À Madagascar, la fin de la transition aiguise les appétits. Deux grosses affaires politico-financières ont défrayé la chronique dans les s...
À
Madagascar, la fin de la transition aiguise les appétits. Deux grosses
affaires politico-financières ont défrayé la chronique dans les semaines
précédant le premier tour de la présidentielle.
À quelques jours du premier tour de la présidentielle - qui a lieu aujourd'hui 25 octobre - la campagne bat son plein à Madagascar, où rien ne semble plus devoir enrayer le processus électoral. Les candidats les plus fortunés, qui se comptent sur les doigts d'une main, inondent le pays de meetings festifs, de tee-shirts et de billets de banque, et les citoyens, bien qu'éblouis par les armadas de 4x4 rutilants qui les escortent, se demandent avec une naïveté feinte comment, dans un pays aussi pauvre que le leur, ils ont bien pu financer de telles machines de guerre.
Chacun a sa petite idée, et ce ne sont pas les deux affaires qui défraient la chronique actuellement qui vont atténuer leurs suspicions.
La première concerne l'un des fleurons bancaires du pays, BNI Madagascar : la banque historique des entreprises, celle dans laquelle l'État compte le plus de participations directes (32,5 %). Depuis plus de deux ans, la moitié du capital de la BNI (51 % détenus par la banque française Crédit agricole) est à vendre. Et depuis quelques mois, un consortium constitué autour de Ciel, un groupe industriel mauricien allié à Hassanein Hiridjee, un homme d'affaires malgache qui a ses entrées à la présidence, est candidat au rachat.
À 24 millions d'euros, c'est une bonne affaire. Problème : les investisseurs n'ont avec eux aucune banque de référence internationale. Si cela ne semble pas être un souci pour le Crédit agricole, qui a donné son accord, il n'en va pas de même à Madagascar. Le directeur général du Trésor, en juin, puis la Commission de supervision bancaire et financière (CSBF), le 22 août, ont donc émis de sérieuses réserves quant au projet. Mais le 4 septembre, coup de théâtre : la CSBF change d'avis et donne son feu vert. Le lendemain, son président par intérim, le gouverneur de la Banque centrale, est retrouvé mort. Crise cardiaque.
Pressions
Entre-temps, les candidats au rachat avaient réajusté leur offre : ce n'est plus Trielite, une société de Hiridjee basée aux îles Vierges britanniques (un paradis fiscal) et déjà détentrice de 10 % de la BNI, qui accompagne le groupe Ciel, mais First Immo, une autre société de Hiridjee, implantée, elle, à Madagascar. Surtout, "les pressions ont été très fortes" ces dernières semaines, révèle un administrateur placé au coeur des négociations, et elles sont venues "de très haut".
Une
source proche du candidat au rachat dénonce "une cabale à connotation
xénophobe" contre le groupe mauricien et surtout contre Hiridjee, un
Karane (Indo-Pakistanais), et explique la levée de boucliers par "la
jalousie" que son ascension récente provoquerait. Il est vrai que la
pilule passe mal chez les patrons malgaches, qui s'inquiètent de voir ce
fleuron "bradé" à un investisseur qu'ils jugent peu fiable et à un
homme d'affaires dont ils se méfient. "Ça sent le bricolage à plein
nez", peste un membre influent du patronat, qui pointe du doigt la
proximité entre Hiridjee et Rajoelina.
Ce dernier rétorque que c'est une affaire privée qui ne concerne ni l'État... ni un candidat que ses détracteurs chercheraient selon lui à "salir". En juin, Hery Rajaonarimampianina avait pris la plume pour approuver ce projet de rachat qu'il aurait en coulisses ardemment soutenu. Il était alors ministre des Finances. Aujourd'hui, il est l'un des trente-trois candidats à la présidentielle et il fait figure de favori. Rajoelina en a même fait son champion.
L'autre affaire est peut-être le dernier épisode d'un feuilleton à rebondissements qui a vu le jour en même temps que la transition, et dans lequel l'entourage du président est suspecté de jouer un rôle majeur. Depuis quelques semaines, Rajoelina ambitionne de vendre, via un appel d'offres international, une partie des 20 000 rondins de bois de rose - un bois précieux qui fait l'objet d'un trafic dans l'île depuis cinq ans - saisis ces dernières années et stockés dans les casernes de la gendarmerie et de l'armée.
