L'inégalité juridique de la femme comorienne

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La tutelle matrimoniale, la polygamie et la répudiation font ressortir de façon flagrante l'inégalité juridique de la femme comorienne....

La tutelle matrimoniale, la polygamie et la répudiation font ressortir de façon flagrante l'inégalité juridique de la femme comorienne. L'art. 21 dispose : « le mariage est passé entre le tuteur matrimonial de la jeune fille (le wali) et le futur époux ou son mandataire, devant le juge compétent »18.


Exclusive pour la future épouse, la tutelle matrimoniale montre l'inégalité de la femme et se rattache à un système qui tente de concilier l'autorisation du wali et la liberté de consentement au mariage de la femme. Dans la sourate XXX, verset 21, le Coran fonde le mariage sur l'amour et la bonté entre l'homme et la femme, ce qui prescrit l'interdiction du mariage forcé. Néanmoins seul le tuteur de la femme a la capacité juridique pour engager le mariage avec l’époux.19, ce qui est l'antithèse de l'art. 146 du code civil qui prescrit le consentement au mariage par les futurs époux. Toutefois, selon un arrêt de la Cour d'appel d'Alger, du 6 mars 1950, un mariage sans consentement de la future épouse est nul car il faut associer à l'accord du tuteur matrimonial le consentement de la future épouse.

Cet arrêt a été interprété par la doctrine comme remettant en cause, après la Constitution du 27 octobre 1946, le droit canon de la contrainte matrimoniale ou Idjbâr.20 qui fut appliqué aux Comores.21. Si l'art. 20 du code prévoit les consentements à mariage « fermes, inconditionnels et libres », l'art. 23 exige l'« autorisation du wali » et le « consentement de la femme ». Deux cas de figure se présentent : l'absence de consentement de la femme au mariage et le refus d'autorisation du tuteur au mariage. Dans le premier cas de figure, « en cas de premier mariage », le wali ne peut pas obliger la jeune fille à se marier sans son consentement (art. 23). En cas de remariage, le juge chargé de la célébration peut se dispenser de l'autorisation si le wali s'y oppose (art. 25). Dans le second cas de figure, seule l'opposition « abusive » du wali au mariage peut être contournée par le juge (art. 24).

 Dans ces conditions, le choix du conjoint pour la femme reste délicat. L'acceptation explicite de la polygamie consacre clairement l'inégalité de la condition de la femme. Bien que le phénomène paraisse en régression aux Comores.22, il n'en demeure pas moins que cette institution est un facteur d'instabilité familiale.23. Sa critique n'est pas récente .24.

 Le code a eu pour ambition de la contrôler sans la proscrire. L'art. 49 dispose explicitement que : « L'homme ne peut contacter un nouveau mariage s'il a un nombre d'épouses égal à quatre ». Un tel mariage est nul et de nul effet (art. 50) auquel peuvent s'opposer les épouses (art. 52) ; il s'agit d'un cas d'adultère pouvant donner lieu à une demande de divorce par les épouses (art. 77). Toutefois il ne donne pas lieu à l'amende punitive d'au moins 1 000 000 FC qui ne sanctionne que les mariages prohibés pour cause d'inceste réel ou symbolique (art. 43 à 47).

Comme le veut le Coran, sourate IV, verset 129, il est posé que le mari polygame est tenu de traiter son épouse « en parfaite égalité avec les autres épouses » (art. 54). Comment toutefois établir la parfaite égalité ? Dans la version préalable du code, il était posé que chacune des premières épouses avait un droit de recours au cadi ou au juge : « aux fins de prouver que leur mari n'a pas la possibilité d'entretenir un nouveau foyer » (art. 25). Cette disposition a disparu et elle ne subsiste que de façon indirecte.25. 

Cela signifie que le mariage polygame est valable même s'il entraîne une baisse de revenus pour les épouses dès lors qu'elles sont traitées en parfaite égalité. Le Minhadj at-tâlibîn indique que le partage des faveurs maritales doit se faire également entre les épouses.26. Sont ainsi réglementées le logement, les visites et la durée de celles-ci aux épouses. L'obligation est faite à l'époux d'« informer sa ou ses conjointes de son désir de fonder un nouveau foyer et la future épouse de sa situation matrimoniale » (art. 27).

 Selon le Grand Cadi, « la non-information de l'épouse ne peut pas annuler le mariage. Cette information ne devrait pas être une contrainte mais l'ex- pression du respect et de l'entente entre les époux »27. Cette obligation d'information n'équivaut pas à un consentement de l'épouse, contrairement à ce que prévoyait la version précédente du code.28, et témoigne sur ce point une mise en cause de la condition féminine aux Comores. Cette obligation d'information n'a pas de vocation préventive. Bien que qualifiée de « formalités substantielles » (même disposition), cette obligation n'est sanctionnée que par l'amende d'au moins 350 000 FC que seul le juge, ayant procédé illégalement à la célébration du mariage polygame, aura à payer (art. 37)29. Ainsi l'époux n'ayant pas informé sa ou ses conjointes du nouveau mariage n'est tenu d'aucune amende et le mariage n'est ni nul, ni de nul effet.

