Interview de Tareq Oubrou, théologien et recteur de la mosquée de Bordeaux. L'homosexualité et la transsexualité demeurent l'une ...
Interview de Tareq Oubrou, théologien et recteur de la mosquée de Bordeaux.
L'homosexualité et la transsexualité demeurent l'une des questions les plus sensibles pour les communautés religieuses dont beaucoup de leurs représentants cultuels préfèrent ignorer pour ne pas heurter des sensibilités. Tareq Oubrou est des rares théologiens musulmans en France qui ne s'interdit aucun débat. Avec plusieurs hommes de foi chrétiens et juifs, l'imam de Bordeaux a signé le 17 mars dernier ( mars 2010) l'appel des religions contre l'homophobie et la transphobie. Sa position se veut claire : bien que le dogme condamne moralement ces pratiques, hors de question d'attribuer les violences homophobes à l'islam et de considérer les homosexuels comme des apostats. Interview.
Saphirnews : Tout d'abord, quelle position adopte l'islam sur l'homosexualité du point de vue strictement théologique ?
Tareq Oubrou : La position de principe de l'islam est la suivante : le seul rapport acceptable en matière de sexualité est celui qui s'effectue entre deux sexes différents dans le cadre légal du mariage. Comme les autres religions, l'islam ne considère pas l'homosexualité comme une pratique sexuelle moralement acceptable. Elle est considérée comme une faute morale, un péché.
La question de la transsexualité est encore très peu abordée, qu'en est-il ?
T. O. : La transsexualité est un processus assez complexe. Il y a des raisons valables et non valables qui fondent le changement de sexe. Quand il y a confusion génétique et anatomique de l'identité sexuelle chez un individu, cela peut aboutir au choix de la transsexualité. Mais je ne vois pas d'autres raisons fondées pour changer de sexe. C'est une question qui doit être traitée au cas par cas.
Certains vous diront que vous confondez transsexualité et intersexualité (un être dont il est difficile ou impossible à définir comme mâle ou femelle). Aujourd'hui, beaucoup de transsexuels font des changements pour raisons non médicales…
T. O. : Je ne suis pas un spécialiste dans ces domaines. Ce sont des concepts compliqués tout comme l'homophobie. Est-ce que le fait de ne pas accepter le mariage entre les homosexuels peut être considéré comme de l'homophobie ? Il y a un problème terminologique qu'il est important de préciser, car on utilise des mots qui ne sont parfois pas très clairs.
Justement, comment définissez-vous l'homophobie ?
T. O. : Je veux rester dans des positions de principe. Ma définition consiste à dire que l'homophobie est l'agression physique, les insultes et l'exclusion d'hommes et de femmes qui ont opté pour des pratiques sexuelles qui n'entrent pas dans ceux de la majorité de la population. On a le droit de critiquer cette sexualité, de refuser le mariage entre homosexuels. Si on considère que cette position est homophobe, je ne suis pas d'accord. Il faut préciser ce terme tout comme l'islamophobie. Personne n'est obligé d'aimer l'islam. En effet, si on définit l'islamophobie comme un acte qui consiste à ne pas aimer l'islam, cela ne serait pas recevable comme un délit. Mais agresser, exclure, insulter ou refuser un travail, par exemple, à un musulman pour sa religion en est un. La même chose pour l'homophobie.
L'homophobie à caractère religieux est une réalité qui touche toutes les communautés religieuses. Cependant, aujourd'hui, les sept pays qui condamnent à mort les homosexuels sont des Etats à majorité musulmane. Que répondez-vous ?
T. O. : Ces pratiques sont aussi refusées en Chine, en Inde, en Ouganda et dans la majorité des cultures. D'autres traditions religieuses et culturelles n'admettent pas l'homosexualité. Ce n'est pas le propre de l'islam ni des musulmans. C'est une pratique minoritaire qui n'est pas acceptée par la majeure partie de notre globe terrestre.
C'est une pratique ancienne qui a existé dans toutes les sociétés, y compris dans les sociétés musulmanes qui se faisait dans la discrétion et l'intimité. Ces sociétés toléraient ces pratiques. Le problème, aujourd'hui, est sa visibilité qui crée des réactions violentes dans des sociétés qui conservent encore des valeurs religieuses et morales fortes. Dans des pays musulmans, la société réagit encore très mal à la visibilité de l'homosexualité et aux revendications d'un cadre légal pour les homosexuels.
