Dénoncer a toujours été un art de complaisance. Les adeptes comoriens de la contre-culture, les imberbes des temps du Mongozi, les enfants ...
Dénoncer a toujours été un art de complaisance. Les adeptes comoriens de la contre-culture, les imberbes des temps du Mongozi, les enfants du msomo wa nyumeni, tous, connaissent les limites imposés à l’exercice par l’establishment, lequel aime à reproduire son passé le plus récent, le plus glorieux, et le plus nostalgique, pour mieux enfoncer le clou. Mais dénoncer fatigue, également. Car il en faut des faits, des rapports d’investigations et des gueules fortes, qui ne s’en lassent pas, de conter à tue-tête. Et, surtout, dénoncer, ne suffit pas. Une chose que le Comorien dans sa grande majorité a fini par saisir, après trente neuf ans d’espérance conjuguée au conditionnel.
Ce dimanche 6 juillet 2014, la jeune nation comorienne, en la personne de son chef de l’Etat, s’est livrée, comme d’habitude, aux petits plaisirs de l’autocongratulation. Le monde va mal, certes. Mais le pays va mieux, plus qu’auparavant. Les paroles, bien sûr, n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais comme les habitants de cet archipel ont l’oreille bouchée désormais, tout le monde peut se hasarder à dire ce qu’il veut, sans que la moindre réplique s’y oppose. Sauf que la question demeure, têtue, souveraine, suspendue aux humeurs d’un Etat abdiquant sur ses principales prérogatives, à savoir défendre le citoyen dans ses droits, réinventer le destin commun, rétablir la perspective…
La question du comment faire, pour en finir avec ce qui nous arrive, est inévitable. Il y a longtemps déjà que les Comoriens ont compris. Ils n’ont plus la main sur leur réel. Nous avançons, pour ainsi dire, pieds et poings liés à un système vieux de près de deux cents ans. Un système faits de réseaux aliénant, dénaturant jusqu’aux rapports sociaux, dans l’intimité de nos cases. Mais de le dire ne suffit plus. Ce qui forcerait vraiment le respect, c’est de trouer l’horizon bouché, de faire se régénérer ce paysage, aujourd’hui défait. Ce qui génère, de fait, une position critique sur nos limites, sur nos actes d’anticipation, sur notre vision de l’avenir, sur nos réserves d’inventivité.
A-t-on un projet sur l’art et la manière dont nous aimerions vivre en ces îles ? Cesserons-nous un jour d’être les pantins de ce système ? Abdou Bacari Boina, dans Uhuru na igabuo, film réalisé sur quarante années d’indépendance autoproclamée, pense que notre principal souci réside dans l’absence de vision de nos dirigeants. Il n’a pas tort. Force est de reconnaître que les élites au pouvoir oublient jusqu’aux raisons pour lesquelles ils ont pu arracher la confiance de leur peuple. Il y a un tel fossé entre l’intérêt général et leurs décisions, entre leurs motivations premières et les promesses sans effet, que l’on achève d’assimiler la politique à son contraire. Un bon politicien est un homme qui chemine sur des ruines pour sa gueule, de nos jours.
Comment voulons-nous croire en un pays, après cela ? Trente neuf ans de trahison politique envers cette terre sont synonyme, à présent, d’un peuple désorienté, d’une amnésie quasi généralisée, d’une incapacité de dire ce qui est, de difficultés à assumer ce que l’on est, d’une errance programmée pour quiconque échappe au marasme annoncé. Aucune notion de la responsabilité de la part de nos dirigeants. Et voilà pourquoi les morts du Visa Balladur peuvent continuer à se noyer dans les profondeurs, sans que qu’aucune autorité ne s’interroge, à moins de vouloir réaliser ce rêve de la France républicaine en nos eaux : ce moment fatidique, où les Comoriens scient d’eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis.
