Une vidéo fait beaucoup de bruit en Tunisie, elle a été tournée par un amateur. On y voit un immeuble de Tunis, qui abrite des étudiants d’A...
Une vidéo fait beaucoup de bruit en Tunisie, elle a été tournée par un amateur. On y voit un immeuble de Tunis, qui abrite des étudiants d’Afrique subsaharienne, être la cible de jets de pierre. L’un des habitants appelle la police et descend dans la rue. Il est insulté, frappé par ses agresseurs. Et c’est finalement lui qui sera arrêté par les policiers. Les cas de racisme envers la communauté noire se multiplient en Tunisie. Des manifestants ont d’ailleurs défilé dans la rue mercredi dernier, le 1er mai, pour les dénoncer. Maha Abdelahmid, co-fondatrice de l’Association de défense des droits des Noirs (ADAM) à Tunis revient sur ce phénomène inquiétant.
RFI : Est-ce que l’agression que l’on découvre sur
cette vidéo, l’agression contre cet immeuble et contre ce jeune qui a
appelé la police, vous a étonnée lorsque vous l’avez vue ?
Maha Abdelahmid : Franchement, moi, étant une Tunisienne noire, ça ne m’a pas étonnée, ça ne m’a pas surprise. Ce sont des choses que l’on peut trouver contre les Noirs d'Afrique subsaharienne, un peu moins contre les Noirs de Tunisie. Mais ce sont des choses qui ont toujours existé.
Vous diriez que ce sont des cas courants ?
Certainement. Il y a toujours eu des violences, seulement, elles n’ont pas été médiatisées. Avant, sous la dictature, on ne pouvait pas publier des choses comme ça, pour le public. Depuis la révolution, il y a une certaine liberté de dire les choses comme on le sent. Donc ça devient visible.
Avant la révolution, on ne pouvait pas lire un article dans un journal qui parle d'agression de personnes d'Afrique subsaharienne en Tunisie. Maintenant, il y a des gens qui disent : « Ah bon ? Il y a des trucs qui se passent, comme ça, en Tunisie ? »
Le racisme en Tunisie contre les Noirs, que ce soient les Noirs d’Afrique subsaharienne ou que ce soient les Noirs tunisiens, a toujours existé. Sauf qu’avant, c’était plutôt un sujet tabou. On ne pouvait pas dire qu’il y avait du racisme.
Comment ça se manifeste, la discrimination et le racisme ? Qu’est-ce qu’on vous rapporte le plus comme faits ?
C’est surtout dans les mots, dans les gestes, dans les grimaces, dans les expressions de visages, quand on rencontre un Noir ou un étranger d’Afrique subsaharienne. Est-ce que vous savez comment on appelle le Noir en Tunisie ?
Il y a un mot spécifique donc ?
On dit Wassif. Wassif, c'est-à-dire « esclave ». C’était un statut avant l’abolition de l’esclavage.(...) Mais maintenant, ce mot est collé à la couleur noire.
Et c’est un mot que l’on entend souvent ?
C’est un mot qui est devenu un mot courant, qu’on utilise pour désigner la couleur noire, alors que ce n’est pas la couleur, en fait !
Il faut dire aussi que s’il y a des pauvres en Tunisie, les plus pauvres sont les Noirs ! Il y a l’abolition de l’esclavage en Tunisie depuis 1846, mais les Noirs n’ont pas réussi à monter dans l’échelle économique en Tunisie. Ils sont toujours restés parmi les catégories défavorisées.
L’accès au travail est difficile ?
Oui, et c’est normal que ce soit très difficile parce qu'en fait, ils n’ont pas réussi à faire des études. Ils ne peuvent pas accéder à des postes de haut niveau ! C’est assez récent, la présence des Noirs dans les universités tunisiennes.
Votre association lutte notamment contre une certaine mention sur des actes de naissance. De quoi s’agit-il ?
Les actes de naissance des gens qui habitent Djerba, connue pour sa concentration d'habitants noirs, majoritairement descendants d'esclaves, portent encore la mention
« esclaves affranchis ».
A un nouveau-né, on ne donne pas le nom de sa famille, mais on lui donne le nom de son maître ! Par exemple « Mouhamed Ben Ablekri, 'affranchi Benied', ou 'affranchi Bentraya' ». Ce n'est pas normal que sur l'acte de naissance d'un jeune de 20 ans ou de 22 ans soit inscrit encore « affranchi », alors que ce n’est pas lui. C’est plutôt son arrière-grand-père qui a été affranchi en 1890 !
Est-ce que vous vous sentez entendue par les autorités, quand vous dénoncez, justement, ce genre de problèmes ?
Franchement, il n’y a pas une réaction concrète. Ils ne considèrent pas vraiment que la question noire en Tunisie soit une cause importante !
On estime pourtant que les Noirs représentent 15 % de la population tunisienne.
Il n’y a pas de statistiques vraiment bien précises. Mais je pense que les Noirs en Tunisie sont peut-être même plus que 15 %.
Quelle est la priorité de votre association, pour lutter justement, contre ces discriminations et ce racisme ?
L’axe de l'éducation. On sait très bien que c’est un problème. C’est une mentalité ancrée en Tunisie. Il faut vraiment travailler sur les périscolaires, sur les enfants plutôt. Il faut que le ministère de l’Education collabore, justement, avec ces associations qui luttent contre la discrimination raciale et contre le racisme en Tunisie, pour faire intégrer des programmes qui montrent la pluralité de la Tunisie. Parce qu’en fait, il y a des gens qui ne considèrent pas que les Noirs sont tunisiens.
