du
11/09/2005, adressée à Koffi Annan par le gouvernement Azali, explique que les
avancées enregistrées dans les négociations entre les deux pays depuis 2003,
"laissent présager de bonnes perspectives en matière
de recherche de solutions répondant aux aspirations de l'ensemble de la
population de l'archipel des Comores […]. C'est
pourquoi, au nom du gouvernement comorien, j'ai choisi de vous demander le
retrait de la question de l'île comorienne de Mayotte de l'ordre du jour des
travaux de l'Assemblée Générale des Nations Unies". Sans
commentaires.
Certains
Comoriens, sans voix officielle, pensons que toute négociation, sur la question
de Mayotte, qui se fera sans arbitrage international, ne sera pas à l'avantage
des Comores. Ce tête-à-tête, à huis-clos avec la France, est purement et
simplement suicidaire. Il faut toujours prendre à témoin la communauté
internationale, ce qui déplait notablement à la France, car cela inverse le
rapport de force.
Des pistes d'actions possibles ?
Tous les
moyens disponibles susceptibles de contribuer à la résolution de ce différent doivent être
exploités ; or on ne le fait pas, en tout cas pas suffisamment. À part l'option
militaire, qu'on ne peut raisonnablement pas retenir, toutes les autres voies
sont exploitables. On vient d'évoquer la diplomatie, voyons ce qu'il en est des
voies juridique et politico-médiatique.
Bien que les
résolutions de l'AG de l'ONU ne soient pas contraignantes, il est indispensable
de remettre la Question de Mayotte au débat. Si elles ne gênaient pas la
France, elle n'aurait pas fait pression pour qu'elles ne puissent pas être
prises. Je pense, cependant, que le vrai recours n'est pas celui-là, mais le
Conseil de Sécurité (CS), conformément à l'article 37.1. de la Charte de l'ONU,
qui dispose que si "les parties à un différend
[…] ne réussissent pas à le régler par les
moyens indiqués [par voie de négociation,
d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire,
de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens
pacifiques de leur choix], elles le soumettent au
Conseil de sécurité". Bien sûr que la France y est membre
permanent, mais cela ne doit pas constituer un obstacle au recours. L'usage du
droit de véto par la France n'est pas forcément un échec, au contraire. La plupart
des gens dans le monde, y compris en France, ne savent pas que "Mayotte
française" est une farce, mais qu'il s'agit d'une partie occupée du
territoire d'un État membre de l'ONU. Ils le sauront ce jour-là. Par ailleurs,
l'article 27.3. précise bien qu'un membre du CS partie à un différend ne peut
pas voter. Espérons que le nouvel ambassadeur des Comores à l'ONU, Soilih
Mohamed Soilih, sera de bon conseil cette fois-ci.
Si malgré
l'agressivité particulièrement inamicale dont fait montre la France depuis 40
ans à l'endroit des Comores, les autorités la considèrent toujours comme un
grand ami de notre pays, qu'elles la convainquent de soumettre ce différend à
la Cour internationale de justice (CIJ), dont la mission est de régler,
conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui lui
sont soumis par les Etats (les deux parties devant convenir de soumettre leur
différend à la cour).
L'État
comorien peut également saisir la Cour pénale internationale (CPI) pour crime
contre l'humanité, relativement au déplacement de populations organisé à
Mayotte par les autorités françaises. Cette saisine ne pouvant être faite que
par l'État comorien, le CS ou le procureur de la CPI lui-même.
S'agissant de
la voie politico-médiatique, le contexte politique actuel des Comores, peut
donner l'occasion aux autorités de l'État de rattraper les incongruités du
passé.
En effet,
comment peut-on continuer à parler de Mayotte comorienne, juste parce qu’elle
figure dans la constitution, mais sans aucune représentation réelle ou
symbolique dans les institutions de l’État ? Il est temps de corriger
cette incohérence.
Par ailleurs,
le président Ikililou serait bien inspiré de se prononcer rapidement sur le
principe du tour de Mayotte pour la présidence tournante. Cela aura l’avantage
d’éclaircir certaines choses, en apportant des réponses aux suppositions des
uns et des autres, selon lesquelles les Maorais ne voudront pas voter, la
France ne permettra pas l’organisation des élections, etc. Si des électeurs et
des candidats maorais se manifestent, ils feront pression avec nous pour la
tenue des élections. Le président a t-il besoin de se justifier auprès de la
France ? Je ne crois pas. Mais si c’était le cas, il est le garant de la
Constitution, selon laquelle l’élection présidentielle tournante revient à
Mayotte. Il est clair que cela n’aura pas l’assentiment de la France. Mais si
l’on veut que l’occupant se retire de notre terre, de bon gré, sans contrainte
de quelque nature que ce soit, autant déclarer forfait. En tout cas, je suis
convaincu qu’il existe une solution –
qu’on ne trouvera pas si on ne la cherche pas – pour que la Tournante se fasse
pour Mayotte.
J’entends déjà
les tenants d’un juridisme scolaire, incapables d’adaptation et encore moins
d’innovation, nous sortir la rengaine de l'impossibilité matérielle d'organiser
une Primaire à Mayotte, comme prévu par la Constitution, pour justifier
l’impossibilité juridique de la Tournante pour Mayotte. Je voudrais rappeler à
ceux-là que la France célébrée depuis 1944 n’est pas celle de Pétain, mais la
France libre de de Gaulle. L’homme politique le plus glorifié par les Français
n’est pas Pétain, mais de Gaulle le rebelle. De Gaulle, l’ancien aide de camp
de Pétain, le sous-secrétaire d’état à la défense qui, lorsqu’une partie du
territoire de son pays a été occupée par une puissance étrangère, a refusé de
se soumettre à l’occupant. Les leaders de la France Libre, cette France conçue
et proclamée hors de France, à Londres, étaient considérés comme étant les
représentants légitimes de l’État français par la Communauté internationale.
Pétain était pourtant le président légal de la France. Mais, à problème
exceptionnel, solution exceptionnelle. Une partie de la France
était occupée, à l’époque, par l’Allemagne, comme une partie des Comores est
occupée, aujourd’hui, par la France. Voilà un précédent, voilà une
jurisprudence ! La constitution comorienne n'est pas un
obstacle, elle est interprétable … si l’on veut. Ce n’est pas l’État français
qui nous démentira, elle qui ne se gêne pas pour faire de sa constitution des
interprétations, y compris fantaisistes, quand cela va dans le sens de
préserver ses intérêts.
Abdou Ahmed