C'est une pratique ancienne qui a existé dans toutes les sociétés, y compris dans les sociétés musulmanes qui se faisait dans la discrétion et l'intimité. Ces sociétés toléraient ces pratiques. Le problème, aujourd'hui, est sa visibilité qui crée des réactions violentes dans des sociétés qui conservent encore des valeurs religieuses et morales fortes. Dans des pays musulmans, la société réagit encore très mal à la visibilité de l'homosexualité et aux revendications d'un cadre légal pour les homosexuels.
Mais est-ce que l'homosexualité est condamnable pénalement dans le droit juridique islamique ?
T. O. : Il n'y a aucun passage dans le Coran ni aucune tradition du Prophète Muhammad (Sunna, ndlr) authentique et formelle qui réserve une quelconque sanction pénale à celui qui la pratique. Même si l'homosexualité est clairement réprouvée moralement dans le Coran et dans la Sunna.
Certains vont jusqu'à dire que les homosexuels ne peuvent être musulmans, qu'ils sont des apostats…
T. O. : C'est grave ! En islam, le péché n'excommunie pas le musulman tant qu'il revendique sa foi, qu'il croit en Dieu et ne renie pas les Textes. La faute ne fait pas sortir une personne de l'islam contrairement à la position des kharidjites, ou mutazilite, deux tendances hétérodoxes, qui excommunient tout musulman qui commet un grave péché.
Un homosexuel qui respecte les cinq piliers de l'islam, ses cinq prières quotidiennes, son jeûne du mois de ramadan… est mieux qu'un autre qui n'est pas homosexuel mais qui ne respecte pas les cinq prières, le jeûne du mois de ramadan, le pèlerinage, la zakât, par exemple.
Il faut mettre les choses à leur juste place. En islam, celui qui a la foi est musulman. Il doit ensuite se conformer en premier lieu aux cinq piliers de l'islam puis aux pratiques morales. Celui qui ne respecte pas ses parents ou qui trompe sa femme commet une faute plus grave que l'homosexualité ! C'est un exemple qui illustre un peu la place de cette faute qui ne touche ni le répertoire des dogmes de la foi ni celui des rites (al-'ibâdât).
Toutes les fautes en islam n'ont pas la même valeur. Mais seul Dieu jugera les gens le Jour du Jugement dernier. Le fait de considérer un homosexuel musulman comme un apostat est une hérésie…
Un homosexuel qui respecte les cinq piliers de l'islam, ses cinq prières quotidiennes, son jeûne du mois de ramadan… est mieux qu'un autre qui n'est pas homosexuel mais qui ne respecte pas les cinq prières, le jeûne du mois de ramadan, le pèlerinage, la zakât, par exemple.
Il faut mettre les choses à leur juste place. En islam, celui qui a la foi est musulman. Il doit ensuite se conformer en premier lieu aux cinq piliers de l'islam puis aux pratiques morales. Celui qui ne respecte pas ses parents ou qui trompe sa femme commet une faute plus grave que l'homosexualité ! C'est un exemple qui illustre un peu la place de cette faute qui ne touche ni le répertoire des dogmes de la foi ni celui des rites (al-'ibâdât).
Toutes les fautes en islam n'ont pas la même valeur. Mais seul Dieu jugera les gens le Jour du Jugement dernier. Le fait de considérer un homosexuel musulman comme un apostat est une hérésie…
C'est-à-dire ?
T. O. : Aucun savant n'a considéré l'homosexuel comme un non-musulman tant que celui-ci ne remet pas en cause les fondements de l'islam, le Coran, la Sunna… Sinon que dire des voleurs ou des fornicateurs, ceux qui battent leurs parents, les criminels, les vendeurs de drogue… ! Les pratiques de l'islam sont multiples, il n'y a pas que la sexualité qui compte.
La lutte contre l'homophobie, telle que vous l'avez définie, passe-t-elle nécessairement, selon vous, par la reconnaissance de l'existence des homosexuels ?
T. O. : La reconnaissance ne signifie pas donner une légitimité à l'homosexualité, puisque l'islam n'en donne pas. Mais de là à passer à la violence et à l'exclusion, c'est cela qui doit être condamnable. Ethiquement parlant, le musulman se doit d'être bon avec tout le monde. On peut condamner la faute mais l'être humain en tant que tel doit être respecté, quels que soient sa religion et son niveau de pratique.
La dignité de l'homme en tant que tel est un droit inaliénable, inscrit dans l'esprit des commandements du Coran. Un homosexuel peut être ami avec un hétérosexuel et entretenir des relations sociales comme tout le monde.
La dignité de l'homme en tant que tel est un droit inaliénable, inscrit dans l'esprit des commandements du Coran. Un homosexuel peut être ami avec un hétérosexuel et entretenir des relations sociales comme tout le monde.