Quand je marche dans la rue, parfois, il y a des Tunisiens qui me demandent si je suis Tunisienne ou non. Le Noir est d’abord un Africain de l’Afrique subsaharienne. Donc, une Noire ou un Noir qui marche dans la rue, pour les Tunisiens, c’est un étranger.
Il faut montrer aux enfants que la Tunisie est un peuple mélangé. C’est un peuple multiple. Il y a aussi des Noirs qui sont tunisiens et qui sont là, en Tunisie, depuis des siècles et des siècles.
Par RFI
Maha Abdelahmid : Franchement, moi, étant une Tunisienne noire, ça ne m’a pas étonnée, ça ne m’a pas surprise. Ce sont des choses que l’on peut trouver contre les Noirs d'Afrique subsaharienne, un peu moins contre les Noirs de Tunisie. Mais ce sont des choses qui ont toujours existé.
Vous diriez que ce sont des cas courants ?
Certainement. Il y a toujours eu des violences, seulement, elles n’ont pas été médiatisées. Avant, sous la dictature, on ne pouvait pas publier des choses comme ça, pour le public. Depuis la révolution, il y a une certaine liberté de dire les choses comme on le sent. Donc ça devient visible.
Avant la révolution, on ne pouvait pas lire un article dans un journal qui parle d'agression de personnes d'Afrique subsaharienne en Tunisie. Maintenant, il y a des gens qui disent : « Ah bon ? Il y a des trucs qui se passent, comme ça, en Tunisie ? »
Le racisme en Tunisie contre les Noirs, que ce soient les Noirs d’Afrique subsaharienne ou que ce soient les Noirs tunisiens, a toujours existé. Sauf qu’avant, c’était plutôt un sujet tabou. On ne pouvait pas dire qu’il y avait du racisme.
Comment ça se manifeste, la discrimination et le racisme ? Qu’est-ce qu’on vous rapporte le plus comme faits ?
C’est surtout dans les mots, dans les gestes, dans les grimaces, dans les expressions de visages, quand on rencontre un Noir ou un étranger d’Afrique subsaharienne. Est-ce que vous savez comment on appelle le Noir en Tunisie ?
Il y a un mot spécifique donc ?
On dit Wassif. Wassif, c'est-à-dire « esclave ». C’était un statut avant l’abolition de l’esclavage.(...) Mais maintenant, ce mot est collé à la couleur noire.
Et c’est un mot que l’on entend souvent ?
C’est un mot qui est devenu un mot courant, qu’on utilise pour désigner la couleur noire, alors que ce n’est pas la couleur, en fait !
Il faut dire aussi que s’il y a des pauvres en Tunisie, les plus pauvres sont les Noirs ! Il y a l’abolition de l’esclavage en Tunisie depuis 1846, mais les Noirs n’ont pas réussi à monter dans l’échelle économique en Tunisie. Ils sont toujours restés parmi les catégories défavorisées.
L’accès au travail est difficile ?
Oui, et c’est normal que ce soit très difficile parce qu'en fait, ils n’ont pas réussi à faire des études. Ils ne peuvent pas accéder à des postes de haut niveau ! C’est assez récent, la présence des Noirs dans les universités tunisiennes.
Votre association lutte notamment contre une certaine mention sur des actes de naissance. De quoi s’agit-il ?
Les actes de naissance des gens qui habitent Djerba, connue pour sa concentration d'habitants noirs, majoritairement descendants d'esclaves, portent encore la mention
« esclaves affranchis ».
A un nouveau-né, on ne donne pas le nom de sa famille, mais on lui donne le nom de son maître ! Par exemple « Mouhamed Ben Ablekri, 'affranchi Benied', ou 'affranchi Bentraya' ». Ce n'est pas normal que sur l'acte de naissance d'un jeune de 20 ans ou de 22 ans soit inscrit encore « affranchi », alors que ce n’est pas lui. C’est plutôt son arrière-grand-père qui a été affranchi en 1890 !
Est-ce que vous vous sentez entendue par les autorités, quand vous dénoncez, justement, ce genre de problèmes ?
Franchement, il n’y a pas une réaction concrète. Ils ne considèrent pas vraiment que la question noire en Tunisie soit une cause importante !
On estime pourtant que les Noirs représentent 15 % de la population tunisienne.
Il n’y a pas de statistiques vraiment bien précises. Mais je pense que les Noirs en Tunisie sont peut-être même plus que 15 %.
Quelle est la priorité de votre association, pour lutter justement, contre ces discriminations et ce racisme ?
L’axe de l'éducation. On sait très bien que c’est un problème. C’est une mentalité ancrée en Tunisie. Il faut vraiment travailler sur les périscolaires, sur les enfants plutôt. Il faut que le ministère de l’Education collabore, justement, avec ces associations qui luttent contre la discrimination raciale et contre le racisme en Tunisie, pour faire intégrer des programmes qui montrent la pluralité de la Tunisie. Parce qu’en fait, il y a des gens qui ne considèrent pas que les Noirs sont tunisiens.
Quand je marche dans la rue, parfois, il y a des Tunisiens qui me demandent si je suis Tunisienne ou non. Le Noir est d’abord un Africain de l’Afrique subsaharienne. Donc, une Noire ou un Noir qui marche dans la rue, pour les Tunisiens, c’est un étranger.
Il faut montrer aux enfants que la Tunisie est un peuple mélangé. C’est un peuple multiple. Il y a aussi des Noirs qui sont tunisiens et qui sont là, en Tunisie, depuis des siècles et des siècles.
Par RFI
COMMENTAIRES