Trafic
Officiellement, l'argent récolté (potentiellement plusieurs millions d'euros) devra servir à financer la sécurisation des élections et l'équipement des forces de l'ordre. L'autre objectif, "c'est de stopper ce genre de trafics", a insisté Rajoelina sur RFI début octobre. Un argument qui ne convainc guère les défenseurs de l'environnement. "Si on veut stopper le trafic, il suffit d'emprisonner les trafiquants, qui sont bien connus et depuis longtemps", estime Ndranto Razakamanarina, le président de l'Alliance Vohary Gasy, une plateforme d'organisations malgaches oeuvrant pour l'environnement. Selon lui, une telle vente est certes réalisable, "mais en vingt semaines, pas en trois". "Le président veut vendre avant les élections. C'est impossible en si peu de temps, à moins de passer par une procédure de gré à gré. Pourquoi une telle précipitation ? Pour financer la propagande ?" s'interroge-t-il.
Interpellée, la communauté internationale a demandé des explications au président. L'ambassadeur français, François Goldblatt, habituellement très discret, s'est même fendu d'un tweet alarmant le 25 septembre : "Projet de cession à très court terme, en pleine campagne électorale, d'une partie du stock de bois de rose à un opérateur étranger [...]. Un projet particulièrement troublant." Début octobre, la Banque mondiale a obtenu, après avoir été reçue à la présidence, de pouvoir avoir un oeil sur cette procédure pour le moins précipitée.
Par Rémi Carayol
À quelques jours du premier tour de la présidentielle - qui a lieu aujourd'hui 25 octobre - la campagne bat son plein à Madagascar, où rien ne semble plus devoir enrayer le processus électoral. Les candidats les plus fortunés, qui se comptent sur les doigts d'une main, inondent le pays de meetings festifs, de tee-shirts et de billets de banque, et les citoyens, bien qu'éblouis par les armadas de 4x4 rutilants qui les escortent, se demandent avec une naïveté feinte comment, dans un pays aussi pauvre que le leur, ils ont bien pu financer de telles machines de guerre.
Chacun a sa petite idée, et ce ne sont pas les deux affaires qui défraient la chronique actuellement qui vont atténuer leurs suspicions.
La première concerne l'un des fleurons bancaires du pays, BNI Madagascar : la banque historique des entreprises, celle dans laquelle l'État compte le plus de participations directes (32,5 %). Depuis plus de deux ans, la moitié du capital de la BNI (51 % détenus par la banque française Crédit agricole) est à vendre. Et depuis quelques mois, un consortium constitué autour de Ciel, un groupe industriel mauricien allié à Hassanein Hiridjee, un homme d'affaires malgache qui a ses entrées à la présidence, est candidat au rachat.
À 24 millions d'euros, c'est une bonne affaire. Problème : les investisseurs n'ont avec eux aucune banque de référence internationale. Si cela ne semble pas être un souci pour le Crédit agricole, qui a donné son accord, il n'en va pas de même à Madagascar. Le directeur général du Trésor, en juin, puis la Commission de supervision bancaire et financière (CSBF), le 22 août, ont donc émis de sérieuses réserves quant au projet. Mais le 4 septembre, coup de théâtre : la CSBF change d'avis et donne son feu vert. Le lendemain, son président par intérim, le gouverneur de la Banque centrale, est retrouvé mort. Crise cardiaque.
Pressions
Entre-temps, les candidats au rachat avaient réajusté leur offre : ce n'est plus Trielite, une société de Hiridjee basée aux îles Vierges britanniques (un paradis fiscal) et déjà détentrice de 10 % de la BNI, qui accompagne le groupe Ciel, mais First Immo, une autre société de Hiridjee, implantée, elle, à Madagascar. Surtout, "les pressions ont été très fortes" ces dernières semaines, révèle un administrateur placé au coeur des négociations, et elles sont venues "de très haut".
