Trois jours après le scrutin, les Kényans attendent toujours de connaître les résultats de la présidentielle. Après l’échec de la transmiss...
Trois jours après le scrutin, les Kényans attendent toujours de connaître les résultats de la présidentielle. Après l’échec de la transmission électronique des résultats, la compilation des documents provenant des centres de comptage prend du temps, ce qui fait croître l’anxiété.
Dans la pénombre, les yeux sont rivés sur l’écran de
télévision. Tandis que les résultats sont égrenés au compte-gouttes, une
musique qui siérait plus à une scène de course-poursuite dans un film
d’action accentue le suspens, ce qui ne semble guère utile. Ils sont
assis sur un banc autour d’une table et dégustent des mandazi (beignets)
trempés dans du thé au lait sucré. Dans ce petit restaurant au toit en
tôle, des habitants d’un quartier de Mathare préfèrent partager leur
inquiétude plutôt que de la garder pour eux.
Depuis lundi, les télévisions locales ont interrompu leurs programmes
ordinaires et offrent une couverture en continu des élections. Les
journalistes interviewent des analystes ou lisent des messages de paix
envoyés sur Twitter. Contrairement à 2007, les médias kényans jouent un
rôle crucial pour calmer les esprits, ce qui permet d’équilibrer les
déclarations de plus en plus alarmantes des politiques.
Jeudi, la Coalition pour la réforme et la démocratie (CORD) de Raila
Odinga a affirmé que les résultats étaient trafiqués de manière
systématique et que leurs agents s’étaient vus refuser l’accès de
certains centres de comptages. Si Kalonzo Musyoka, son colistier, a cru
bon de préciser qu’il n’appelait pas à des manifestations de rue, ces
accusations portent un coup à la crédibilité de la commission
électorale, déjà pas mal entamée par l’échec total du système de
transmission électronique des résultats.
« Qu’on en finisse avec ces élections ! »
Il y a cinq ans, les violences à Mathare avaient commencé dans ce
quartier, où vivent principalement des populations kikuyu (l’ethnie de
Uhuru Kenyatta) et luo (l’ethnie de Raila Odinga). James Awende vient
régulièrement prendre ses repas ici. Il tient un petit magasin de
nettoyage de vêtements. « Les politiques sont irresponsables et jettent de l’huile sur le feu, estime-t-il. Nous
sommes déterminés à ne pas sombrer à nouveau dans le chaos, mais plus
les retards s’accumulent, plus le malaise et le doute s’installent ». Ses propos suscitent l’approbation de sa voisine, Grace Muite. « Je
prie pour la paix, car je ne sais pas où je pourrais mettre mes enfants
en sécurité en cas de problèmes, c’est très stressant ».
Le long des ruelles en terre parsemées d’immondices, une bonne moitié
des magasins n’ont pas rouvert depuis dimanche dernier. En quelques
jours, le prix d’un kilo de sucre est passé de 70 à 120 shillings
kényans (soit 1,20 euro). La pénible expérience de 2007 a poussé
Robinson Mburu à prendre des précautions. Il a soigneusement dissimulé
son stock de marchandises dans un lieu sûr pour éviter de se faire
piller à nouveau au cas où la situation commence à devenir hors de
contrôle. « Je n’ai presque plus de clients et regardez mes
étalages, ils sont quasiment vides. Je n’attends qu’une chose, qu’on en
finisse avec ces élections », dit-il résigné.
Cette élection souligne l’ambiguïté grandissante de la population
dans son rapport à ses dirigeants. Au Kenya, la politique est suivie
avec plus de passion que n’importe quel soap opera. Mais
simultanément, la conscience aiguë de servir sans cesse de chair à canon
pour préserver les carrières des uns et des autres grandit dans les
esprits. RFI
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