Citoyen suisse et médecin, Roger Kolo vient de prendre la tête du gouvernement de la Grande île. Les défis qui l’attendent sont immenses. ...
Citoyen suisse et médecin, Roger Kolo vient de prendre la tête du gouvernement de la Grande île. Les défis qui l’attendent sont immenses.
Demandez à Roger Kolo, titulaire d’un passeport à croix blanche, pourquoi diable il est allé se plonger dans le chaudron de la politique malgache alors qu’il aurait pu légitimement aspirer à une retraite paisible en Suisse, après une longue carrière médicale entre Genève et Fribourg. Il vous répondra que c’est une affaire de traditions familiales. «Je n’arrive pas à rester sur place, c’est l’éducation que ma mère m’a donnée: il ne faut jamais attendre que les gens vous ouvrent la bouche pour manger. Il faut y aller et se servir.»
Originaire de la côte ouest de Madagascar, Roger Kolo est issu d’une longue lignée de politiciens: un père sénateur, un frère qui l’a imité et un oncle autrefois ministre des Affaires culturelles. «Dans la famille, la politique, c’était notre tasse de thé, tous les jours dès le matin. Mon père me disait: «Ecoute mon grand, quand tu auras élevé tes enfants et qu’ils seront indépendants, n’oublie pas notre pays», explique le septuagénaire. Aussi, quand il décide de faire le saut, il prépare son retour à Madagascar avec une grande ambition: se présenter à la présidentielle. Mais la Cour électorale spéciale invalide sa candidature au scrutin, qui sera finalement remportée en décembre 2013 par Hery Rajaonarimampianina.
Roger Kolo saura attendre son heure: le 11 avril dernier, il est désigné premier ministre. Cinq années après le coup d’Etat d’Andry Rajoelina et la descente aux enfers qui s’en est suivie, l’ordre constitutionnel est rétabli dans le pays, ouvrant la voie de sa réhabilitation internationale.
Mi-avril, le nouveau chef de gouvernement forme un cabinet de techniciens. Au sein de cette équipe, il ajoute à sa charge la Santé, un portefeuille sur mesure pour ce radiologue genevois, qui avait développé, en marge de sa carrière, des projets humanitaires avec son pays d’origine. C’est d’ailleurs en sa qualité de ministre qu’il est venu la semaine passée assister à l’Assemblée mondiale de la santé à Genève, sa ville durant trente-cinq ans. Etudiant remuant à Antananarivo, il a quitté la Grande Ile en 1978 pour achever sa médecine, d’abord à Strasbourg. Puis, en 1980, il rejoint son épouse sage-femme à Genève. Il y obtient toutes ses équivalences et s’installe comme radiologue aux HUG, avant de devenir chef de clinique à Fribourg, et de se lancer dans le privé en ouvrant un cabinet à Delémont, un autre à Genève. C’est là qu’il a élevé ses trois enfants.
Chacun, à sa manière, a percé dans la région: l’aîné a pris sa succession à la tête du centre de radiologie de la rue de Chantepoulet, l’un des plus grands de la ville. Le second voit sa notoriété prospérer sur la scène romande, où il se produit en tant que chanteur du groupe K.O.L.O. Music. Après une carrière de danseuse, la dernière a à son tour embrassé des études de médecine. «Je crois que le temps était venu pour moi, ma mission étant accomplie du côté de ma famille. Je suis assez fier de ce que j’ai réussi», dit Roger Kolo.
Mais de bon père de famille, médecin respecté et engagé auprès de l’Eglise luthérienne malgache de Genève au fauteuil de premier ministre de Madagascar, il y a une montagne à gravir, au moins aussi abrupte que le Maromokotro, la plus haute du pays. «Il a la tête sur les épaules, il est intègre et a de l’énergie à revendre. Et il dispose d’un grand réseau en Suisse», dit l’un de ses amis, confiant.
Certes, l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités a allumé une petite flamme d’espoir, confortée par la réadmission dans le giron de la Francophonie, l’annonce d’une reprise des programmes d’aide au développement de l’Union européenne, et par le déblocage par le FMI et la Banque mondiale de près de 450 millions de dollars de soutien. Cette manne s’annonce vitale pour revigorer le pays, qui stagne dans les abysses du développement humain (151e rang mondial), en dépit d’un potentiel économique jugé prodigieux par ceux qui l’ont évalué. Ressources géologiques en abondance, immenses terres rares et agricoles, gisements de pétrole et de gaz offshore prometteurs. Sur le papier, Madagascar ne manque de rien et certainement pas d’attractivité touristique. Et pourtant, tout, là-bas, est matière à priorité, l’éducation autant que la santé, le développement économique autant que le rétablissement de la sécurité.