A l’époque du président Azali, nous retirions nous-mêmes la question de Mayotte à l’assemblée générale des Nations Unies pour plaire à nos amis français. Depuis peu, nous brûlons nous-mêmes les barques, se destinant à Mayotte. Ce qui préfigure un temps, où c’est l’Etat comorien lui-même, qui interdit aux Comoriens de circuler sur ce territoire, qui leur est concédé par le droit international. Qui défend qui, qui enfonce qui ? C’est à ne pas s’y retrouver. Passe encore sur la « mémoire en panne » dont parle Abdou Bacari Boina, mais de reconnaître que « nos ennemis mènent le jeu » ne raccourcit pas la portée de leur bras. De quelle indépendance parlions-nous ce 6 juillet 2014 ? Qui fêtait quoi à Moroni ?
De dénoncer cette situation n’est pas une fin en soi, nous le savons. La question des moyens doit pouvoir se poser, désormais. Quelle réponse opposer à ces hommes et à ces femmes, qui, en notre nom, contribuent à l’effacement de tout un peuple ? Nous avons souvent entendu dire que la France est trop éloignée de nos possibilités pour que l’on puisse la trainer en justice. Mais ceux qui sont au pouvoir à Moroni ont un cahier de charge, et une constitution à respecter. Quand est-ce que nous allons les mettre au pas, en faisant régner le droit ? Toute parole sans conséquence sur ce système n’est que dénonciation servile, dans la mesure où ceux qui se contentent d’aboyer, démontrent que le système est plus fort qu’eux. Autant dire qu’ils le renforcent…
Le temps n’est-il pas venu d’attaquer ? Sur ce mur, nous nous demandions, depuis le début, comment poursuivre le combat, sans devenir des témoins aboyeurs ? Ce ci explique que nous ayons du mal à écrire comme si nous n’étions que des revendeurs de discours ambiant. Aujourd’hui, nous nous posons une autre question. Y a-t-il des citoyens de cet archipel prêts à entamer des procédures en justice, et à faire mordre la poussière à ceux qui pourrissent le destin commun ? Où sont-ils ? Car le moment est venu, et les milliers de morts du Visa Balladur, comme le reste, attendent d’être traduit en langage bien audible et visible, non pas sur des murs ou dans des débats d’arrière-cour, mais dans des cours spéciales, obligeant nos autorités à renouer avec le pacte de responsabilité face à leur peuple. Car il est un peuple encore en ces îles…
Ce dimanche 6 juillet 2014, la jeune nation comorienne, en la personne de son chef de l’Etat, s’est livrée, comme d’habitude, aux petits plaisirs de l’autocongratulation. Le monde va mal, certes. Mais le pays va mieux, plus qu’auparavant. Les paroles, bien sûr, n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais comme les habitants de cet archipel ont l’oreille bouchée désormais, tout le monde peut se hasarder à dire ce qu’il veut, sans que la moindre réplique s’y oppose. Sauf que la question demeure, têtue, souveraine, suspendue aux humeurs d’un Etat abdiquant sur ses principales prérogatives, à savoir défendre le citoyen dans ses droits, réinventer le destin commun, rétablir la perspective…
La question du comment faire, pour en finir avec ce qui nous arrive, est inévitable. Il y a longtemps déjà que les Comoriens ont compris. Ils n’ont plus la main sur leur réel. Nous avançons, pour ainsi dire, pieds et poings liés à un système vieux de près de deux cents ans. Un système faits de réseaux aliénant, dénaturant jusqu’aux rapports sociaux, dans l’intimité de nos cases. Mais de le dire ne suffit plus. Ce qui forcerait vraiment le respect, c’est de trouer l’horizon bouché, de faire se régénérer ce paysage, aujourd’hui défait. Ce qui génère, de fait, une position critique sur nos limites, sur nos actes d’anticipation, sur notre vision de l’avenir, sur nos réserves d’inventivité.
