A Madagascar, la crise est rouverte. En janvier, Andry Rajoelina avait décidé de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle...
A Madagascar, la crise est rouverte. En janvier, Andry Rajoelina avait décidé de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Et quatre ans après le coup d'Etat de 2009, beaucoup de monde était soulagé. Mais vendredi dernier, coup de théâtre : le numéro un de la transition malgache a fait volte-face. Il sera finalement candidat à l'élection du 24 juillet. Le professeur Jean-Eric Rakotoarisoa enseigne le droit constitutionnel à l'université d'Antananarivo. Il revient sur cette crise politique interminable.
RFI : Avez-vous été surpris par la volte-face d’Andry Rajoelina ?
Jean-Eric Rokotoarisoa : Oui. D’autant plus qu’il y a déjà eu la communication officielle de la liste des candidats qui ont déposé leur dossier. Le 28 avril son nom n’y figurait pas. Donc, on s’est évidemment quand même étonné de voir son nom parmi ceux admis à être candidats à la présidence de la République.
Pour justifier cette volte-face, Andry Rajoelina dit que c’est son adversaire, Marc Ravalomanana, qui a rompu, le premier, le contrat de janvier dernier, en se présentant à l’élection via son épouse.
Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas un bon argument ! Ce sont quand même deux personnes différentes ! Marc Ravalomanana, c’est Marc Ravalomanana. Sa femme, c’est sa femme ! Il ne faut pas utiliser ce genre d’argument pour justifier sa candidature. Le problème maintenant, c’est sa crédibilité. Il y a déjà eu le problème du reniement de signature à Maputo. Là, il a promis qu’il ne serait pas candidat. Comment croire en lui désormais ? S’il maintient sa candidature et qu’il fait campagne, tout ce qu’il va dire ne vaudra rien ! Personne n’y croira !
Pensez-vous, comme certains, que tout cela n’est que prétexte, que dès le jour où il avait dit qu’il n’irait pas, il avait décidé d’y aller ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est sans doute la candidature de Lalao Ravalomanana qui a été le déclic qui l’a fait changer d’avis. Mais je crois qu’il est en train d’hypothéquer son avenir politique avec cette volte-face.
Malgré cette candidature de Rajoelina, les pays de la SADC, la Communauté de développement d'Afrique australe, continuent d’appeler les Malgaches à voter le 24 juillet prochain. Est-ce que c’est une bonne réaction ?
Il y a quand même un impératif. La population attend ces élections depuis quatre ans sans voir de solution, le processus est suffisamment engagé. Le maintien de l’élection présidentielle peut se comprendre, mais par contre, la candidature d’Andry Rajoelina risque de poser un problème de crédibilité au niveau de la Cour électorale spéciale, notamment pour la proclamation des futurs résultats de l’élection présidentielle.
Justement, cette Cour électorale spéciale, c’est la cour qui a validé la candidature Rajoelina. Si c’est la même cour qui arbitre la future élection, est-ce que les résultats seront crédibles ?
Je pense que non, parce que, on a quand même mis en place cette Cour électorale spéciale pour restaurer le processus électoral à Madagascar. Mais cette première décision la décrédibilise aux yeux de l’opinion publique. Et les réactions sont négatives au niveau de tous les citoyens. Si on garde cette Cour électorale spéciale, il y aura un problème de crédibilité des résultats. Il faut revoir les conditions de candidature. La Cour électorale a juré d’appliquer la loi. Si on applique la loi, les candidatures que vous évoquez ne sont pas possibles !
Est-ce que beaucoup de Malgaches se résignent à l’idée qu’il y ait une présidentielle avec Andry Rajoelina et sans Marc Ravalomanana ?
Je crois que pour la majorité des Malgaches, l’essentiel est qu’il y ait des élections. Peu importe les candidats, au-delà de Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina, il ne faut pas oublier que la grande majorité de la population n’est ni pour l’un, ni pour l’autre. Et si on a véritablement des élections libres, transparentes, il se peut qu’il y ait des surprises.