«Entre la pauvreté et la sécurité, explique le premier ministre, c’est comme l’œuf et de la poule. Ce qu’il faut, c’est que nous parvenions à couper le cercle vicieux», explique-t-il. Et puisqu’il fallait bien un point de départ à son action, il a décidé que les questions sociales seraient son premier chantier. «Je veux que les gens puissent accéder aux repas, qu’ils se fassent soigner. Les enfants ne doivent pas passer la journée à l’école le ventre vide. Nous devons faire revivre les cantines scolaires.»
Après plus de trois décennies d’absence, Roger Kolo est pour la plupart de ses concitoyens un vazaha, un étranger, ou un Blanc, lui qui a des ascendances lyonnaises. Si la presse locale s’est interrogée sur le parachutage de cet homme qui maîtrise mal la langue malgache, son relatif anonymat ne présente pas que des inconvénients. Il offre à la fois la garantie d’une distance critique et celle de ne pas avoir trempé dans la corruption qui asphyxie l’économie de la Grande Ile. A cet égard, le nouveau premier ministre s’engage à faire «la lessive» et promet aux investisseurs étrangers, auquel son pays brûle de s’ouvrir le plus largement possible, l’établissement d’une justice indépendante.
«Je compte beaucoup sur le soutien du secteur privé. Je sais qu’il n’y a que par le travail que nous réussirons», dit-il. Une valeur qu’il entend emprunter à son pays d’adoption, au même titre que sa «crédibilité et son sérieux»: «La Suisse est une marque reconnue dans le monde. A nous d’établir celle de Madagascar.»
Bienveillants, les observateurs internationaux n’en sont pas moins dans l’expectative. «Les belles promesses vont-elles se concrétiser? Si cette opportunité est manquée, je me fais beaucoup de souci pour Madagascar», commente l’un d’entre eux. Roger Kolo, lui, assure qu’il ne manque pas de courage et confie son atout maître: la valeur des hommes de la Grande Ile. «Elle est basée, dit-il, sur l’éducation malgache. Ici, ce qui fait l’homme c’est son esprit plus que son corps. Avec les difficultés, la tête a été déconnectée. Mais il reste une base d’éducation. A partir de là, on peut reconstruire l’homme malgache.»Angélique Mounier-Kuhn | letemps.ch
Demandez à Roger Kolo, titulaire d’un passeport à croix blanche, pourquoi diable il est allé se plonger dans le chaudron de la politique malgache alors qu’il aurait pu légitimement aspirer à une retraite paisible en Suisse, après une longue carrière médicale entre Genève et Fribourg. Il vous répondra que c’est une affaire de traditions familiales. «Je n’arrive pas à rester sur place, c’est l’éducation que ma mère m’a donnée: il ne faut jamais attendre que les gens vous ouvrent la bouche pour manger. Il faut y aller et se servir.»
Originaire de la côte ouest de Madagascar, Roger Kolo est issu d’une longue lignée de politiciens: un père sénateur, un frère qui l’a imité et un oncle autrefois ministre des Affaires culturelles. «Dans la famille, la politique, c’était notre tasse de thé, tous les jours dès le matin. Mon père me disait: «Ecoute mon grand, quand tu auras élevé tes enfants et qu’ils seront indépendants, n’oublie pas notre pays», explique le septuagénaire. Aussi, quand il décide de faire le saut, il prépare son retour à Madagascar avec une grande ambition: se présenter à la présidentielle. Mais la Cour électorale spéciale invalide sa candidature au scrutin, qui sera finalement remportée en décembre 2013 par Hery Rajaonarimampianina.
Roger Kolo saura attendre son heure: le 11 avril dernier, il est désigné premier ministre. Cinq années après le coup d’Etat d’Andry Rajoelina et la descente aux enfers qui s’en est suivie, l’ordre constitutionnel est rétabli dans le pays, ouvrant la voie de sa réhabilitation internationale.
Mi-avril, le nouveau chef de gouvernement forme un cabinet de techniciens. Au sein de cette équipe, il ajoute à sa charge la Santé, un portefeuille sur mesure pour ce radiologue genevois, qui avait développé, en marge de sa carrière, des projets humanitaires avec son pays d’origine. C’est d’ailleurs en sa qualité de ministre qu’il est venu la semaine passée assister à l’Assemblée mondiale de la santé à Genève, sa ville durant trente-cinq ans. Etudiant remuant à Antananarivo, il a quitté la Grande Ile en 1978 pour achever sa médecine, d’abord à Strasbourg. Puis, en 1980, il rejoint son épouse sage-femme à Genève. Il y obtient toutes ses équivalences et s’installe comme radiologue aux HUG, avant de devenir chef de clinique à Fribourg, et de se lancer dans le privé en ouvrant un cabinet à Delémont, un autre à Genève. C’est là qu’il a élevé ses trois enfants.
