Portrait. Chercheur en littérature moderne, Hassane Kébé est aujourd’hui enseignant dans un collège de l’Essonne. Il est aussi mauritanie...
Portrait. Chercheur en littérature moderne, Hassane Kébé est aujourd’hui enseignant dans un collège de l’Essonne. Il est aussi mauritanien et sous le coup d’une obligation de quitter le territoire le 16 juin. Une situation aussi inhumaine que paradoxale en pleine pénurie de professeurs.
Il a la poignée de main et le sourire chaleureux. En entrant dans la cité Bleue, à Cachan (Val-de-Marne), la discussion a déjà commencé. « Je me réveille très tôt le matin. Je travaille à une heure et demie d’ici. » Hassane Kébé est professeur de lettres pour les classes de 6e et de 5e du collège Jean-Moulin à Saint-Michel-sur-Orge, dans l’Essonne. En 2012, il a soutenu sa thèse à l’université de Créteil pour devenir docteur en littérature, avec les félicitations du jury. En 2011, il avait déjà commencé à enseigner les lettres dans plusieurs collèges d’Île-de-France, en tant que professeur contractuel. Aujourd’hui, son contrat avec l’éducation nationale court jusqu’au 31 août 2014. Mais ce parcours sans embûche est aujourd’hui menacé. La préfecture refuse de lui accorder un titre de séjour. Hassane est mauritanien. Le 16 mai dernier, il a reçu un courrier lui intimant de quitter le territoire national avant le 16 juin 2014.
Dans la sobriété de son appartement, Hassane – Lassana pour les proches – est désemparé. Son tort : avoir fait sa demande de titre de séjour en dehors des délais légaux. « J’ai attendu l’expiration de mon titre de séjour d’étudiant étranger pour faire les démarches alors qu’il fallait, apparemment, s’y prendre plus tôt... » La circulaire Valls de novembre 2012 demande pourtant aux préfets « d’apprécier favorablement les demandes d’admission au séjour au titre du travail, dès lors que l’étranger justifie (...) d’une ancienneté de travail de huit mois sur les vingt-quatre derniers mois ». Pour Stéphane Maugendre, avocat et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés, cette affaire confine au ridicule: « On oppose un délai à quelqu’un qui fait partie de l’élite et qui apprend le français à nos enfants. » La situation est d’autant plus kafkaïenne que la pénurie de profs est gravissime. Cette année encore, il y a eu moins de candidats reçus pour le Capes de lettres que de places à prendre.
Hassane ne peut pas présenter le concours. Il est étranger. Ses deux frères, eux, sont de nationalité française. Fuyant les conflits entre Maures et Noirs-Africains en 1989, ils avaient été régularisés comme demandeurs d’asile. Né le 31 décembre 1972, Hassane a grandi en terre soninké dans l’extrême-sud de la Mauritanie. Diadjibiné est un village connu de toute l’Afrique pour les oeuvres d’argile, éphémères et multicolores, dont les femmes ornent les intérieurs des maisons. Hassane y a fait son primaire, avant de rejoindre le lycée sur les rives du fleuve Sénégal, à Kaedi, la capitale de la province du Corgol. Puis, il étudie à Nouakchott jusqu’à sa maîtrise. « C’est sous l’influence de mon frère aîné que j’ai commencé à rêver de littérature, raconte-t-il, souriant. Tout petit, je l’écoutais parler avec ses camarades de classe. Ça me passionnait déjà. » Hassane aime profondément les écrivains. Les classiques africains, maghrébins et français.
Emporté, il dit son admiration pour le siècle des Lumières, la poésie romantique, les romans réalistes du XIXe siècle et les auteurs engagés du XXe.
