La dernière reine de Mohéli, Ursule Salima Machamba, s’éteignit à 90 ans, le 9 août 1964, dans le village de Pesmes, en Haute-Saône (Fra...
La dernière reine de Mohéli, Ursule Salima
Machamba, s’éteignit à 90 ans, le 9 août 1964, dans le village de
Pesmes, en Haute-Saône (Franche-Comté). Familièrement surnommée « la
reine en sabots », elle avait renoncé, 63 ans auparavant, à son royaume
par amour pour un gendarme.
Mohéli est la plus petite des « Iles de la lune », qui constituent l’archipel des Comores, dans le Canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar. Ile volcanique de 290 km2 (l’équivalent des communes du Port, de Saint-Paul et de Trois-Bassins réunies), sa population actuelle est de 35.000 habitants.
Ursule Salima Machamba bint Saidi Hamadi Makadara (son état-civil complet) naquit le 1er novembre 1874 à Fomboni, dans l’île de Mohéli. Elle était de la dynastie merina par sa mère, Djoumbé Fatima, reine de Mohéli. Le père de Djoumbé Fatima était le Prince merne Ramanetaka, sultan de Mohéli, converti à l’islam sous le nom d’Abd-er-Rhaman. Il était le cousin de la reine de Madagascar, Ranavalona 1ère et le fils du Roi de Madagascar, Radame 1er. Djoumbé Fatima était donc la petite-fille de Radame 1er et Ursule Salima l’arrière-petite-fille. Son père, époux morganatique de la reine Djoumé Fatima, était le comte Emile Fleuriot de Langle de Curri, fils de l’Amiral de la flotte française. Djoumbé Fatima, reine de Mohéli, mourut en 1878, à l’âge de 42 ans. Sa fille Ursule Salima, alors âgée de 4 ans, ne régna pas à proprement parler. La régence fut assurée par son demi-frère, Abderrahman Ben Saïd, proclamé Sultan de Mohéli. En 1885, au cours d’une émeute, Ben Saïd fut assassiné par Mohammed Ben Cheik Moukdar, qui lui succéda comme Sultan. Moukdar accepta la présence de la France sur l’île et en 1886 Mohéli devint protectorat français [1].
Ursule Salima fut officiellement Reine de Mohéli, de 1888 à 1909. Mais le 1er novembre 1889 (la princesse, âgée de 15 ans, résidait alors à Mayotte), Monsieur Papinaud, gouverneur de Mayotte, représentant du protectorat français aux Comores, adressa une lettre au gouverneur de La Réunion, dans laquelle il lui annonçait l’arrivée prochaine de la princesse [2] :
« Sur l’avis du Conseil de santé, j’ai décidé que la jeune princesse Ursule Salima Machamba, Reine de Mohéli, dont les Etats sont placés sous le protectorat Français et dont la santé pourrait être compromise par un plus long séjour à Mayotte, serait placée au Pensionnat de l’Immaculée Conception à St-Denis pour y rétablir sa santé et y compléter son instruction. Cette jeune souveraine prendra passage aujourd’hui, accompagnée de Mme Frumence, à bord de l’Amazone, à destination de La Réunion. Je vous serai obligé, Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien prêter, au besoin, à cette jeune Reine, l’appui de votre haute protection. »
La jeune reine fut donc prise en charge par l’institution de l’Immaculée Conception à Saint-Denis. De religion musulmane à l’origine, Ursule Salima fut ainsi convertie au catholicisme et, au fil des années, perdit peu à peu l’usage de sa langue maternelle.
Elle dut choisir entre son royaume et l’amour.
En 1900, au cours d’une promenade dans Saint-Denis, Ursule Salima fit la connaissance d’un gendarme français, âgé de 33 ans, originaire du village de Pesmes en Franche-Comté, voisine de la Bourgogne. Elle avait 26 ans. Ce fut le coup de foudre : elle tomba éperdument amoureuse du gendarme, qui s’appelait Camille Paule. Quand Ursule Salima fit part au Gouverneur de son intention d’épouser le gendarme, ce fut une affaire d’Etat : le gouvernement français y vit surtout l’opportunité d’éloigner la jeune reine de son trône et de son île natale, en lui faisant valoir que la reine de Mohéli ne saurait épouser un gendarme français. Il lui fallait choisir entre son royaume et ses sentiments personnels. Ursule Salima n’hésita pas longtemps : elle choisit d’épouser Camille Paule.
Le mariage eut lieu le 28 août 1901, dans l’église de la Cathédrale à Saint-Denis. Le cortège partit de l’Immaculée Conception à 9h30. Deux cents Mohéliens qui avaient fait le déplacement, escortaient le char de la reine. Le Petit Journal du 29 août ne manqua pas de relater l’événement (extraits) [3] :
« Hier, dès 9 heures, une animation peu commune régnait dans la ville. De tous les coins de Saint-Denis, petits et grands s’empressaient de venir prendre place à la Cathédrale pour assister au mariage de la princesse Ursule de Mohéli avec Camille Paule, ancien militaire. A 10 heures, l’église Cathédrale débordait d’invités et de curieux. La grande nef, les bas-côtés étaient littéralement envahis par la foule, le péristyle de la Cathédrale, les abords, et jusqu’aux marches ne formaient plus qu’une foule humaine. Enfin le cortège arrive, la gentille princesse porte avec grâce une somptueuse toilette de satin broché ; on admire son air modeste et son sourire aimable. La cérémonie prend fin à 11h45 et malgré l’heure avancée, la foule, toujours aussi considérable, a fait par son attitude une sympathique et éloquente ovation aux nouveaux mariés, à qui nous adressons nos vœux de bonheur et nos souhaits de bon voyage. »
Vingt-et-un coups de canon.