Chacun, à sa manière, a percé dans la région: l’aîné a pris sa succession à la tête du centre de radiologie de la rue de Chantepoulet, l’un des plus grands de la ville. Le second voit sa notoriété prospérer sur la scène romande, où il se produit en tant que chanteur du groupe K.O.L.O. Music. Après une carrière de danseuse, la dernière a à son tour embrassé des études de médecine. «Je crois que le temps était venu pour moi, ma mission étant accomplie du côté de ma famille. Je suis assez fier de ce que j’ai réussi», dit Roger Kolo.
Mais de bon père de famille, médecin respecté et engagé auprès de l’Eglise luthérienne malgache de Genève au fauteuil de premier ministre de Madagascar, il y a une montagne à gravir, au moins aussi abrupte que le Maromokotro, la plus haute du pays. «Il a la tête sur les épaules, il est intègre et a de l’énergie à revendre. Et il dispose d’un grand réseau en Suisse», dit l’un de ses amis, confiant.
Certes, l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités a allumé une petite flamme d’espoir, confortée par la réadmission dans le giron de la Francophonie, l’annonce d’une reprise des programmes d’aide au développement de l’Union européenne, et par le déblocage par le FMI et la Banque mondiale de près de 450 millions de dollars de soutien. Cette manne s’annonce vitale pour revigorer le pays, qui stagne dans les abysses du développement humain (151e rang mondial), en dépit d’un potentiel économique jugé prodigieux par ceux qui l’ont évalué. Ressources géologiques en abondance, immenses terres rares et agricoles, gisements de pétrole et de gaz offshore prometteurs. Sur le papier, Madagascar ne manque de rien et certainement pas d’attractivité touristique. Et pourtant, tout, là-bas, est matière à priorité, l’éducation autant que la santé, le développement économique autant que le rétablissement de la sécurité.
«Entre la pauvreté et la sécurité, explique le premier ministre, c’est comme l’œuf et de la poule. Ce qu’il faut, c’est que nous parvenions à couper le cercle vicieux», explique-t-il. Et puisqu’il fallait bien un point de départ à son action, il a décidé que les questions sociales seraient son premier chantier. «Je veux que les gens puissent accéder aux repas, qu’ils se fassent soigner. Les enfants ne doivent pas passer la journée à l’école le ventre vide. Nous devons faire revivre les cantines scolaires.»
Après plus de trois décennies d’absence, Roger Kolo est pour la plupart de ses concitoyens un vazaha, un étranger, ou un Blanc, lui qui a des ascendances lyonnaises. Si la presse locale s’est interrogée sur le parachutage de cet homme qui maîtrise mal la langue malgache, son relatif anonymat ne présente pas que des inconvénients. Il offre à la fois la garantie d’une distance critique et celle de ne pas avoir trempé dans la corruption qui asphyxie l’économie de la Grande Ile. A cet égard, le nouveau premier ministre s’engage à faire «la lessive» et promet aux investisseurs étrangers, auquel son pays brûle de s’ouvrir le plus largement possible, l’établissement d’une justice indépendante.
«Je compte beaucoup sur le soutien du secteur privé. Je sais qu’il n’y a que par le travail que nous réussirons», dit-il. Une valeur qu’il entend emprunter à son pays d’adoption, au même titre que sa «crédibilité et son sérieux»: «La Suisse est une marque reconnue dans le monde. A nous d’établir celle de Madagascar.»
Bienveillants, les observateurs internationaux n’en sont pas moins dans l’expectative. «Les belles promesses vont-elles se concrétiser? Si cette opportunité est manquée, je me fais beaucoup de souci pour Madagascar», commente l’un d’entre eux. Roger Kolo, lui, assure qu’il ne manque pas de courage et confie son atout maître: la valeur des hommes de la Grande Ile. «Elle est basée, dit-il, sur l’éducation malgache. Ici, ce qui fait l’homme c’est son esprit plus que son corps. Avec les difficultés, la tête a été déconnectée. Mais il reste une base d’éducation. A partir de là, on peut reconstruire l’homme malgache.»Angélique Mounier-Kuhn | letemps.ch