 Seul droit réservé à l'épouse, le droit de demander le divorce en cas de mariage polygame non accepté. L'art. 77 prévoit en effet qu'une femme peut : « demander le divorce si son mari lui a adjoint ou une plusieurs autres épouses »30. Pour l'homme, il ne s'agit que d'une sanction indirecte puisqu'elle n'empêche pas le nouveau mariage mais fait perdre à l'homme sa précédente épouse. Pour la ou les précédentes épouses, en revanche, il s'agit d'une prérogative qui fait subir un double préjudice : refus du mariage polygame et demande de divorce. Paradoxalement, il est peut-être préférable que l'époux n'informe pas sa future épouse de sa volonté de prendre une nouvelle épouse. Si celle-ci a néanmoins connaissance de la volonté de son mari, elle peut en tant que « partie intéressée » (art. 37) faire valoir auprès du juge compétent qu'il sera condamné à payer l'amende (même disposition) ce qui peut avoir un effet dissuasif.

 Néanmoins, aucune voie de droit n'est réservée à l'épouse en cas de violation de l'obligation d'in- formation. La répudiation de la femme consacre, pour finir, l'inégalité de la femme comorienne. Le mari a la possibilité de répudier sa femme par la procédure dite des « trois twalaka » (art. 65). Prérogative exclusive de l'homme, cette modalité de dissolution du lien conjugal repose sur le pouvoir discrétionnaire de l'époux et n'a pas à être motivée. Du reste, la répudiation, prononcée par badinage ou plaisanterie a toutes les conséquences légales d'une répudiation réelle, selon l'école cha- féite31. 

Elle peut être affectée d'une condition résolutoire : « Vous êtes répudiée si cet oiseau est un corbeau » ou « Si vous accouchez, vous êtes répudiée »32. Elle prend la forme orale suivante : « Vous êtes répudiée, répudiée, répudiée »33. Les conditions qui l'entourent restent limitées puisque aucune condition de fond, donc, ne lui est opposable. Une limite temporelle est opposable : le twalaka prononcé durant la période menstruelle ou la grossesse est « blâmable » (art. 59) et la persistance dans son prononcé peut entraîner une amende de 50 à 100 000 FC. Une condition formelle est opposable : l'état d'ivresse manifeste ou la forte colère enlevant tout ou partie du contrôle n'entraîne pas ipso facto l'invalidité du prononcé mais sa validité est laissée à l'appréciation du juge (art. 62). 

Une condition procédurale est opposable : le twalaka doit être prononcée obligatoirement devant le juge (art. 62) et non simplement devant deux témoins34. Le juge, qui n'a pas les moyens de s'opposer à la répudiation, peut néanmoins repousser le prononcé de la répudiation à un « délai raisonnable » (art. 62). Lorsqu'elle est répudiée, la femme ne peut se remarier avec son ex-mari que si elle a contracté entre temps un nouveau mariage avec un autre homme (art. 69).

 La violation de cette règle civile est sanctionnée par le délit de zina, dit de fornication qui sanctionne l'adultère (art. 71 du code de la famille prévu à l'art. 336 du code pénal comorien). La dissolution du lien conjugal entraîne l'octroi d'une pension alimentaire pour les enfants et leur mère durant le délai de viduité (art. 90). La procédure des trois twalaka emporte rupture du lien conjugal. Elle s'oppose à la procédure du twalaka simple ou double, de nature révocable, qui ne l'emporte pas (art. 88). 

Cette situation entraîne pour la femme une retraite légale de continence à l'expiration de laquelle le mariage est définitivement dissout (art. 67) si l'époux n'exerce pas son droit de révocation du twalaka simple ou double dans ce délai (art. 79). Ce délai prend l'appellation de « délai de viduité ou retraite de continence » (IDDA) et s'applique tant au cas de la femme simplement répudiée que celui de celle irrévocablement répudiée, de celle qui a pris l'initiative du divorce ou qui est veuve35. 

Le code ne prévoit pas que l'attestation de non-grossesse puisse rompre le délai (contra art. 228 du code civil français). Seul le cas du mariage non consommé et dissout n'oblige pas la femme à respecter le délai de retraite de continence (art. 80). Le twalaka simple ou double est prononcé devant le juge et il fait droit à une pension alimentaire de la femme et des enfants en fonction de leurs « besoins réels » (art. 89).

16
Selon l'opinion de Monaécha Cheick, ancienne Ministre de l' Education Nationale, Présidente du Réseau Femme,Enseignante - chercheuse en linguistique comorienne, Université des Comores, courriel adressé à l'auteur le 9 septembre 2006.
17
Sont qualifiés comme tels : « 1. la cohabitation, l'assistance, le respect mutuel et la fidélité ; 2. le traitement avec bienveillance ; 3. les droits de famille et les droits de succession ; 4. le respect des ascendants de son conjoint ».
18
L'art. 22 définit dans l'ordre décroissant les bénéficiaires de la tutelle matrimoniale : « le père, le grand père paternel, le frère de même père et de même mère, le frère de même père[...]. Les fonctions de wali ne sauraient s'exercer pour un bénéfice personnel » (art. 32).
19
Minhadj at-tâlibîn, « Du Mariage », Livre XXXIII, p. 318.