Il explique avec passion que «la francophonie est une grande famille»
En 2004, il vient finalement étudier à Paris. À son arrivée, Hassane se met immédiatement à « creuser » les concepts chers aux penseurs créoles Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Le sujet de son mémoire de DEA: « Poétique et échanges interculturels ». Celui de son master: « Littérature et discours ». « J’ai grandi au croisement des langues africaines, arabo-berbères et française du fait de la colonisation. La francophonie est une grande famille. C’est pourquoi j’ai intitulé ma thèse: “Interculturalité et intertextualité” », explique-t-il avec passion. Ses recherches universitaires se sont centrées sur l’oeuvre d’Ousmane Moussa Diagana. « L’Aragon mauritanien, qui fut aussi l’un de mes professeurs », dit-il. Celui qui écrivit : « Je suis, vois-tu, une belle synthèse de notre histoire; je suis à la fois négro-africaine, berbère, arabe, juive et occidentale. Ma mémoire est irriguéede la sève de tous ces peuples, de toutes ces races, de toutes ces tribus et clans, de toutes ces cultures, perdus ou coexistant aujourd’hui dans une étanchéité aveugle et imbécile. » De toute évidence le préfet du Val-de-Marne n’a pas lu le poète.
Les collègues d’Hassane, soutenus par la Ligue des droits de l’homme et le Snes-FSU, viennent d’écrire à la préfecture. Ils lui demandent de revoir sa copie en ce qui concerne l’expulsion programmée du professeur de lettres et docteur en littérature. Son avocat, Me Doumaré, a posé un recours gracieux auprès de la préfecture et conteste devant le tribunal administratif l’obligation de quitter le territoire français.
Pour Hassane, il est hors de question d’avoir à être « menotté et jeté comme un sac dans un avion, si je dois partir. C’est chez moi que je rentrerai. J’irai dignement », assène-t-il. Quand on évoque ce qu’il dirait à ses élèves s’il devait quitter la France, Hassane hésite. Son regard se fige. Dans ses yeux mouillés s’écrivent alors les mots du poète Diagana : « La fleur ne retient pas l’abeille. Mais l’abeille revient à la fleur. »
SOUTIEN IMMÉDIAT DE SES COLLÈGUES
Pour défendre Hassane, une pétition a été lancée à l’initiative d’une de ses collègues, Sylvie Dimet. Elle a recueilli rapidement plus d’une centaine de signatures de professeurs et de personnels des collèges où l’enseignant a travaillé.
Il a la poignée de main et le sourire chaleureux. En entrant dans la cité Bleue, à Cachan (Val-de-Marne), la discussion a déjà commencé. « Je me réveille très tôt le matin. Je travaille à une heure et demie d’ici. » Hassane Kébé est professeur de lettres pour les classes de 6e et de 5e du collège Jean-Moulin à Saint-Michel-sur-Orge, dans l’Essonne. En 2012, il a soutenu sa thèse à l’université de Créteil pour devenir docteur en littérature, avec les félicitations du jury. En 2011, il avait déjà commencé à enseigner les lettres dans plusieurs collèges d’Île-de-France, en tant que professeur contractuel. Aujourd’hui, son contrat avec l’éducation nationale court jusqu’au 31 août 2014. Mais ce parcours sans embûche est aujourd’hui menacé. La préfecture refuse de lui accorder un titre de séjour. Hassane est mauritanien. Le 16 mai dernier, il a reçu un courrier lui intimant de quitter le territoire national avant le 16 juin 2014.
Son tort : avoir fait sa demande de titre de séjour en dehors des délais légaux
Dans la sobriété de son appartement, Hassane – Lassana pour les proches – est désemparé. Son tort : avoir fait sa demande de titre de séjour en dehors des délais légaux. « J’ai attendu l’expiration de mon titre de séjour d’étudiant étranger pour faire les démarches alors qu’il fallait, apparemment, s’y prendre plus tôt... » La circulaire Valls de novembre 2012 demande pourtant aux préfets « d’apprécier favorablement les demandes d’admission au séjour au titre du travail, dès lors que l’étranger justifie (...) d’une ancienneté de travail de huit mois sur les vingt-quatre derniers mois ». Pour Stéphane Maugendre, avocat et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés, cette affaire confine au ridicule: « On oppose un délai à quelqu’un qui fait partie de l’élite et qui apprend le français à nos enfants. » La situation est d’autant plus kafkaïenne que la pénurie de profs est gravissime. Cette année encore, il y a eu moins de candidats reçus pour le Capes de lettres que de places à prendre.
