Mayotte aussi, on passera à la télévision numérique. Ce ne sera pas dans deux jours, comme chez nous, mais le 29 novembre. Les Mahorais a...
Mayotte aussi, on passera à la télévision numérique. Ce ne sera pas dans deux jours, comme chez nous, mais le 29 novembre. Les Mahorais auront la chance, puisqu'il paraît que c'en est une, de disposer de huit chaînes publiques (huit chaînes, tiens, alors que nous en avons dix, ici). Et les Mahorais, sans doute comme nous, n'auront d'autre choix que de s'acheter au minimum un décodeur, au pire une nouvelle télévision ou un abonnement au satellite. A des tarifs, faisons le pari, supérieurs aux nôtres, qui sont déjà supérieurs à ceux de la métropole. Car oui, Mayotte, c'est la France. On peut à l'envi exhumer le vieux débat sur la pertinence de l'appartenance de Mayotte à notre pays mais on se heurtera toujours au même écueil : on ne pourra plus revenir sur les référendums de 1974 et 1976, qui ont vu les Mahorais décider qu'ils ne voulaient pas faire partie de l'Union des Comores. Et qu'à partir de là, on ne pouvait pas laisser les Mahorais au milieu du gué institutionnel, entre le statut étrange de "collectivité départementale" et celui de département tout court. L'Etat français leur a demandé une nouvelle fois de choisir, le 29 mars 2009. Ils ont choisi, à 95 %. Cette affaire-là est entendue et, les Mahorais le savent depuis le début, leur égalité sociale est planifiée, pour être achevée dans vingt ans. Au moins un point positif pour eux : leur cap est fixé, alors que La Réunion aura dû attendre quatre décennies pour que salaire minimum, minima sociaux et prestations sociales soient égaux à ceux de la métropole.
Mais ce qui secoue Mayotte en ce moment est-il vraiment lié à la départementalisation ? Tout porte à croire que non. Si le changement de statut cristallise évidemment les espoirs de toute une population, ce qu'elle réclame est autrement plus immédiat, autrement plus légitime aussi : arriver à vivre décemment, selon les critères du monde d'aujourd'hui, tels que lui diffusent, jour après jour, toutes ces chaînes publiques déversées par la TNT, tiens justement. Faut-il être aveugle ou sourd pour ne pas comprendre qu'il est illogique de payer 32 euros une bouteille de gaz, 8 euros une plaquette de yaourts ou 25 euros un sac de 20 kg de riz ? Alors qu'à la télé – et parce que les Mahorais, comme tout le monde aujourd'hui, voyagent de plus en plus et donc comparent – on vous exhibe des prix jusqu'à trois ou quatre fois inférieurs ?
Départementalisation ou pas, le malaise exprimé à Mayotte ces dernières semaines, et réprimé de manière brutale, est avant tout une colère du décalage entre les prix et les revenus. Et presque une colère de la misère. En ce sens, à l'évidence, nous avons tous, aujourd'hui, quelque chose en nous de mahorais. Nous aussi, ici, comme à Mayotte, ne comprenons plus pourquoi tout flambe. Et quand bien même nous comprendrions, nous sommes toujours moins armés pour y faire face. C'était encore mardi dernier en pages 8 et 9 du Journal de l'île, trois articles qui, en apparence, n'avaient rien à voir : l'un nous expliquait qu'il fallait prévoir "jusqu'à 7 % d'augmentation sur les billets d'Air France", un autre avertissait qu'"après le sucre, les prix du riz vont aussi augmenter" et le troisième évoquait "l'intégration du bonus Cospar remise en cause par le BTP". Ces trois articles racontaient simplement l'histoire d'aujourd'hui, ici comme à Mayotte, celle d'un monde déséquilibré d'où risquent de naître, à tout moment, des soubresauts ou des violences. Que relaieront, qu'elles le veuillent ou non, les chaînes publiques de la TNT.
David Chassagne
Source : clicanoo.re