20
En ce sens, Paul Guy, Cours de droit musulman, Polycopie de la Cour d'appel de Madagascar, 1951, p. 99. Selon cet arrêt : « Le droit reconnu au père par le rite malékite - aussi appliqué selon le rite chaféite - de marier sa fille vierge et nubile et non émancipée, n'est pas absolu mais doit être associé, dans tous les cas, au consentement de celle-ci, à défaut de quoi le mariage est nul ».
21
Pour une description du droit d'Idjbâr dans le droit canon comorien : Ahmed Ben-Ali, « Evolution du principe de la contrainte matrimoniale ou droit d'Idjbar », TAREHI, Revue d'histoire et d'archéologie, 2001.52.
22
En ce sens, M. Djaffar, « La polygamie reste pratiquée, même si elle recule depuis une vingtaine d'années du fait de l'évolution des mentalités mais aussi pour des raisons matérielles, les hommes n'ayant généralement pas les moyens financiers d'entretenir plusieurs femmes. Il est bien entendu impossible d'interdire la polygamie du jour au lendemain », Compte rendu analytique, Comores, CRC/C/SR.666, 17 novembre 2000, § 20.
23
Mohamed Charfi, Islam et liberté. Le malentendu historique, Albin Michel, 1998.69. Pour l'auteur, l'homme a un droit un nombre illimité d'épouses puisque la seule contrainte vise la possibilité d'avoir quatre femmes en même temps :  « Le polygame peut à tout moment répudier une de ses quatre femmes pour dégager un 'poste' qu'il fera occuper par une nouvelle épouse ... ».
24
Attoumane BOINA ISSA, Impact des relations de genre sur la participation de la femme dans le processus de développement aux Comores, PROJET FNUAP/BIT/COI/98/PO2 /PDG, Moroni, 2000 : « On remarquera ici que l'incidence de la polygamie est négativement corrélée avec l'instabilité des unions (plus la proportion de polygames est importante dans une île, moins la proportion de mariages rompus par le divorce est élevée sur cette île), à croire que la mobilité conjugale constitue pour les hommes comoriens un substitut moins coûteux à la polygamie et/ou que la
polygamie résulte essentiellement des difficultés (de diverses natures) rencontrées par le concerné pour rompre le ou les mariages qu'il a déjà contractés. Ainsi, le législateur devrait s'attaquer aux deux phénomènes (la polygamie et les répudiations faciles) à la fois s'il veut réduire le désordre qui caractérise le marché matrimonial comorien ».

25
Ainsi l'art. 89 prévoit qu'en cas de séparation dite révocable, le juge fixe le montant de la pension alimentaire en fonction des besoins réels des enfants et de l'épouse.
26
Minhadj at-tâlibîn, « Du partage des faveurs maritales et de l'insoumission des femmes », Livre XXXV, p. 401 et s.
27
En ce sens, Grand Cadi, entretien accordé à l'auteur le 8 septembre 2006 par courriel.
28
Voir M. Djaffar, « le projet de code de la famille dispose que tout mari souhaitant épouser une deuxième femme devra en demander l'autorisation à sa première épouse. L'adoption de ce texte, indispensable à la modernisation de la société comorienne, devrait donc permettre de lutter notamment contre le problème de l'instabilité conjugale »,Compte rendu analytique, Comores, CRC/C/SR.666, 17 novembre 2000, § 20.
29
On doit souligner l'étonnement du Grand Cadi qui ne comprend pas le sens de cette règle : « s' il devait y avoir sanction, cette sanction serait à prendre contre l' époux », entretien accordé à l'auteur le 8 septembre 2006 par courriel.
30
On doit considérer que la nouvelle épouse qui n'aurait pas été informée du statut matrimonial polygame de son
époux pourrait invoquer aussi l'art. 77.

31
Minhadj at-tâlibîn, « De la répudiation », Livre XXXVII, p. 432.
Voir Minhadj at-tâlibîn, « De la répudiation », Livre XXXVII, p. 446 et p. 459.
33
En ce sens, Paul Guy, Cours de droit musulman, Polycopie de la Cour d'appel de Madagascar, 1951, p. 109. Les twalaka peuvent être écrits ou formulés par signes non équivoques lorsque le mari ne peut ni lire, ni parler (art. 62).
34
Paul Guy, Cours de droit musulman, Polycopie de la Cour d'appel de Madagascar, 1951, p. 113.
35
L'art. 79 distingue quatre hypothèses : le droit commun, soit un délai de trois menstrues successives ; le cas de la femme ménopausée, soit trois mois ; le cas de la veuve, soit quatre mois et dix jours ; le cas de la femme enceinte :
soit l'accouchement.

Auteur : Laurent Sermet
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