Après des décennies de misère et de guerre, ce pays d’Afrique lusophone devient un nouvel eldorado grâce à ses matières premières. Mapu...
Après des décennies de misère et de guerre, ce pays d’Afrique lusophone
devient un nouvel eldorado grâce à ses matières premières.
Maputo, un samedi.
La capitale mozambicaine vit au rythme des mariages. Sur la plage, une
vaste tente de réception a été dressée. Dans l’avenue Mao-Tse-Toung, on
croise une limousine blanche extra-longue, aux vitres fumées, escortée
par six motos Harley Davidson. Au restaurant du « Club Naval », un homme
d’affaires entre deux âges pianote sur son iPhone, tandis que sa jeune
convive promène un ennui élégant.
Une manne est en train de fondre
sur Maputo. Reste à savoir quelles poches elle remplira.
Un diplomate
italien résume la situation : « Les ressources à venir créent des
attentes dans la classe dirigeante. Celle-ci souhaite transformer le
plus rapidement possible ces attentes en argent liquide. » C’est la ruée, la « curée » pour reprendre le titre d’un ouvrage de Zola décrivant l’enrichissement de la bourgeoisie parisienne au XIXe
siècle.
Aujourd’hui, le Mozambique sort d’une longue nuit. Après
l’indépendance en 1975, ont suivi une vingtaine d’années de guerre
civile. Dans la capitale, une économie bâtie sur le modèle marxiste
conduit alors les Mozambicains à dormir dans les files d’attente, la
nuit, pour obtenir du pain.
Success story africaine
Au
début des années 1990, la communauté internationale réussit à imposer
la paix sur ce pays, l’un des plus pauvres au monde. Le Mozambique
devient l’un des rares exemples de success story africaine, sous
la conduite du président Joaquim Chissano. Il sait comment vendre son
image auprès des bailleurs de fonds, en anglais et en français
courants.
Résultat, une partie du budget du pays est assurée par
les aides publiques, jusqu’à un pic de 52 % en 2007. Les médicaments des
hôpitaux, les salaires des instituteurs, les routes du nord du pays,
les parcs nationaux à venir sont financés par des fonds occidentaux.
Les
pays d’Europe du Nord sont en pointe dans cette aide au développement.
Ils ont été les premiers à soutenir le parti au pouvoir, le Frelimo,
quand le reste des Occidentaux regardait ces nouveaux marxistes avec
suspicion. « Aujourd’hui, devant la corruption généralisée, les pays
nordiques sont amers. Ils menacent de couper les robinets de l’aide.
C’est une sorte de déception amoureuse », constate un ambassadeur européen.
La
crise économique des pays occidentaux est aussi passée par là. Cette
année, les bailleurs de fonds ne régleront « que » 40 % du budget
mozambicain. Devant des détournements patents de l’aide internationale
dans le secteur hospitalier, ils ont même suspendu leurs versements, en
attendant un limogeage des responsables au ministère de la santé. Ce qui
a été fait.
Maputo, capitale d’un pays qui renferme des trésors
Maputo
s’est réveillée riche. Elle est la capitale d’un pays qui renferme des
trésors : le coke d’une qualité exceptionnelle vers la ville de Tete
(nord-ouest) et le Malawi, le gaz au large de sa côte nord, l’énergie
hydraulique de ses fleuves, les essences de ses forêts, les terres rares
de ses sables, les mines de phosphates et de fer, les rubis d’une
qualité proche de celle, exceptionnelle, de Thaïlande.
Les pays
émergents ont sonné la ruée vers les matières premières du sous-sol
africain. Ils sont tous au Mozambique. On connaissait depuis longtemps
les richesses de son sous-sol, mais les cours mondiaux n’étaient pas
assez hauts pour prendre le risque d’une aventure logistique.
Aujourd’hui, les Chinois construisent aéroport et routes, en attendant
que les autorités leur cèdent des concessions pour exploiter le gaz
autour du lac Niassa (nord-ouest).
Les Brésiliens exploitent le
charbon de Tete, en attendant le fer et le phosphate. Les Indiens sont
un peu partout. Et les voisins sud-africains veulent résoudre avec le
Mozambique leur problème endémique de manque d’énergie. Ils y trouvent
l’électricité venue du barrage de Cahora Bassa (nord-ouest) et le gaz
acheminé par la compagnie sud-africaine Sasol depuis la côte sud du
Mozambique.
Monopole de la Lam, la compagnie aérienne mozambicaine
L’avenir
du pays se joue aujourd’hui, mais dans la plus parfaite opacité. Peu de
Mozambicains sont au courant de cette manne et de l’utilisation qu’en
font les étrangers, appuyés par les autorités locales. Les compagnies
minières et gazières ont besoin de peu de main-d’œuvre. Et elle est
souvent étrangère. Pour aller constater, à l’intérieur du pays,
l’ampleur de ces nouvelles activités, il faut en passer par le monopole
de la compagnie aérienne mozambicaine, la Lam, dont les prix sont
astronomiques.