Camille Paule dut démissionner mais reçut en compensation la médaille militaire ainsi que le grade de maréchal-des-logis-chef. Le 31 août 1901, l’Etat français octroya à la reine une pension annuelle de 3.000 francs-or « pour vivre dignement et selon son rang » [4]. La reine voulut faire valoir ses droits sur les revenus de sa propriété de 3875 hectares à Fomboni, dans l’île de Mohéli, qui lui avaient été reconnus par le traité de 1865 (alors qu’elle était encore mineure), mais en vain. Le couple s’embarqua pour la France sur le paquebot Yang-Tsé des Messageries Maritimes.
Une princesse et deux princes
C’est ainsi qu’en 1902 la reine de Mohéli alla s’installer avec son mari dans une ferme du village de Cléry, en Bourgogne, à côté de Dijon, pour se reconvertir dans la culture, le jardinage, l’élevage des chevaux et des volailles. « Leur demeure n’avait rien d’un château, mais il y avait un chef de culture pour l’élevage des chevaux, et des domestiques » [5]. De là lui vint le surnom familier de « reine en sabots ». Elle eut trois enfants : une fille, Louise-Henriette, Princesse de Mohéli, née en 1902 et deux garçons, Louis, né en 1907 et Fernand, né en 1917, tous deux Princes de Mohéli.
Elle meurt sans avoir revu son île natale...
Le gendarme Camille Paule décéda en 1946, à l’âge de 79 ans. Veuve à 72 ans, Ursule Salima dut vendre la ferme de Cléry pour aller s’installer chez sa fille, Madame Louise Jacques, dans le village voisin de Pesmes, en Franche-Comté.
Le journal « Le bien public » écrivit le 10 août 1964 : « Sa Majesté Ursule Salima Machamba 1ère, reine de Mohéli, qui abandonna son royaume à la France pour l’amour d’un gendarme, s’est éteinte à Pesmes (Haute-Saône), à l’âge de 90 ans ».
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : Louise-Henriette, la fille de la reine, eut une fille, prénommée Christiane, qui, lorsqu’elle était infirmière à Dijon, saisit l’opportunité d’un accompagnement sanitaire pour découvrir La Réunion et notamment visiter la Cathédrale de Saint-Denis, où avait été célébré le mariage de ses grands-parents.
Et Louis, l’un des deux fils de la reine, eut une fille, Anne Etter. Après avoir commencé sa carrière professionnelle, dans l’administration de l’Education Nationale en France, Anne Etter eut à cœur de renouer avec les racines de sa grand-mère dans l’île de Mohéli. Les habitants de Mohéli lui ont bien volontiers redonné son titre de Princesse de Mohéli. Anne Etter est aujourd’hui Présidente de l’Association de Développement des Iles Comores.
Le 9 janvier 2002, pour son action sociale sur l’Ile de Mohéli, elle fut faite Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Dans son discours, M. Charles Josselin, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, ne manquera pas de souligner (extraits) : « Anne Etter, votre parcours est pour le moins original et attachant. Vous êtes Princesse de Mohéli. Vous partez à la découverte de la terre de votre grand-mère, Salima Machamba, dernière reine de Mohéli. Vous souhaitiez vous fondre dans l’anonymat, mais l’histoire vous rattrape et ce grand village qu’est Mohéli vous adopte et vous fait princesse ».
Dans « Le Courrier de Saône-et-Loire » du 24 janvier 2000, à la faveur d’une manifestation organisée à Dijon par la Région de Bourgogne pour faire connaître l’archipel des Comores, Pierre Bodineau écrivit, sous le titre « Une reine en sabots » : « Lorsque la France annexa purement et simplement les Comores en 1910, le gendarme et sa reine n’étaient plus que des fermiers en Haute-Saône, vivant au rythme des travaux des champs et des saisons. A la mort de son époux, la reine de Mohéli vint vivre ses dernières années à Pesmes : ce n’est qu’en 1964 qu’elle mourut à l’âge de 90 ans, mais il y eut dans son cœur jusqu’à sa mort des souvenirs de palmiers et de frangipaniers sur lesquels se couchait un soleil rouge ».
Jean-Claude Legros
Sources :
« Histoire des Comores » : Ursule Salima Machamba 1ère, Dernière reine de Mohéli (comores-online)
« Mémorial de La Réunion », vol. IV, Australe-Editions, 1980
« Salima Machamba » (Wikipedia)
Djoumbé Fatima, Dictionnaire biographique (Imago Mundi, cosmovisions.com)
Ordre de l’Etoile de Mohéli (web.me.com)
Mme Bernadette Thiébaut, Maire de Cléry (Côte d’Or)
Mme Julienne Nivois, auteur du livre « A Pesmes, en Franche-Comté, une Reine oubliée par l’Histoire ».
source : 7lameslamer.net