Une conférence nationale organisée par le Conseil des Eglises chrétiennes, propose aujourd’hui de dissoudre, non seulement cette cour, mais toute la transition, et de reporter les élections. Qu’est-ce que vous pensez de cette initiative ?
Cette initiative arrive un peu tard. Les résolutions sont bonnes, mais elle aurait dû être prise en 2009, pas en 2013, à trois mois de l’élection présidentielle. Donc je pense qu’il faudrait quand même aller aux élections, pour qu’on ait, quand même, des dirigeants légitimes, parce que, jusqu’à maintenant tout le monde s’autoproclame porte-parole du peuple. Je crois qu’il faut arrêter ça et qu’il faut voir le rapport de force politique réel à Madagascar, cette fois-ci avec des gens réellement représentatifs, mais pas autoproclamés.
Cette conférence a réuni de nombreux partis, mais on n’y a pas beaucoup entendu les représentants de messieurs Rajoelina et Ravalomanana. Est-ce que son rapport final ne risque pas de rester lettre morte ?
Oui, ça risque de rester lettre morte. Tout dépend de la capacité de lobbying des Eglises. Mais ce n’est pas la première fois qu’on organise ça. Depuis 2009, on n’arrête pas les conférences nationales, les assises nationales… Il y a des problèmes de représentativité à Madagascar. C’est pour ça que je dis qu’il faut quand même qu’on aille aux élections, pour qu’on sache qui sont ceux qui ont réellement une base populaire.
Mais si vous vous résignez à des élections où le sortant peut se présenter, est-ce qu’elles ne risquent pas d’être fraudées ?
C’est justement le risque, à cause de cette maladresse de la CES. Je pense qu’elle n’aurait jamais dû accepter une candidature hors délai. C’est quand même le b-a.-ba d'un processus électoral. Là, on est divisé sur un nouveau problème : le maintien ou non des élections. Si vraiment on n’arrive pas à organiser l’élection présidentielle, il faut organiser les élections législatives. Donc, avoir un gouvernement basé sur une majorité parlementaire.
Et est-ce que l’armée ne se retrouve pas en position d’arbitre ?
Elle pourrait se trouver en position d’arbitre, mais à ma connaissance, elle est elle-même divisée en plusieurs factions. Donc, on est loin de l’apaisement, on prend plutôt le chemin contraire.
Par Christophe Boisbouvier RFI
Jean-Eric Rokotoarisoa : Oui. D’autant plus qu’il y a déjà eu la communication officielle de la liste des candidats qui ont déposé leur dossier. Le 28 avril son nom n’y figurait pas. Donc, on s’est évidemment quand même étonné de voir son nom parmi ceux admis à être candidats à la présidence de la République.
Pour justifier cette volte-face, Andry Rajoelina dit que c’est son adversaire, Marc Ravalomanana, qui a rompu, le premier, le contrat de janvier dernier, en se présentant à l’élection via son épouse.
Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas un bon argument ! Ce sont quand même deux personnes différentes ! Marc Ravalomanana, c’est Marc Ravalomanana. Sa femme, c’est sa femme ! Il ne faut pas utiliser ce genre d’argument pour justifier sa candidature. Le problème maintenant, c’est sa crédibilité. Il y a déjà eu le problème du reniement de signature à Maputo. Là, il a promis qu’il ne serait pas candidat. Comment croire en lui désormais ? S’il maintient sa candidature et qu’il fait campagne, tout ce qu’il va dire ne vaudra rien ! Personne n’y croira !
Pensez-vous, comme certains, que tout cela n’est que prétexte, que dès le jour où il avait dit qu’il n’irait pas, il avait décidé d’y aller ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est sans doute la candidature de Lalao Ravalomanana qui a été le déclic qui l’a fait changer d’avis. Mais je crois qu’il est en train d’hypothéquer son avenir politique avec cette volte-face.
Malgré cette candidature de Rajoelina, les pays de la SADC, la Communauté de développement d'Afrique australe, continuent d’appeler les Malgaches à voter le 24 juillet prochain. Est-ce que c’est une bonne réaction ?