Ce dernier rétorque que c'est une affaire privée qui ne concerne ni l'État... ni un candidat que ses détracteurs chercheraient selon lui à "salir". En juin, Hery Rajaonarimampianina avait pris la plume pour approuver ce projet de rachat qu'il aurait en coulisses ardemment soutenu. Il était alors ministre des Finances. Aujourd'hui, il est l'un des trente-trois candidats à la présidentielle et il fait figure de favori. Rajoelina en a même fait son champion.
L'autre affaire est peut-être le dernier épisode d'un feuilleton à rebondissements qui a vu le jour en même temps que la transition, et dans lequel l'entourage du président est suspecté de jouer un rôle majeur. Depuis quelques semaines, Rajoelina ambitionne de vendre, via un appel d'offres international, une partie des 20 000 rondins de bois de rose - un bois précieux qui fait l'objet d'un trafic dans l'île depuis cinq ans - saisis ces dernières années et stockés dans les casernes de la gendarmerie et de l'armée.
Trafic
Officiellement, l'argent récolté (potentiellement plusieurs millions d'euros) devra servir à financer la sécurisation des élections et l'équipement des forces de l'ordre. L'autre objectif, "c'est de stopper ce genre de trafics", a insisté Rajoelina sur RFI début octobre. Un argument qui ne convainc guère les défenseurs de l'environnement. "Si on veut stopper le trafic, il suffit d'emprisonner les trafiquants, qui sont bien connus et depuis longtemps", estime Ndranto Razakamanarina, le président de l'Alliance Vohary Gasy, une plateforme d'organisations malgaches oeuvrant pour l'environnement. Selon lui, une telle vente est certes réalisable, "mais en vingt semaines, pas en trois". "Le président veut vendre avant les élections. C'est impossible en si peu de temps, à moins de passer par une procédure de gré à gré. Pourquoi une telle précipitation ? Pour financer la propagande ?" s'interroge-t-il.
Interpellée, la communauté internationale a demandé des explications au président. L'ambassadeur français, François Goldblatt, habituellement très discret, s'est même fendu d'un tweet alarmant le 25 septembre : "Projet de cession à très court terme, en pleine campagne électorale, d'une partie du stock de bois de rose à un opérateur étranger [...]. Un projet particulièrement troublant." Début octobre, la Banque mondiale a obtenu, après avoir été reçue à la présidence, de pouvoir avoir un oeil sur cette procédure pour le moins précipitée.
L'étrange histoire des 4x4 de Camille Vital
Camille Vital, ancien Premier ministre de Rajoelina qui a coupé les ponts avec le chef de l'État, est scandalisé : voilà plusieurs jours que près de 350 4x4 que lui aurait généreusement alloués un mécène installé à Hong Kong pour battre campagne sont bloqués à la douane du port de Toamasina. Pendant qu'il s'interroge sur les raisons de ce blocage, les Malgaches, eux, se demandent quel homme d'affaires a bien pu offrir à l'officier à la retraite - donné comme l'un des favoris - ce présent d'une valeur estimée à plus de 5 millions d'euros. Et, surtout : en échange de quoi.
Vital assure qu'il n'y a aucune contrepartie et promet que ces véhicules seront remis aux forces de l'ordre après l'élection. Quant à l'identité du donateur, il se contente de dire qu'il ne fait pas d'affaires à Madagascar... mais qu'il y pense. R.C.
Camille Vital, ancien Premier ministre de Rajoelina qui a coupé les ponts avec le chef de l'État, est scandalisé : voilà plusieurs jours que près de 350 4x4 que lui aurait généreusement alloués un mécène installé à Hong Kong pour battre campagne sont bloqués à la douane du port de Toamasina. Pendant qu'il s'interroge sur les raisons de ce blocage, les Malgaches, eux, se demandent quel homme d'affaires a bien pu offrir à l'officier à la retraite - donné comme l'un des favoris - ce présent d'une valeur estimée à plus de 5 millions d'euros. Et, surtout : en échange de quoi.
Vital assure qu'il n'y a aucune contrepartie et promet que ces véhicules seront remis aux forces de l'ordre après l'élection. Quant à l'identité du donateur, il se contente de dire qu'il ne fait pas d'affaires à Madagascar... mais qu'il y pense. R.C.