Avez-vous eu l'occasion de discuter avec la toute nouvelle association des Homosexuels musulmans de France (HM2F) ?
T. O. : Oui, nous avons discuté et récemment débattu ensemble sur Beur FM. Il faut faire face à ce type de revendication, je ne peux en tant que théologien musulman et imam les esquiver. J'ai trouvé très gênant le fait de mettre dans l'intitulé de l'association le mot « musulmans » dans la mesure où l'homosexualité n'est ni musulmane, ni chrétienne, ni juive. Le fait d'utiliser ce terme donnerait l'impression qu'il y aurait une caution théologique à l'homosexualité. Ce n'est pas convenable à mon sens. « Musulman » est une catégorie théologique, elle n'est ni éthique ni nationale.
Cela peut aussi signifier simplement qu'ils se revendiquent de la religion musulmane…
T. O. : Toutes les associations juives et chrétiennes n'ont pas employé le mot « chrétien » ou « juif » dans leurs intitulés (David et Jonathan et la Communauté de Béthanie pour les chrétiens, Beit Haverim pour les juifs, ndlr). Sinon, pourquoi pas une association de buveurs de vins musulmans ? Si chaque fois qu'une catégorie de la population musulmane veut revendiquer un droit à certaines pratiques qui ne sont pas conformes à l'islam en ajoutant le mot « musulman », cela deviendrait un vrai paradoxe. On passe d'une catégorie sociologique à une catégorie théologique et c'est gênant.
Vous êtes le seul à vous engager publiquement et clairement sur la question de l'homophobie en signant l'appel aux religions le 17 mars (2010) dernier. En avez-vous discuté avec des imams et des responsables français du culte musulman ?
T. O. : Dans mon entourage, on parle de ces questions de société qui peuvent concerner nos enfants, notre communauté, la preuve avec HM2F. En tant que théologien, je ne peux pas faire l'économie de cette question, car elle pose des questions de fond. La sécularisation a créé une perturbation des normes et les revendications se multiplient et nous devons répondre à ces phénomènes de société. L'imam ne doit donc pas être reclus dans sa mosquée. Il doit être à l'écoute de la société et répondre comme les savants ont répondu avant lui sur divers sujets.
Que proposez-vous concrètement pour lutter contre l'homophobie ?
T. O. : Je me contente de donner des positions de principe. Mon approche reste intellectuelle, théologique, éthique et philosophique. On a fait appel à moi pour dire quels sont les principes de l'islam sur cette question. J'ai trouvé un devoir moral d'y répondre. Quand on m'interpelle sur les questions de société, je ne peux déserter un tel débat.
Quel message souhaitez-vous faire passer ?
T. O. : Je ne veux pas que les homosexuels de confession musulmane désespèrent de leur religion. Ils peuvent avoir une spiritualité et des pratiques dans d'autres champs cultuels et moraux de l'islam. Ils n'ont pas à faire le choix entre l'homosexualité et l'islam. Il y a en effet des personnes qui sont installées dans cette sexualité mais, pour d'autres, ce n'est qu'une homosexualité temporaire. On pourrait même dire qu'il y a autant d'homosexualités que d'homosexuels. Chaque être humain est par essence singulier.
Je ne veux pas non plus que ma religion soit stigmatisée, cataloguée parmi les religions homophobes dans le sens où elle fait la chasse aux homosexuels. Je ne veux pas que ce genre de problèmes soit attribué, dans nos banlieues par exemple, à ma communauté.
C'est pour cela que j'anticipe, en disant qu'il ne faut pas agresser, insulter, mépriser les homosexuels, sous prétexte que leurs pratiques ne sont pas approuvées par la religion. Mais tolérer ne veut pas dire approuver... Il faut développer un savoir-vivre, le vivre-ensemble, où existe le respect mutuel qui préserve la paix civile, l'ordre public, au-delà de nos convictions et nos pratiques.
Je ne veux pas non plus que ma religion soit stigmatisée, cataloguée parmi les religions homophobes dans le sens où elle fait la chasse aux homosexuels. Je ne veux pas que ce genre de problèmes soit attribué, dans nos banlieues par exemple, à ma communauté.
C'est pour cela que j'anticipe, en disant qu'il ne faut pas agresser, insulter, mépriser les homosexuels, sous prétexte que leurs pratiques ne sont pas approuvées par la religion. Mais tolérer ne veut pas dire approuver... Il faut développer un savoir-vivre, le vivre-ensemble, où existe le respect mutuel qui préserve la paix civile, l'ordre public, au-delà de nos convictions et nos pratiques.
Rédigé le 28/05/2010
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