Il y a quand même un impératif. La population attend ces élections depuis quatre ans sans voir de solution, le processus est suffisamment engagé. Le maintien de l’élection présidentielle peut se comprendre, mais par contre, la candidature d’Andry Rajoelina risque de poser un problème de crédibilité au niveau de la Cour électorale spéciale, notamment pour la proclamation des futurs résultats de l’élection présidentielle.
Justement, cette Cour électorale spéciale, c’est la cour qui a validé la candidature Rajoelina. Si c’est la même cour qui arbitre la future élection, est-ce que les résultats seront crédibles ?
Je pense que non, parce que, on a quand même mis en place cette Cour électorale spéciale pour restaurer le processus électoral à Madagascar. Mais cette première décision la décrédibilise aux yeux de l’opinion publique. Et les réactions sont négatives au niveau de tous les citoyens. Si on garde cette Cour électorale spéciale, il y aura un problème de crédibilité des résultats. Il faut revoir les conditions de candidature. La Cour électorale a juré d’appliquer la loi. Si on applique la loi, les candidatures que vous évoquez ne sont pas possibles !
Est-ce que beaucoup de Malgaches se résignent à l’idée qu’il y ait une présidentielle avec Andry Rajoelina et sans Marc Ravalomanana ?
Je crois que pour la majorité des Malgaches, l’essentiel est qu’il y ait des élections. Peu importe les candidats, au-delà de Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina, il ne faut pas oublier que la grande majorité de la population n’est ni pour l’un, ni pour l’autre. Et si on a véritablement des élections libres, transparentes, il se peut qu’il y ait des surprises.
Une conférence nationale organisée par le Conseil des Eglises chrétiennes, propose aujourd’hui de dissoudre, non seulement cette cour, mais toute la transition, et de reporter les élections. Qu’est-ce que vous pensez de cette initiative ?
Cette initiative arrive un peu tard. Les résolutions sont bonnes, mais elle aurait dû être prise en 2009, pas en 2013, à trois mois de l’élection présidentielle. Donc je pense qu’il faudrait quand même aller aux élections, pour qu’on ait, quand même, des dirigeants légitimes, parce que, jusqu’à maintenant tout le monde s’autoproclame porte-parole du peuple. Je crois qu’il faut arrêter ça et qu’il faut voir le rapport de force politique réel à Madagascar, cette fois-ci avec des gens réellement représentatifs, mais pas autoproclamés.
Cette conférence a réuni de nombreux partis, mais on n’y a pas beaucoup entendu les représentants de messieurs Rajoelina et Ravalomanana. Est-ce que son rapport final ne risque pas de rester lettre morte ?
Oui, ça risque de rester lettre morte. Tout dépend de la capacité de lobbying des Eglises. Mais ce n’est pas la première fois qu’on organise ça. Depuis 2009, on n’arrête pas les conférences nationales, les assises nationales… Il y a des problèmes de représentativité à Madagascar. C’est pour ça que je dis qu’il faut quand même qu’on aille aux élections, pour qu’on sache qui sont ceux qui ont réellement une base populaire.
Mais si vous vous résignez à des élections où le sortant peut se présenter, est-ce qu’elles ne risquent pas d’être fraudées ?
C’est justement le risque, à cause de cette maladresse de la CES. Je pense qu’elle n’aurait jamais dû accepter une candidature hors délai. C’est quand même le b-a.-ba d'un processus électoral. Là, on est divisé sur un nouveau problème : le maintien ou non des élections. Si vraiment on n’arrive pas à organiser l’élection présidentielle, il faut organiser les élections législatives. Donc, avoir un gouvernement basé sur une majorité parlementaire.
Et est-ce que l’armée ne se retrouve pas en position d’arbitre ?
Elle pourrait se trouver en position d’arbitre, mais à ma connaissance, elle est elle-même divisée en plusieurs factions. Donc, on est loin de l’apaisement, on prend plutôt le chemin contraire.
Par Christophe Boisbouvier RFI
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