Hassane ne peut pas présenter le concours. Il est étranger. Ses deux frères, eux, sont de nationalité française. Fuyant les conflits entre Maures et Noirs-Africains en 1989, ils avaient été régularisés comme demandeurs d’asile. Né le 31 décembre 1972, Hassane a grandi en terre soninké dans l’extrême-sud de la Mauritanie. Diadjibiné est un village connu de toute l’Afrique pour les oeuvres d’argile, éphémères et multicolores, dont les femmes ornent les intérieurs des maisons. Hassane y a fait son primaire, avant de rejoindre le lycée sur les rives du fleuve Sénégal, à Kaedi, la capitale de la province du Corgol. Puis, il étudie à Nouakchott jusqu’à sa maîtrise. « C’est sous l’influence de mon frère aîné que j’ai commencé à rêver de littérature, raconte-t-il, souriant. Tout petit, je l’écoutais parler avec ses camarades de classe. Ça me passionnait déjà. » Hassane aime profondément les écrivains. Les classiques africains, maghrébins et français.
Emporté, il dit son admiration pour le siècle des Lumières, la poésie romantique, les romans réalistes du XIXe siècle et les auteurs engagés du XXe.
Il explique avec passion que «la francophonie est une grande famille»
En 2004, il vient finalement étudier à Paris. À son arrivée, Hassane se met immédiatement à « creuser » les concepts chers aux penseurs créoles Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Le sujet de son mémoire de DEA: « Poétique et échanges interculturels ». Celui de son master: « Littérature et discours ». « J’ai grandi au croisement des langues africaines, arabo-berbères et française du fait de la colonisation. La francophonie est une grande famille. C’est pourquoi j’ai intitulé ma thèse: “Interculturalité et intertextualité” », explique-t-il avec passion. Ses recherches universitaires se sont centrées sur l’oeuvre d’Ousmane Moussa Diagana. « L’Aragon mauritanien, qui fut aussi l’un de mes professeurs », dit-il. Celui qui écrivit : « Je suis, vois-tu, une belle synthèse de notre histoire; je suis à la fois négro-africaine, berbère, arabe, juive et occidentale. Ma mémoire est irriguéede la sève de tous ces peuples, de toutes ces races, de toutes ces tribus et clans, de toutes ces cultures, perdus ou coexistant aujourd’hui dans une étanchéité aveugle et imbécile. » De toute évidence le préfet du Val-de-Marne n’a pas lu le poète.
Les collègues d’Hassane, soutenus par la Ligue des droits de l’homme et le Snes-FSU, viennent d’écrire à la préfecture. Ils lui demandent de revoir sa copie en ce qui concerne l’expulsion programmée du professeur de lettres et docteur en littérature. Son avocat, Me Doumaré, a posé un recours gracieux auprès de la préfecture et conteste devant le tribunal administratif l’obligation de quitter le territoire français.
Pour Hassane, il est hors de question d’avoir à être « menotté et jeté comme un sac dans un avion, si je dois partir. C’est chez moi que je rentrerai. J’irai dignement », assène-t-il. Quand on évoque ce qu’il dirait à ses élèves s’il devait quitter la France, Hassane hésite. Son regard se fige. Dans ses yeux mouillés s’écrivent alors les mots du poète Diagana : « La fleur ne retient pas l’abeille. Mais l’abeille revient à la fleur. »
SOUTIEN IMMÉDIAT DE SES COLLÈGUES
Pour défendre Hassane, une pétition a été lancée à l’initiative d’une de ses collègues, Sylvie Dimet. Elle a recueilli rapidement plus d’une centaine de signatures de professeurs et de personnels des collèges où l’enseignant a travaillé.
ÉMILIEN URBACH
Lu sur /humanite.fr