De temps en temps, une ONG dénonce une affaire étrange. Comme, en décembre dernier, ce trafic de bois vers la Chine. « La moitié de l’exportation » depuis le Mozambique « est illégale », affirme
l’EIA (Agence d’investigation environnementale) dont les enquêteurs se
sont fait passer pour des acquéreurs potentiels, filmant en caméra
cachée.
Pour cette ONG internationale, « la faiblesse de la politique » forestière mozambicaine et la « corruption » dans ce pays « facilitent le trafic illégal de coupes de bois pour subvenir à la voracité de la Chine ». « Des
hommes politiques haut placés, en collaboration avec des commerçants
chinois peu scrupuleux, continuent de violer la législation
forestière », résume l’ONG.
Enjeu financier autour de l’exploitation du gaz
Mais l’essentiel est ailleurs. Autour des contrats d’exploitation de gaz qui sont en passe d’être signés. « Pour
l’instant, les Mozambicains entendent parler de l’exploitation du
charbon par la compagnie brésilienne Vale. Ils savent que l’exploitation
du gaz va commencer dans quelques années. Mais ils n’ont pas compris
que l’enjeu financier est colossal. On parle de beaucoup d’argent », commente un consultant italien, Gabriele Maraviglia.
Les
dirigeants du Frelimo l’ont compris, eux. Ils veulent aller vite pour
signer les contrats avec les compagnies étrangères qui savent exploiter
ces richesses. « Tout est en train de se décider dans une ambiance
frénétique. La corruption est très forte. Ceux qui dénoncent cette
corruption risquent gros », constate un ambassadeur occidental : « Plus on monte dans les échelons du pouvoir, plus elle prend des allures sophistiquées. »
« Attirer les investissements »
Cette
« sophistication » permet à l’élite de s’enrichir tout en répondant aux
critères de l’Initiative de transparence des industries extractives
(Itie). Maputo fourmille d’exemples de sociétés écrans, « des passages obligés pour les entreprises étrangères », poursuit l’ambassadeur, montées par des membres de la famille du président Guebuza, surnommé « Gai business ». « On
sait que le port de Nacala, dans le nord, va connaître un développement
important avec l’exportation du charbon et du gaz. Une société assurant
la gestion du port est créée. Des Mozambicains proches du pouvoir y
prennent des participations. Il leur suffit maintenant de céder cette
société à des investisseurs étrangers, en faisant la culbute
financière », décrit un acteur du développement établi à Maputo.
Tout
au bas de la carte du Mozambique, Maputo s’enrichit, tandis que le
reste du pays continue à vivre dans la précarité. Les hôpitaux sont
bondés de malades du sida et le gouvernement menace de fermer certains
établissements si les bailleurs de fonds réduisent leur aide. « Nous
avons encore le moyen de pression de l’argent que nous versons, pour
tenter de faire que les contrats se signent le plus justement possible.
Mais il faut aller vite. Dans cinq ans, le gouvernement mozambicain ne
nous écoutera plus. Il commencera à toucher la manne du gaz », remarque un diplomate occidental.
Les
revenus du secteur minier ne représentaient, l’an dernier, qu’1 % des
recettes fiscales. Les anciens révolutionnaires marxistes bradent leur
sous-sol, adaptent la législation pour la rendre plus attrayante pour
les compagnies étrangères, sous le prétexte « d’attirer les investissements ». Tout est prêt pour le démarrage de la production de gaz. Plus que quatre à cinq petites années avant la richesse.
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Le gaz et le charbon fondent la richesse à venir
- Les réserves de gaz seraient les plus importantes au monde, avec
celles du Qatar et de l’Australie. La production doit démarrer en 2018.
Elle pourrait rapporter à terme plus de 4 milliards d’euros par an au
pays, soit plus d’un tiers de l’actuel PIB.
- L’italienne Eni et l’américaine Anadarko sont les deux principales compagnies présentes au Mozambique, pour l’instant. Elles comptent exploiter des gisements situés au nord du pays, au large des villes de Pemba et Nacala.
- L’exploitation du charbon a été confiée à la compagnie minière brésilienne, Vale. La
production a démarré à Moatize, près de Tete (nord-ouest), malgré des
problèmes logistiques importants pour parvenir à acheminer le minerai
jusqu’à la côte. Pour l’heure, la production serait aux alentours de
10 millions de tonnes. Elle pourrait atteindre 100 millions de tonnes
dans dix ans.
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