A-t-on un projet sur l’art et la manière dont nous aimerions vivre en ces îles ? Cesserons-nous un jour d’être les pantins de ce système ? Abdou Bacari Boina, dans Uhuru na igabuo, film réalisé sur quarante années d’indépendance autoproclamée, pense que notre principal souci réside dans l’absence de vision de nos dirigeants. Il n’a pas tort. Force est de reconnaître que les élites au pouvoir oublient jusqu’aux raisons pour lesquelles ils ont pu arracher la confiance de leur peuple. Il y a un tel fossé entre l’intérêt général et leurs décisions, entre leurs motivations premières et les promesses sans effet, que l’on achève d’assimiler la politique à son contraire. Un bon politicien est un homme qui chemine sur des ruines pour sa gueule, de nos jours.
Comment voulons-nous croire en un pays, après cela ? Trente neuf ans de trahison politique envers cette terre sont synonyme, à présent, d’un peuple désorienté, d’une amnésie quasi généralisée, d’une incapacité de dire ce qui est, de difficultés à assumer ce que l’on est, d’une errance programmée pour quiconque échappe au marasme annoncé. Aucune notion de la responsabilité de la part de nos dirigeants. Et voilà pourquoi les morts du Visa Balladur peuvent continuer à se noyer dans les profondeurs, sans que qu’aucune autorité ne s’interroge, à moins de vouloir réaliser ce rêve de la France républicaine en nos eaux : ce moment fatidique, où les Comoriens scient d’eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis.
A l’époque du président Azali, nous retirions nous-mêmes la question de Mayotte à l’assemblée générale des Nations Unies pour plaire à nos amis français. Depuis peu, nous brûlons nous-mêmes les barques, se destinant à Mayotte. Ce qui préfigure un temps, où c’est l’Etat comorien lui-même, qui interdit aux Comoriens de circuler sur ce territoire, qui leur est concédé par le droit international. Qui défend qui, qui enfonce qui ? C’est à ne pas s’y retrouver. Passe encore sur la « mémoire en panne » dont parle Abdou Bacari Boina, mais de reconnaître que « nos ennemis mènent le jeu » ne raccourcit pas la portée de leur bras. De quelle indépendance parlions-nous ce 6 juillet 2014 ? Qui fêtait quoi à Moroni ?
De dénoncer cette situation n’est pas une fin en soi, nous le savons. La question des moyens doit pouvoir se poser, désormais. Quelle réponse opposer à ces hommes et à ces femmes, qui, en notre nom, contribuent à l’effacement de tout un peuple ? Nous avons souvent entendu dire que la France est trop éloignée de nos possibilités pour que l’on puisse la trainer en justice. Mais ceux qui sont au pouvoir à Moroni ont un cahier de charge, et une constitution à respecter. Quand est-ce que nous allons les mettre au pas, en faisant régner le droit ? Toute parole sans conséquence sur ce système n’est que dénonciation servile, dans la mesure où ceux qui se contentent d’aboyer, démontrent que le système est plus fort qu’eux. Autant dire qu’ils le renforcent…
Le temps n’est-il pas venu d’attaquer ? Sur ce mur, nous nous demandions, depuis le début, comment poursuivre le combat, sans devenir des témoins aboyeurs ? Ce ci explique que nous ayons du mal à écrire comme si nous n’étions que des revendeurs de discours ambiant. Aujourd’hui, nous nous posons une autre question. Y a-t-il des citoyens de cet archipel prêts à entamer des procédures en justice, et à faire mordre la poussière à ceux qui pourrissent le destin commun ? Où sont-ils ? Car le moment est venu, et les milliers de morts du Visa Balladur, comme le reste, attendent d’être traduit en langage bien audible et visible, non pas sur des murs ou dans des débats d’arrière-cour, mais dans des cours spéciales, obligeant nos autorités à renouer avec le pacte de responsabilité face à leur peuple. Car il est un peuple encore en ces îles…
Shinua
Le film Uhuru na igabuo, le film de Abdou Bacari Boina, est visible sur le web, ci dessous :
Uhuru na igabuo from Muzdalifa House on Vimeo.
Uhuru na igabuo from Muzdalifa House on Vimeo.
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